out a commencé il y a 170 ans exactement. En 1854, Gübelin n’est qu’une petite boutique de montres et d’horloges à Lucerne. Mais l’enseigne se développe rapidement en introduisant ses premières pièces de joaillerie. Dès le début du 20^ème siècle, alors que l’industrie connaît la croissance, les premières pierres synthétiques apparaissent.

Cela constitue le premier signal pour la famille Gübelin qu’un processus d’authentification des pierres s’avère nécessaire. La société commence alors à délivrer des certificats pour garantir la provenance de ses propres pierres. Dès le début des années 1920, l’entreprise ouvre son premier atelier de joaillerie et un petit laboratoire de gemmologie. En 1923, elle crée le Gem Lab, pour assurer l’authenticité des pierres serties sur leurs bijoux… une fonction que le laboratoire remplit encore aujourd’hui, un siècle plus tard.

Raphael Gübelin représente la sixième génération à la tête du groupe Gübelin. Il en est le CEO depuis 2011.

Raphael Gübelin, qui représente la sixième génération à la tête de l’entreprise, explique: «C’était vraiment une vision pionnière, qui découlait des valeurs fondamentales de notre famille et de notre passion pour les pierres. Mon grand-oncle, Eduard Josef Gübelin, était un gemmologue et un scientifique accompli. Il découvrit que les motifs complexes à l’intérieur des pierres pouvaient être identifiés dans d’autres pierres provenant de la même mine. Cela a posé les fondations pour aller vers une identification précise et une authentification des pierres de couleurs, jusqu’à aboutir à un processus qui permet de révéler l’origine et l’authenticité des pierres, voire même les divers traitements subis. Dès le début, il a été question d’authenticité et de transparence pour construire la confiance.»

Gübelin ne s’est pas reposé sur ses lauriers et a toujours cherché à améliorer ses méthodes et procédés. Raphaël Gübelin poursuit: «Par exemple, nous pouvions identifier de quel pays venait un rubis, mais pas de quelle mine exactement ou quand il avait été extrait. Ajoutez à cela toutes les considérations d’éco-responsabilité croissantes et nous avons commencé à réfléchir à la manière de tracer les pierres directement depuis la mine. C’est ainsi que, dès 2017, est née la strucure Provenance Proof, ainsi que nos «traceurs physiques». Nous avons travaillé avec une émanation de l’EPFZ (Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich) et développé un traceur ADN synthétique unique que l’on peut «insérer» dans la pierre directement à la mine. Cela devient un traceur unique immédiatement identifiable.»

Collection de pierres de couleurs de référence de Gem Lab pour Gübelin, toutes identifiables à leur mine respective

Concrètement, une mine (une entreprise ou même une entité gouvernementale) peut s’adresser à Provenance Proof, une entreprise autonome dans le groupe Gübelin, et faire une demande pour un ADN spécifique, à l’image d’une «nano-étiquette», afin d’identifier une mine, une entreprise, un pays ou une année de production. «La beauté de cette technologie est qu’elle offre une protection contre les contrefaçons et toutes revendications d’origine frauduleuses. De plus, elle peut être multipliée afin d’identifier une pierre à plusieurs niveaux (origine, date d’extraction, traitements, ndlr). Les tests fonctionnent ensuite comme de simples tests PCR», ajoute Raphael Gübelin.

En plus de ce traceur physique, Provenance Proof offre une deuxième technologie pour sécuriser les données. Il s’agit d’un deuxième volet de la certification (bien que les deux technologies puissent fonctionner séparément). «Une fois les données récoltées, il nous faut les sécuriser, précise le dirigeant. La technologie blockchain s’est imposée comme une évidence. Elle permet d’enregistrer toutes les parties prenantes dans l’historique d’une pierre au sein d’un registre infalsifiable.»

Provenance Proof Blockchain, lancée en 2019, est un répertoire digital sécurisé par la blockchain. Chaque opération sur la chaîne de valeur d’une pierre, de l’état brut à la pièce joaillière finie, y est enregistrée et peut être «partagée en toute sécurité». La technologie est ouverte à l’utilisation par tous.

«La plupart des demandes que nous recevons proviennent de companies minières. Mais nous sommes aussi sollicités par des joailliers qui souhaitent identifier leurs pierres, voire même leurs sertissages. La technologie s’applique à toutes les tailles de pierres. De plus, les entreprises peuvent décider d’ajouter d’autres informations, comme une certification Fairmined, de la due diligence sur les droits humains et les impacts environnementaux. C’est une technologie aux applications très larges qui permet une réelle traçabilité globale et peut servir une approche transparente et éco-responsable», souligne Raphael Gübelin. La société lucernoise propose une plateforme digitale, sécurisée par la blockchain, pour simplifier l’accès et la vente de pierres précieuses de manière transparente.

Collier en émeraude et diamants Dancing Dunes de Gübelin

La technologie des traceurs physiques peut-elle être adaptée aux diamants également? Le traceur pourrait certes être «intégré» à la mine directement… mais les traitements chimiques postérieurs l’effaceraient. Le président de Gübelin élabore: «Comme le traceur physique ne supporterait pas les diverses étapes du traitement d’un diamant de l’état brut jusqu’à son état prêt à être serti, un sytème de traçage multiple est nécessaire. Mais quand on veut, on peut. Cela aura probablement un impact sur le prix final. Mais comme les traceurs sont spécifiques à chaque entreprise, les coûts sont relatifs aux volumes traités.»

En fin de compte, c’est une question de savoir ce qui importe le plus pour chaque entreprise, que ce soit une mine ou un joaillier, et comment elle souhaite utiliser la technologie pour créer de la valeur. Le but du Processus de Kimberley, introduit en 2003, était d’éliminer les «diamants issus de conflits» du négoce. Cela a entrainé la création du Responsible Jewellery Council en 2005. La technologie est à présent disponible pour rendre la traçabilité encore plus forte et plus sécurisée.

Joaillerie Gübelin, bagues Greenland serties de rubis

«Nous avons lancé notre Provenance Proof en 2017 et avons rajouté la blockchain en 2019 car cela répond à nos valeurs centrales de transparence, que nous portons depuis plus d’un siècle, ajoute Raphael Gübelin. En février 2023, nous avons introduit Gemtelligence qui utilise l’intelligence artificielle dans notre Gem Lab. Cela nous permet d’interpréter encore plus de données pour chaque pierre de couleurs. C’est un outil très efficace qui améliore encore nos procédés d’analyse. Cela fournit des détails précis sur l’origine, l’âge, les descriptions physiques et les traitements subis pour chaque pierre, qu’il s’agisse de rubis, de saphirs ou d’émeraudes. Chez Gübelin, nous avons toujours utilisé la technologie pour le bénéfice de la transparence, non pas comme un outil marketing.»

L’entreprise familiale a conservé son approche pionnière des débuts. C’est là certainement une explication de sa persistance à trouver des outils favorisant la transparence, alors que celle-ci n’est aujourd’hui plus une simple option dans le monde de la joaillerie.