Joaillerie et horlogerie


Dior Joaillerie: Plongée dans l’imaginaire féérique de Victoire de Castellane

mai 2025


Dior Joaillerie: Plongée dans l'imaginaire féérique de Victoire de Castellane

Pour Dior Milly Dentelle, la dernière collection de haute joaillerie qu’elle a créée, Victoire de Castellane, la directrice artistique de Dior joaillerie, s’est inspirée de la dentelle, l’une des matières de la haute couture, afin de la transformer en bijoux. Les sertisseurs et joailliers ont réussi à en rendre l’infini légèreté. Cela fait 26 ans que Victoire de Castellane invente des joyaux sortis de son imaginaire foisonnant pour Dior. Lors d’un entretien nous avons évoqué cette épopée des merveilles.

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n pourrait dessiner Victoire de Castellane en quelques traits: une frange surlignant des yeux immenses qui se posent sur le monde et le transforment en éclats de beauté, une silhouette à la taille très fine travaillée au hula hoop, une robe qui s’évase et des escarpins à talons hauts. Hauts, parce qu’il faut pouvoir tutoyer les nuages pour inventer ces bijoux qui sont des antidotes à la réalité.

Victoire de Castellane est entrée chez Dior le 1er janvier 1998 après avoir quitté le studio Chanel où elle avait créé les bijoux couture dès 1983 aux côtés de Karl Lagerfeld. Elle était habitée par une envie de bousculer un monde pétri de conventions et est arrivée avenue Montaigne avec sa liberté en bannière, son amour du passé, ses rires et ses rêves.

Victoire de Castellane, directrice artistique de Dior Joaillerie
Victoire de Castellane, directrice artistique de Dior Joaillerie
Photo: ©Robin Galiegue

Chacune de ses collections est une invitation à découvrir son monde enchanté. Ses bijoux racontent des histoires imprégnées de magie, d’humour et de ce panache qu’elle a sans doute hérité de l’une des plus anciennes familles françaises dont l’origine remonte au VIe siècle. Pendant toutes ses années chez Dior, l’arrière petite-nièce de Boni de Castellane, dandy éblouissant du Second Empire, a tout osé : présenter un faux téléachat pour vendre une pièce à un million d’euros, lancer une collection de bijoux sur l’île virtuelle de Belladone Island hébergée sur Second Life, inventer une collection de bagues fleurs carnivores, Milly Carnivora, laquées de couleurs psychédéliques… Elle a aussi osé créer des bijoux minuscules, précieux tatouages de doigts, permettant ainsi à des générations de femmes de s’offrir une part du rêve de la place Vendôme.

Boucles d'oreilles Dior Milly Dentelle, or jaune et diamants
Boucles d’oreilles Dior Milly Dentelle, or jaune et diamants
Photo: ©Dior Joaillerie

Après avoir exploré les confins de son imaginaire, ces dernières années, Victoire de Castellane a eu à cœur de rendre hommage au métier premier de la maison Dior, la haute couture, et de l’exprimer à travers des bijoux. Mais comment rendre la souplesse d’un ruban, la légèreté d’une dentelle, dans une matière rigide? Sa dernière collection, baptisée Dior Milly Dentelle, est née grâce à sa volonté à repousser les limites techniques et au savoir-faire des ateliers.

Au fil de la conversation, Victoire de Castellane utilise souvent les mots « amusant » et « merveilleux ». C’est si rare de croiser le chemin d’une amusée qui s’émerveille…

Collier Dior Milly Dentelle, or blanc, rose et jaune, diamants blancs et jaunes, perles de culture blanches.
Collier Dior Milly Dentelle, or blanc, rose et jaune, diamants blancs et jaunes, perles de culture blanches.
Photo: ©Dior Joaillerie

Europa Star: La dentelle, c’est la légèreté même, ce sont des fils qui dessinent des motifs autour du vide. Comment parvenez-vous à rendre cela avec des bijoux fabriqués dans des matières rigides?

Victoire de Castellane: Le bijou doit être visuellement très fin mais pas au point de se casser. Les artisans travaillent à rendre le métal le plus léger possible, grâce à la technique du fil-couteau et du ciselage. C’est tout le travail de l’atelier de trouver le bon équilibre entre la souplesse et la rigidité. Cet équilibre est l’une des complexités techniques de la collection. J’ai voulu créer des dentelles et des résilles qui ont des formes de fleurs. Je trouve cela très joli de jouer avec ce côté floral, avec la nature.

En 2018, pour les 20 ans de la joaillerie Dior, vous aviez déjà créé une collection inspirée de la dentelle, également avec Dearest Dior en 2023, même si l’interprétation était différente. Est-ce une histoire destinée à continuer et à évoluer?

Oui, la dentelle est un thème important et intemporel chez Dior qui est une maison de couture à l’origine. Les motifs de dentelle me rappellent les bijoux anciens et je trouve que c’est beau de retrouver des techniques joaillières qui ont existé, qui ont été perdues, que nous faisons évoluer et remettons au goût du jour.

On a l’impression qu’avec chaque collection vos idées poussent les ateliers à relever de nouveaux défis. Quels étaient les plus grands challenges de cette collection?

Il y en a eu plusieurs. Le poids tout d’abord: quand on crée des bijoux qui ont du volume, il faut que leur poids soit équilibré. Les sertis sont donc affinés au maximum. Le challenge, c’était aussi de réaliser des dégradés très subtils, de donner au bijou du mouvement grâce à des emmaillements particuliers, d’arriver à ce que la maquette soit la juste interprétation du dessin, de respecter l’asymétrie que je demande. Chaque fois que l’on a rendez-vous avec les ateliers, il y a des petits calages à faire par rapport au dessin. Tout est une question d’équilibre visuel. Mais j’ai la chance de travailler avec les meilleurs ateliers du monde: ce sont des virtuoses, ils ont des mains tellement précises! Arriver à mettre en œuvre un bijou d’après le dessin, c’est déjà en soi un énorme défi.

Les sets Jardin Brodé et Céleste Précieux évoquent les dessins d’art naïf. Quelle était votre inspiration?

J’adore l’univers de l’enfance. Cette collection a été imaginée il y a deux ans, or les bruits du monde étaient hostiles, nous recevions constamment des nouvelles sinistres. J’ai eu envie d’imaginer un espace comme une bulle dans laquelle on se réfugierait et où l’on pourrait jouer. J’ai voulu mettre un peu du monde de l’enfance dans ces bijoux, d’où l’idée des petites pommes dans les arbres, des minuscules jardins, des mini nuages. Quel est le métier dans lequel on emploie tous les jours les expressions: «  C’est incroyable! », « c’est magnifique! », « c’est merveilleux! », « c’est magique! », « c’est amusant! », « c’est ravissant! », » c’est sublime! »? Tous les jours, on entend cela quand on nous livre un bijou terminé. Et avant de le découvrir, on se réjouit de ce que ce qu’il va être. On se projette en se disant que cela va être incroyable. Cela fait rêver.

Réalisation du gouaché et assemblage du collier Dior Milly Dentelle en or blanc, rose et jaune, diamants blancs et jaunes, perles de culture blanches.
Réalisation du gouaché et assemblage du collier Dior Milly Dentelle en or blanc, rose et jaune, diamants blancs et jaunes, perles de culture blanches.

Ces pièces peuvent-elles être perçues comme un message de l’enfant que vous avez été à l’adulte que vous êtes devenue?

Absolument! Je crée comme si j’avais cinq ans et j’ai besoin de garder cette fraîcheur et cette innocence qu’on perd en étant un adulte. Je pense qu’il faut la garder pour pouvoir être libre de trouver quelque chose de nouveau à chaque fois, de ne pas se bloquer l’esprit et de faire comme les enfants qui ne se posent pas de questions et qui jettent leurs idées. C’est très important de garder cet état d’esprit dans le travail, en tout cas quand on fait un travail créatif car si l’on est médecin ou chirurgien, ce n’est pas une très bonne idée (rires).

Vos premières collections de joaillerie Diorette représentaient des fleurs peintes en émail, or avec Dior Milly Dentelle, on a le sentiment qu’elles sont peintes avec des pierres précieuses et fines. Peut-on lire un lien de filiation entre ces collections?

Oui, on pourrait, mais je n’aime pas me répéter. Dans cette dernière collection, il n’y a pas de laque mais il y a des pierres. J’aime bien utiliser de la laque quand il y a une bonne raison de le faire, par exemple, quand on s’amuse à laquer des griffes pour que le métal se perde sur la pierre ou pour apporter une couleur que l’on ne retrouve pas dans les gemmes mais cette fois-ci, ce n’était pas le propos.

Collier Dior Milly Dentelle, or jaune, diamant jaune, émeraudes, rubis, saphirs roses.
Collier Dior Milly Dentelle, or jaune, diamant jaune, émeraudes, rubis, saphirs roses.
Photo: ©Dior Joaillerie

Vous êtes-vous inspirée d’un modèle particulier de haute couture Dior pour réaliser ces bijoux-dentelles?

Je suis partie d’une fleur. Souvent, je pars d’un détail qui m’a plu et dont je n’ai pas assez tiré le fil dans une autre collection. C’était un tout petit motif et je me suis dit qu’il pouvait devenir tout une histoire.

Dès vos premières collections, vous avez mis en scène des gemmes que l’on ne voyait pas chez les grands joailliers, les saphirs padparadscha, les tourmalines paraibas, les opales de feu. Comment ce goût vous est-il venu?

Je n’ai jamais classé les pierres par catégorie de préciosité mais par couleurs. Il me semblait que ces pierres, qualifiées de fines à l’époque mais qui maintenant ont pris beaucoup de valeur, ne devaient pas être mises à l’écart. Si l’on se contente de travailler avec les quatre pierres précieuses (diamant, rubis, saphir, émeraude, ndlr) on se retrouve bloqué. C’est un non-sens de se restreindre: on ne peut pas raconter des histoires, les faire jouer ensemble. On se prive de couleurs. Ma priorité, c’est la couleur et c’est pour cela que j’ai fait usage de ces pierres que la Place Vendôme avait abandonnées. D’ailleurs, aujourd’hui, elles ont réapparu partout. Je me souviens que lorsque je suis arrivée chez Dior, aucun grand joaillier n’utilisait d’opales. Je ne comprenais pas pourquoi. C’est une pierre que je trouvais magnifique et qui avait été anoblie chez Lalique et chez tous les bijoutiers de l’époque Art Nouveau.

Bague Dior Milly Dentelle Manège Fleuri, or rose, diamants, émeraudes, saphirs rose et jaune, grenats tsavorites.
Bague Dior Milly Dentelle Manège Fleuri, or rose, diamants, émeraudes, saphirs rose et jaune, grenats tsavorites.
Photo: ©Dior Joaillerie

Quand avez-vous vu une opale pour la première fois?

Très jeune. L’une de mes tantes possédait une bague sertie d’une opale qui avait appartenu à sa marraine, Barbara Hutton. Ma tante avait de toutes petites mains et elle portait cette énorme bague, un gros cabochon d’opale entouré de diamants, à l’index. Je trouvais cela extraordinaire! Je me demandais ce que pouvait bien être cette pierre qui avait tous ces reflets. On aurait dit une gemme de fakir que l’on aurait trouvée dans un trésor. Cette très grosse bague, sur une toute petite main, c’était à la fois disproportionné et très charmant.

Quand vous êtes arrivée chez Dior en 1998, très vite vous avez imposé votre style qui était à la fois léger tout en étant sérieux, anticonformiste avec une touche d’humour. Que souhaitiez-vous apporter au monde de la joaillerie à l’époque?

Je trouvais la joaillerie de l’époque tellement ennuyeuse! Ces bijoux faisaient prendre 20 ans aux femmes qui les portaient. Ils faisaient tellement dame! Or quand on aime les bijoux, doit-on forcément ressembler à une dame? Je souhaitais créer une joaillerie qui soit le contraire d’ennuyeuse mais ce n’est pas parce que mes créations sont joyeuses qu’elles ne sont pas sérieuses. Au contraire! J’ai la chance de pouvoir travailler avec d’excellents ateliers, avec des pierres sourcées avec beaucoup d’exigence, d’autant plus que nous ne sommes pas une maison de joaillerie traditionnelle. La rigueur est telle que par moments on doit refuser des pierres qui ont une jolie couleur, mais dont la qualité n’est pas celle que l’on recherche.

Collier Milly Dentelle, or jaune, diamants, opale noire, saphirs, émeraudes, grenats tsavorites et turquoises.
Collier Milly Dentelle, or jaune, diamants, opale noire, saphirs, émeraudes, grenats tsavorites et turquoises.
Photo: ©Dior Joaillerie

Depuis cinq ans, vous travaillez avec des pierres de centre beaucoup plus importantes qu’auparavant. Est-ce que cela vous donne plus de liberté ou est-ce une responsabilité supplémentaire?

Cela ne change rien pour moi. Ce n’est pas parce que j’ai une pierre plus grosse que le dessin sera plus classique. Mais il peut l’être, parce que nous avons besoin d’avoir une proposition vaste et parce que cela m’amuse de me livrer à un exercice de style autour d’un bijou classique. J’aime aussi faire des choses plus simples, plus abstraites, je n’évolue pas que dans un univers floral et magique.

Un bijou Dior est-il un embellissement, un talisman, la revendication d’un style, un signe d’appartenance, autre chose?

Nous avons des clients qui sont des collectionneurs très fidèles et qui ne sautent jamais une de nos collections. Ils acquièrent nos créations pour agrandir leur propre collection. Nos bijoux suivent la vie des femmes ou des hommes qui les acquièrent. Ils peuvent se porter toujours, quelle que soit l’année où ils ont été créés: ils ne sont pas dépendants de la mode. C’est amusant d’ailleurs, parce que Dior est une maison dictée par les saisons de la mode or on est hors de ce cycle avec la joaillerie.

Collier Dior Milly Dentelle or rose, diamants, diamant jaune, et saphir jaune.
Collier Dior Milly Dentelle or rose, diamants, diamant jaune, et saphir jaune.
Photo: ©Dior Joaillerie

Est-ce parce que vous évoluez dans un autre temps?

Même si de plus en plus de collections de joaillerie sont créées par an, on est en effet dans un autre temps. Actuellement, je travaille sur la collection de 2027. Je ne pense pas que les designers de mode en soient là. La collection Milly Dentelle dont nous parlons a été imaginée il y a deux ans or le monde a tellement changé depuis! On ne parlait pas autant de l’IA à l’époque, par exemple. D’ailleurs, j’ai demandé à un outil d’intelligence artificielle de faire un bijou et le résultat était horrible! (Rires). L’IA peut faire quelque chose « à la manière de », mais elle ne peut pas deviner ce qu’il y a dans notre tête et nous devancer, pour l’instant. Nous sommes une accumulation de souvenirs, de rêves, et je mets beaucoup d’émotions dans mes bijoux.

Quand on pense aux femmes qui ont créé les bijoux de grandes maisons historiques, Suzanne Belperron pour Boivin, René Puissant pour Van Cleef & Arpels, Jeanne Toussaint pour Cartier, ou les rares directrices artistiques actuelles dont vous faites partie, on le sentiment que les femmes osent plus. Est-ce que vous le ressentez ainsi et comment l’expliquer?

Peut-être, en effet. Je pense que les femmes se sont réapproprié ces métiers qui étaient des métiers d’hommes. On n’a pas vu émerger beaucoup de noms de femmes dans la joaillerie depuis cent ans! La joaillerie est devenue un métier désirable aussi pour les femmes.

Dior Joaillerie: Plongée dans l'imaginaire féérique de Victoire de Castellane

Qu’est-ce qui a le plus changé dans la haute joaillerie en 26 ans?

Quand j’ai commencé, les filles aimaient les sacs, les chaussures, les vêtements et elles se dirigeaient plutôt vers la création d’accessoires et de vêtements. Entretemps, de plus en plus de jeunes femmes ont choisi le métier de la joaillerie. A mes débuts chez Dior, je créais de la petite et moyenne joaillerie. Il y a eu notamment la bague Mimi Oui, qui était le bijou avec le petit diamant du monde. Je voulais que les femmes qui ne pouvaient pas acheter de la haute joaillerie puissent s’offrir des bijoux Dior qui soient empreints d’émotion et bien réalisés. Depuis, beaucoup de femmes ont créé leur marque de bijoux. Le vrai bijou est entré dans le quotidien des gens, il se porte différemment, de manière plus décomplexée, mélangé avec un scoubidou ou un joyau de sa grand-mère. C’est nouveau. Dans les années 80, les femmes portaient de grosses boucles d’oreilles en plastique, le vrai bijou n’avait pas sa place dans les magazines non plus, à part dans le Vogue où l’on voyait des femmes en bustier porter des énormes parures signées Harry Winston. Le bijou n’était pas démocratisé.

Boucles d'oreilles Dior Milly Dentelleor rose, diamants, émeraudes, saphirs rose et jaune, grenats tsavorites.
Boucles d’oreilles Dior Milly Dentelleor rose, diamants, émeraudes, saphirs rose et jaune, grenats tsavorites.
Photo: ©Dior Joaillerie

Vous avez exploré tous les univers, même les plus insolites, comme la collection Belladona Island en 2007, qui semblait avoir été créée sous acide. Quel serait aujourd’hui le bijou le plus osé, celui que vous rêveriez de réaliser en sachant que c’est presque impossible?

Je ne sais pas si je me poserais la question comme cela parce que ça voudrait dire que je cours juste après une chose, or ce serait trop réducteur. Pour moi, la joaillerie, c’est plein de choses, plein de pierres, plein de couleurs… Peut-être que le bijou impossible serait de manger des pierres, qu’elles aient du goût, qu’elles restent en nous et commencent à briller sous la peau (rires). Ça, ce serait osé!