Joaillerie et horlogerie


Les bijoux murmurés d’Alice Fournier

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mars 2023


Les bijoux murmurés d'Alice Fournier

La Suissesse Alice Fournier crée des bijoux d’une extrême délicatesse. Les pierres précieuses ou fines, aux teintes inattendues, tiennent le premier rôle. Ses créations racontent en beauté l’histoire de celles qui les portent. Rencontre.

A

vant de parler de la joaillière suisse Alice Fournier, il est bon d’évoquer ses créations, en commençant par ce qu’elles ne sont pas. Elle ne crée pas des bijoux sonores comme les chantaient Baudelaire ni des parures qui parlent haut d’un statut social réel ou imaginaire. Ses bijoux sont d’une politesse et d’une délicatesse extrêmes: ils murmurent. Et les histoires qu’ils racontent, que ce soit celle de la personne qui les porte ou de la pierre dont ils sont ornées, sont si belles.

Après avoir été diplômée du Gemological Institute of America et de la Haute Ecole de Joaillerie à Paris, Alice Fournier a travaillé chez Stone Paris en tant que dessinatrice. Approchée par l’un des négociants de pierres les plus réputés, Paul Wild, elle a fondé pour eux le bureau parisien dont elle a pris la direction. Outre sa formation en gemmologie, cette expérience dans le négoce des pierres précieuses lui a donné toutes les connaissances dont elle avait besoin pour pouvoir, lorsque le désir de créer s’est fait sentir, se lancer dans une belle aventure: donner vie à sa propre marque. Et c’est ainsi qu’en 2018 elle a créé Alice Fournier Joaillerie.

Alice Fournier
Alice Fournier
©Chloé Bruhat

Les pierres sont sa passion: elles sont les stars de ses collections. Alice Fournier les présente en majesté sur des montures minimales et délicates. Si elle trouvait le moyen de se passer de monture, elle tenterait l’aventure sans doute… Ses clientes viennent chez elle justement parce qu’elle a constitué un trésor de pierres rares au fil des ans. Elle a ses préférences: les saphirs Padparadscha, les spinelles aux couleurs inattendues, rouges, orangé ou gris, les tourmalines Paraiba, les diamants champagne, des couleurs inattendues. Elle continue d’ailleurs à se fournir auprès de la compagnie Paul Wild.

Les bijoux murmurés d'Alice Fournier

Outre les collections qu’elle dessine, elle adore créer des bijoux sur mesure pour ses clientes qui se transmettent son nom comme un secret bien gardé. Nous l’avons rencontrée dans la Vieille Ville de Genève où elle présentait ses dernières créations.

Les bijoux murmurés d'Alice Fournier

Europa Star: Quand vous avez lancé votre marque, que vouliez-vous apporter au monde de la joaillerie?

Alice Fournier: J’avais envie d’imposer une vision, des envies. Ce n’est pas toujours évident, d’ailleurs. Une de mes clientes, par exemple, souhaitait une bague de fiançailles et avait quelque chose de très précis en tête: elle voulait une bague d’inspiration Art déco. Or toutes les pièces qu’elle essayait étaient des bijoux tout en rondeur, des choses très fines, très éloignées de cet esprit. En discutant avec elle, après deux rendez-vous, j’ai compris que sa maman avait une bague art déco et qu’elle assimilait sa bague de fiançailles à celle de sa mère. C’était un désir purement sentimental et affectif. Or je n’aime pas reproduire des bijoux anciens, cela n’a pas de sens, ils sont tellement beaux pour ce qu’ils sont. Je lui ai conseillé d’acheter plutôt un bijou ancien, si elle tenait vraiment à avoir une bague Art déco.

Les bijoux murmurés d'Alice Fournier

Pourtant, certaines de vos bagues évoquent des bijoux de la Renaissance?

Je peux reprendre des codes de certaines époques, car tout ou presque a déjà été inventé, mais je les associe avec des gemmes de couleur. Cela donne une association de pierres et de volumes inattendus. J’ai d’ailleurs de la chance de travailler aussi à Genève car les demandes des clientes sont très différentes de celles de Paris qui veulent toutes le même bijou griffé. Elles ont une connaissance et le goût de l’unicité.

«Je n’aime pas reproduire des bijoux anciens, cela n’a pas de sens, ils sont tellement beaux pour ce qu’ils sont.»

Les bijoux murmurés d'Alice Fournier

Où vous porte votre monde imaginaire?

Toujours vers la couleur! Ma passion des pierres fait que j’aurai toujours envie d’emmener une cliente vers une gemme atypique, exceptionnelle, que je vais sublimer. Les montures restent sophistiquées, avec des détails cachés. L’arrière de certaines boucles d’oreilles est d’ailleurs serti de pierres, parce qu’elles doivent être belles même si la femme qui les porte s’attache les cheveux et qu’on la regarde de dos. Ce sont les pierres qui comptent avant tout.

Les bijoux murmurés d'Alice Fournier

Un bijou a-t-il un pouvoir magique à vos yeux?

Bien sûr! Mais c’est à la personne qui va le porter de le définir. Je suis convaincue que dans les histoires de transmission de bijoux, quelque chose d’un autre ordre passe d’une personne à une autre. Par exemple, le collier que je porte aujourd’hui a été réalisé avec un accessoire qui s’utilisait sur les montres à gousset. Ma grand-mère me l’a donné un jour, je l’ai transformé et depuis je le porte en collier. Je sens que cet objet me donne de la force. On a tous des petits talismans que l’on nous a transmis.

«Le collier que je porte aujourd’hui a été réalisé avec un accessoire qui s’utilisait sur les montres à gousset. Ma grand-mère me l’a donné un jour, je l’ai transformé et depuis je le porte en collier. Cet objet me donne de la force.»

Quelle est votre pierre préférée?

Ma pierre préférée, celle qui me bouleverse quand j’en vois une, c’est le saphir Padparadscha. Un beau saphir bleu me plaira bien sûr, mais il ne me fera pas vibrer comme le Padparadscha. J’adore les spinelles aussi, car ils ont un spectre très large de couleurs: ils peuvent être gris, rose, rouge… Et surtout ils ont une telle brillance! J’aime aussi des pierres moins attendues comme la tsavorite ou la tourmaline Paraiba, avec son turquoise acidulé. Aujourd’hui, la cote des pierres fines explose parce que la demande a fortement augmenté.

Qu’est-ce qui vous émeut tout particulièrement dans les saphirs Padparadscha?

Le fait qu’en fonction de la source de lumière sous laquelle on la place, la pierre semble vivante. Elle passe du rose à l’orange. J’aime aussi le fait qu’elle a un côté un peu «passe-partout», sans que ce soit péjoratif: on peut la porter avec une paire de jeans et un sweat-shirt tout comme avec une belle robe du soir. Il suffit d’une belle lumière et elle se met à briller de tous ses feux. J’apprécie également le fait qu’elle ne soit pas trop connue. J’ai d’ailleurs choisi cette pierre pour ma bague de fiançailles.

Les bijoux murmurés d'Alice Fournier

Quand des clientes viennent vous voir pour réaliser un bijou sur mesure, est-ce que vous leur conseillez d’opter pour une pierre ayant une valeur d’investissement?

Absolument. Mon ambition pour la marque, c’est de monter en gamme et justement cet aspect d’investissement est très intéressant. Les gens ne sont pas forcément avertis. On en est au début. Cela fait douze ans que je travaille dans le négoce et je n’ai jamais vu une pierre perdre de la valeur. La seule gemme dont la cote n’a pas beaucoup évolué, c’est la tanzanite. Elle est assez récente. Savoir choisir les pierres qui peuvent devenir de bons investissements, c’est une question de flair. J’essaie de plus en plus d’amener mes clients vers cela. C’est une démarche didactique, mais cela ne me dérange pas: ce métier, c’est ma passion.

«Cela fait douze ans que je travaille dans le négoce et je n’ai jamais vu une pierre perdre de la valeur. On en est au début.»

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