Joaillerie et horlogerie


Audemars Piguet défie l’arc-en-ciel

SERTISSAGE

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décembre 2022


Audemars Piguet défie l'arc-en-ciel

En hommage aux 50 ans de la Royal Oak, la manufacture du Brassus a créé deux sets de montres de haute joaillerie réalisées entièrement en serti invisible, la technique la plus complexe qui soit.

S’

il est une technique de sertissage qui conjugue toutes les difficultés, c’est bien le serti invisible ou serti mystérieux. Cette technique de sertissage inventée au début du XXème siècle consiste à encastrer des pierres précieuses portant une rainure au niveau de la culasse, à l’intérieur d’un rail de métal. Elles s’ajustent ainsi parfaitement, ne laissant apparaître aucune partie métallique et donnant l’effet d’une mosaïque de pierres.

C’est cette technique complexe qu’a choisi Audemars Piguet pour orner deux séries de Royal Oak joaillières conçues comme un double arc-en-ciel de pierres précieuses et fines en hommage aux 50 ans du modèle iconique. Baptisées Royal Oak Automatique Rainbow, elles se déclinent en deux séries de dix montres (37 mm et 41 mm).

Audemars Piguet défie l'arc-en-ciel

«Chaque garde-temps est orné de 861 pierres parfaitement identiques pour les versions de 41 mm et de 790 pour les modèles de 37 mm», explique Nathalie Barzilay, la gemmologue d’Audemars Piguet.

Afin d’interpréter toutes les teintes de manière vibrante, la spécialiste a choisi certaines gemmes inattendues. «Il existe une multitude de pierres qui, une fois assemblées, donneront toujours une vibration différente à chaque arc-en-ciel mais nous souhaitions réunir les couleurs les plus intenses possibles de manière harmonieuse et dynamique, explique-t-elle. Nous avons soigneusement sélectionné dix pierres précieuses dans des teintes vives de rouge, jaune, vert, bleu, violet, rose et orange, non seulement pour offrir des garde-temps individuels aux couleurs intenses et pures, mais aussi pour obtenir un résultat harmonieux lorsque les montres de chaque série sont placées côte à côte.»

Nathalie Barzilay
Nathalie Barzilay

La gemmologue s’est délibérément détournée des saphirs de différentes couleurs, qui ont une teinte moins soutenue, au profit de trois pierres précieuses: le saphir bleu, l’émeraude et le rubis. «Celles-ci ont donné le ton pour le dégradé de couleur en termes d’intensité et de noblesse, poursuit Nathalie Barzilay. Pour les accompagner, nous avons ensuite cherché les pierres dont les couleurs sont les plus vives.» La tanzanite, le chrysobéryl jaune, la tourmaline rose, l’améthyste, la topaze bleue, la spessartite orange et la tsavorite ont ainsi été sélectionnées. «Le fait que certaines de ces pierres ne soient que très rarement utilisées en horlogerie, par exemple la tsavorite et la tanzanite, nous a également beaucoup plu», souligne-t-elle.

La gemmologue s’est délibérément détournée des saphirs de différentes couleurs, qui ont une teinte moins soutenue, au profit de trois pierres précieuses: le saphir bleu, l’émeraude et le rubis.

Audemars Piguet défie l'arc-en-ciel

Une fois le choix des couleurs et des gemmes opéré, il ne restait plus qu’à les trouver. Afin de réunir l’ensemble des gemmes nécessaires à la réalisation des deux sets, Nathalie Barzilay a mené de longues recherches: une année au total! Pour l’approvisionnement de ses pierres de couleur, Audemars Piguet travaille avec des partenaires de longue date établis sur le bassin lémanique.

Audemars Piguet défie l'arc-en-ciel

«Nous commençons par établir avec eux le cahier des charges relatif à chacune des pierres, explique la gemmologue. Différentes couleurs sont comparées les unes à côté des autres jusqu’à identifier le plus bel ensemble. Une fois cette étape terminée, nos partenaires vont parcourir le monde et acquérir plusieurs lots de pierres. La plupart de celles-ci s’acquièrent au stade de la «pré-forme». Il s’agit de pierres semi-taillées qui permettent d’avoir un excellent rendu de la couleur. Nos partenaires vont ensuite les faire tailler sur-mesure selon nos plans avant de nous les livrer. La technique du serti invisible est si complexe que la taille de chaque pierre peut demander jusqu’à 8 heures de travail.»

Audemars Piguet défie l'arc-en-ciel

Lorsque l’on regarde l’ensemble de ces garde-temps, on imagine difficilement le degré de complexité du processus. «Au vu du haut niveau d’exigence, chaque étape a représenté un défi, poursuit Nathalie Barzilay. Nous avons sélectionné les couleurs les plus vives, les pierres les plus pures afin d’obtenir un ensemble vif et homogène. Outre l’approvisionnement, le sertissage de ces pierres est une véritable prouesse, exécutée de main de maître par notre partenaire Salanitro. Il faut savoir que les pierres de couleur choisies sur ce set sont plus fragiles que les saphirs et les diamants, rendant le sertissage particulièrement délicat. En somme, c’est la passion débordante de nos partenaires et de nos équipes qui nous a permis de relever ce défi d’envergure.»

«La technique du serti invisible est si complexe que la taille de chaque pierre peut demander jusqu’à 8 heures de travail.»

L’entreprise Salanitro SA (lire ici) travaille depuis de longues années avec la manufacture du Brassus, comme avec la plupart des grandes maisons horlogères, et maîtrise parfaitement la technique du serti invisible. Il a fallu réunir le savoir-faire de dix sertisseurs pour mener à bien ce projet.

Pierre Salanitro
Pierre Salanitro

«Très peu de sertisseurs en Suisse sont capables de réaliser ce travail et les meilleurs sont au service de Salanitro SA, explique Pierre Salanitro. Nous avions déjà réalisé des montres en serti invisible pour plusieurs de nos clients mais jamais autant de montres complètes avec bracelets en même temps, avec autant de différentes pierres extrêmement délicates.»

Audemars Piguet défie l'arc-en-ciel

Lorsqu’on lui demande quelle fut plus grande difficulté de ce projet, il en fait la liste, parce qu’il y en a plusieurs: «L’approvisionnement des pierres, l’uniformisation des couleurs, la fabrication de tous les composants car le sertissage invisible requiert un usinage des pièces particulier, le polissage et les finitions de très haut niveau.»

Audemars Piguet défie l'arc-en-ciel

La technique du serti invisible est déjà un défi en soi, mais le pratiquer avec des pierres qui ne sont pas toutes carrées ou rectangulaires, du fait de la forme de la montre, est une difficulté supplémentaire. «Chaque pierre est ajustée pour un emplacement très précis qui est calculé dès le départ du projet lors de l’étude et développement en fonction des géométries disponibles et des emplacements», explique Pierre Salanitro.

Le temps qui s’est écoulé entre la conception du projet et sa phase finale est de dix-huit mois. Dix-huit mois pour créer un double arc-en-ciel…

L’origine du serti invisible

Il est difficile de dire avec exactitude qui a inventé ce procédé où l’on n’aperçoit ni griffe, ni grain, ni serti clos, ni aucune matière métallique retenant les gemmes. Les maisons Langlois, Van Cleef & Arpels et Cartier se disputent aimablement l’invention mais il se pourrait bien qu’il soit antérieur et qu’il ait été inventé par Joseph Chaumet, qui a déposé un brevet le 17 août 1904, soit des années avant Langlois qui aurait inventé cette technique en 1929, trente ans avant Cartier qui a déposé un brevet le 18 mars 1933 et Van Cleef & Arpels qui a déposé le sien le 2 décembre 1933 puis un second le 29 avril 1936.

Le brevet de Joseph Chaumet était intitulé «Mode de montage des pierres destinées à la fabrication des bijoux ou joyaux de toutes natures». Il portait sur un dispositif de montage des pierres solidarisées «à l’aide d’une ossature métallique». «La préparation des pierres et l’agencement de l’ossature sont tels que le joyau étant achevé, il apparaît aux yeux comme étant formé presque uniquement de pierres, la carcasse métallique se trouvant encastrée dans ces dernières», explique le brevet.

Pour la première fois dans l’histoire de la joaillerie, les pierres n’étaient pas serties grâce à des techniques classiques où le métal précieux apparaît, même de manière infime: elles étaient maintenues par une structure métallique bien présente, mais invisible à l’œil. D’où le nom de serti invisible ou mystérieux.