Joaillerie et horlogerie


Chopard: dans les pas de Caroline Scheufele

PORTRAIT

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juin 2023


Chopard: dans les pas de Caroline Scheufele

En créant des collections de haute joaillerie alors que Chopard était une entreprise horlogère, en devenant partenaire officiel du Festival de Cannes il y a 26 ans et en choisissant d’inscrire la marque dans une démarche durable, la co-présidente de Chopard a radicalement transformé l’image de cette maison. Entretien.

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orsqu’elle était enfant, Caroline Scheufele rêvait d’être une danseuse étoile. Son rêve a laissé place à une tout autre destinée. Parce que ses parents Karl et Karin Scheufele dirigeaient Chopard, une entreprise horlogère, elle y est entrée en passant par tous les départements, tout comme son frère, Karl-Friedrich Scheufele. Devenus tous les deux co-présidents de la maison, chacun occupe une place correspondant à son tempérament. Karl-Friedrich a développé la partie horlogère de l’entreprise avec brio, allant jusqu’à créer la manufacture L.U.C, à Fleurier; quant à Caroline, elle a offert à la marque un nouveau métier: la haute joaillerie.

Il y a 26 ans, elle a eu l’idée de proposer à Pierre Viot (directeur du Festival de Cannes de 1984 à 2000, ndlr) à la fois de redessiner la Palme d’or et de devenir partenaire du festival. Sensibilisée au commerce équitable par son amie Livia Firth, fondatrice de l’agence Eco-Age, Caroline Scheufele fut la première joaillière à lancer à Cannes une collection Green Carpet composée de parures éthiques fabriquées avec de l’or Fairmined, extrait d’une mine durable de Colombie, sertie de diamants et de pierres de couleur provenant d’exploitants certifiés par le Responsible Jewellery Council. C’était en 2013. Depuis 2018, toutes les parures Chopard sont fabriquées en or éthique.

Caroline Scheufele
Caroline Scheufele

Le souci de durabilité touche tous les domaines de la création chez Chopard: la haute joaillerie, les parfums et aussi les montres. Lors du salon Watches and Wonders qui s’est tenu à Genève en avril dernier, Karl-Friedrich et Caroline Scheufele ont tenu ensemble une conférence de presse pour annoncer qu’ils utilisaient désormais 80% d’acier éthique dans la fabrication des montres Chopard: le Lucent Steel. Et ils visent à en utiliser 90% d’ici 2025. Les co-présidents étaient accompagnés par l’actrice Julia Roberts, ambassadrice de la maison.

Les pierres extraordinaires fascinent Caroline Scheufele. En novembre 2015, elle a acquis un diamant brut de 342 carats extrait d’une mine du Botswana. De cette gemme d’une pureté rare sont sortis 23 diamants, qui ont été montés sur une parure présentée à Paris en janvier 2017, baptisée Queen of Kalahari. Quelques années plus tard, en janvier 2022, la co-présidente de Chopard a présenté à Paris une émeraude exceptionnelle baptisée Chopard Insofu («éléphant» en langue bemba) qui avait été découverte dans la mine de Kagem, en Zambie. Il s’agit de l’une des plus importantes émeraudes mises à jour, à la fois de par son poids – 6’225 carats – et sa qualité.

Si le nom de Chopard brille désormais aux quatre coins de la planète, c’est bien sûr grâce à la qualité irréprochable de toutes les créations sortant des ateliers, qu’elles soient joaillières ou horlogères. Mais c’est aussi grâce à la personnalité solaire de sa co-présidente, à sa créativité et à son sens du marketing. Devenir partenaire de Cannes et redessiner la Palme ont joué le rôle d’accélérateur de notoriété pour la maison Chopard. A l’heure où nous écrivions ces lignes, Caroline Scheufele présentait à Cannes sa nouvelle collection de haute joaillerie: la meilleure ambassadrice de la maison, c’est elle.

Europa Star: Pour le 76ème Festival de Cannes, vous avez dessiné 76 pièces, une pour chaque anniversaire. Quelle était votre source d’inspiration pour cette collection?

Caroline Scheufele: Le thème, cette année, c’était l’art au sens large: la danse, la musique, la sculpture, l’écriture, le cinéma. Les pièces sont inspirées par ces différentes expressions artistiques. Le collier avec les plumes, par exemple, évoque l’écriture.

Le collier avec les émeraudes taille cœur et celui avec les diamants jaunes sont spectaculaires. Est-ce que ce sont ces pierres exceptionnelles qui vous ont inspiré les dessins?

Dans ce cas précis, et quand les pierres sont importantes, ce sont elles qui m’inspirent.

Collier en or éthique blanc 18 carats, certifié Fairmined, et en titane, serti d'émeraudes tailles cœur et poire et de saphirs taille brillant
Collier en or éthique blanc 18 carats, certifié Fairmined, et en titane, serti d’émeraudes tailles cœur et poire et de saphirs taille brillant

Comment arrivent-elles jusqu’à vous?

Je chasse, mais on me chasse aussi. Nos partenaires dans les mines et ceux qui travaillent dans les bruts savent que nous recherchons l’exceptionnel, des pierres uniques. Et parce que nous travaillons avec eux depuis des années, ils me les proposent souvent en avant-première.

En parlant de pierres exceptionnelles, en janvier 2022, vous avez présenté à Paris une émeraude brute de 6’225 carats que vous avez baptisée Insofu. Que va-t-elle devenir?

Elle est en train d’être taillée. Cela prend forme. Je travaille sur les premiers dessins. Nous devrions pouvoir présenter toute la collection en janvier 2024 à Paris, en même temps que nous ouvrirons officiellement notre hôtel.

Emeraude Chopard Insofu
Emeraude Chopard Insofu
©Eric Sauvage

En combien de pierres ce brut va-il être taillé?

On ne peut pas encore le savoir parce que, contrairement au diamant Queen of Kalahari, pour lequel il était possible de planifier et de calculer le nombre de diamants obtenus à la fin, avec une émeraude c’est impossible. Un diamant étant quasiment transparent, on peut littéralement entrer dans la pierre avec un scanner, ce qui n’est pas le cas avec une émeraude. Du fait de ses jardins et de sa couleur, les tailleurs ne peuvent pas anticiper. Ils commencent par l’extérieur et travaillent au feeling. Quand une pièce se détache, ils me demandent si je souhaite plutôt une émeraude plate ou une poire. Cela avance petit à petit.

Lors du salon Watches and Wonders, vous avez tenu avec votre frère Karl-Friedrich une conférence de presse en présence de l’actrice Julia Roberts. Comment est-elle devenue l’ambassadrice de Happy Sport d’abord et de Chopard ensuite?

Je l’ai connue à Cannes en 2016, lorsqu’elle a monté les marches pieds nus. Elle portait un grand collier avec une émeraude et elle a dit: «Si je porte ce collier, je n’ai pas besoin de chaussures.» Lorsque nous avons commencé à travailler sur la campagne de publicité «pure happiness», autour du bonheur des femmes, notre département marketing m’a proposé de très belles actrices pour l’incarner mais je leur ai répondu que le plus beau sourire manquait sur la table: celui de Julia Roberts. Je leur ai demandé de la contacter parce que si l’on ne demande pas, on n’a rien. Or elle était enchantée, notamment en raison de notre engagement durable et de l’usage d’or éthique dans nos collections. Elle a d’abord été l’ambassadrice des montres Happy Sport et désormais elle représente la marque et toutes les collections féminines y compris l’Alpine Eagle, qui est une montre unisexe. Elle veut revenir à Genève pour découvrir tous nos ateliers. Elle est très engagée.

La conférence de presse Lucent Steel à Genève lors de Watches and Wonders 2023

Vous avez été la première joaillière à utiliser de l’or Fairmined avec la Green Carpet Collection en 2013. A l’époque, certaines maisons n’y croyaient pas du tout! C’était visionnaire…

En 2011, Colin Firth a reçu l’Oscar du meilleur acteur pour Le discours d’un roi. Il portait une montre mécanique L.U.C. J’avais pris un café avec Livia Firth qui était alors son épouse, une femme très engagée dans la mode durable. Elle m’a demandé d’où provenait mon or. Je lui ai répondu qu’il venait de la banque. Mais en réalité, honnêtement, je ne savais rien de ses origines. C’est cela qui m’a donné le déclic. Elle m’a mise en contact avec des ONG et différentes organisations qui font du due diligence. En rentrant à Genève, j’en ai tout de suite parlé avec Karl-Friedrich, qui est très versé dans la protection de la nature, et il m’a immédiatement suivie. Nous avons commencé petit, avec une mine artisanale en Colombie. Quand les premiers kilos d’or sont arrivés, on les a traités avec beaucoup plus de respect que l’or traditionnel. Nous avons commencé à l’utiliser dans la haute joaillerie, parallèlement mon frère en a fait usage dans les montres L.U.C. et désormais toute la production Chopard est en or éthique, qu’il soit recyclé ou Fairmined.

Le Lucent Steel™ est produit à partir d'au moins 80% d'acier recyclé.
Le Lucent Steel™ est produit à partir d’au moins 80% d’acier recyclé.

Aujourd’hui, tout le monde vous imite. Peut-on encore faire l’économie de cette réflexion autour de l’origine des matières premières dans le domaine du luxe?

Non, le luxe doit être transparent. On doit continuer le voyage et aller jusqu’au bout. Même s’il reste encore beaucoup à faire. Ce sont nos valeurs que nous mettons en avant.

Quelles sont les plus grandes difficultés auxquelles vous faites face en choisissant de ne travailler qu’avec des matériaux éthiques?

C’est une question de temps. Pour la fabrication de nos montres en acier, nous parviendrons à couvrir nos besoins avec 80% d’acier recyclé à la fin de l’année. C’est un grand pas en avant. Et nous espérons couvrir au moins 90% de la production vers 2025. Nous avons décidé de travailler avec des partenaires qui sont basés en Suisse et en Autriche*, proches de nos propres centres de production, ce qui permet de réduire les émissions liées au transport. Utiliser de l’acier recyclé nous permet de nous attaquer à l’impact de nos produits en termes d’empreinte carbone. 

Chopard est une maison indépendante qui n’est pas cotée en bourse. Quelles sont les forces et les faiblesses d’une compagnie détenue par les membres d’une même famille?

Les grands groupes n’ont pas notre liberté, ni notre vitesse de réaction: nous pouvons nous adapter très vite à différentes situations. Dans les groupes, les CEO arrivent et repartent et cela enlève un peu de son âme à la marque. Dans nos ateliers, on sent qu’il y a une famille derrière.

Votre frère et vous possédez deux personnalités très différentes et complémentaires, comment co-dirigez-vous?

Depuis toujours nous travaillons ensemble dans le même bureau. Même si nous avons déménagé quatre fois, nous avons toujours décidé de rester ensemble. Nous sommes un peu comme le yin et le yang. Mon domaine est féminin, le sien est masculin. Cela fonctionne très bien.

Comment définiriez-vous le fonctionnement de la compagnie Chopard: une démocratie participative? Une monarchie parlementaire?

Une démocratie. On ne peut pas tout faire tout seul. Il faut une équipe pour réussir. Il est très important que les artisans sachent pourquoi ils font les choses et ils le font avec passion. Mais cela pourrait aussi être une monarchie parlementaire (rires).

Quand vous regardez en arrière, de quoi êtes-vous le plus fière?

Quelques étapes m’ont marquée et ont fait que je me trouve où je suis aujourd’hui. Les premiers clowns que j’ai dessinés alors que j’étais encore à l’école et qui ont donné lieu à une collection de bijoux. Ensuite il y a eu la naissance de la Happy Sport, la première montre en acier avec des diamants. A l’époque on m’a dit que j’étais un peu folle mais c’est l’une de nos collections phares. Et évidemment notre partenariat avec le Festival de Cannes et le fait d’avoir redessiné la Palme d’or. Je pense aussi à ce voyage créatif autour du diamant Queen of Kalahari et bien évidemment toute l’aventure autour de l’or éthique.

Chopard: dans les pas de Caroline Scheufele