Joaillerie et horlogerie


Lydia Courteille: «Je voudrais faire des bijoux comme d’autres font des poèmes»

mai 2025


Lydia Courteille: «Je voudrais faire des bijoux comme d'autres font des poèmes»

Lydia Courteille est une joaillière enchanteresse qui crée des bijoux racontant des histoires. Depuis 1987 sa boutique parisienne est le secret bien gardé d’esthètes et de collectionneurs à qui elle a fait découvrir des pierres qui n’attiraient pas encore les autres joailliers. Entretien.

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orsqu’on pousse la porte du 231 Rue Saint-Honoré, à Paris, on a le sentiment de traverser un miroir, un peu comme si l’on entrait dans le monde de Narnia, sauf que de l’autre côté, on rencontre Lydia Courteille. Son pouvoir magique? Transformer des pierres ou des artéfacts anciens en bijoux symboliques qui sont comme des sculptures miniatures. Sa boutique est une antre comme on imagine les caves aux trésors des contes.

Ses créations arborent des pierres imposantes aux noms parfois difficilement prononçables comme l’haüynite, la rhodochrosite ou la phosphosidérite. La joaillière adore ces gemmes sur lesquelles les autres joailliers ne portent pas toujours le regard et chacun de ses bijoux raconte une histoire.

Avant de devenir Lydia Courteille, antiquaire de bijoux puis joaillière, Liliane Schoonjans, de son vrai nom, était biochimiste. Il a fallu que sa montre ancienne en platine et diamants tombe en panne pour qu’elle change de trajectoire. Quand elle l’a rapportée au Vase de Delft, une célèbre boutique d’antiquaire à Paris, pour la faire réparer, elle a basculé dans le monde du bijou ancien pour ne plus en sortir. C’était en 1980. Pendant sept ans, elle a appris le métier d’antiquaire du bijou au Vase de Delft. En 1985, elle passe un diplôme de gemmologie, crée sa propre marque en 1987 et ouvre sa boutique en 1995.

Lydia Courteille
Lydia Courteille
©Manuel Lagos

Ce lieu qui relève plus d’un cabinet de curiosités que d’une boutique, est un secret bien gardé. Parmi ceux qui en ont poussé la porte, on compte des gens de goût: Yves Saint Laurent, Pierre Bergé, Karl Lagerfeld, Valentino, Catherine Deneuve, Tom Ford, Madonna, et bien d’autres collectionneurs du monde entier. Nous avons eu envie d’en savoir plus sur cette joaillière dont les créations enchantent les amoureux du beau.

Europa Star Jewellery: Avant de vendre des bijoux anciens et de créer des collections, vous étiez biochimiste. Pourquoi la biochimie?

Lydia Courteille: J’étais passionnée de sciences depuis mon enfance et mes parents n’avaient pas les moyens de m’offrir de longues études de médecine. Je me suis donc rabattue sur des formations plus courtes et j’ai passé un diplôme de biologie et de biochimie, puis j’ai obtenu un certificat d’hématologie à l’Hôtel-Dieu. Je pense que j’ai deux personnalités: l’une très «girly» qui aime la mode et l’autre qui est plus sérieuse, plus scientifique.

Boucles d'oreilles de la collection de haute joaillerie Revoir Palerme
Boucles d’oreilles de la collection de haute joaillerie Revoir Palerme

Comment s’est effectué le saut d’un monde à l’autre?

J’avais acheté une petite montre ancienne en platine et diamants, chez un antiquaire, Le Vase de Delft. J’étais alors enceinte de mon fils et à l’époque j’avais les cheveux très frisés et très longs. J’avais posé ma montre sur ma tablette de salle de bain et, avec mes cheveux, je l’ai involontairement fait tomber dans le lavabo, et elle n’a plus jamais marché. Ce devait être le destin car en retournant chez cet antiquaire pour la faire réparer, j’ai basculé dans cet univers. J’avais déjà de solides notions de gemmologie: quand j’étais enfant, dès que j’ai pu prendre le métro seule, je passais tous mes jeudis au Musée de Minéralogie. On y trouvait à l’époque beaucoup de cailloux poussiéreux mais cela m’intéressait fortement.

C’est donc au Vase de Delft que vous avez appris le métier d’antiquaire du bijou?

Oui, mais au bout de sept ans, j’ai eu envie de bouger. Je voulais écrire ma propre histoire et j’ai commencé à le faire en 1987.

Dessin pour un collier de tulipes et d'œillets Collection Topkapi
Dessin pour un collier de tulipes et d’œillets Collection Topkapi

Vous racontez souvent que votre passion pour les bijoux a commencé par l’acquisition d’un camée. Qu’est-ce qui vous a attiré particulièrement dans ce genre de pièces?

J’aimais à la fois les grosses bagues et les camées. Or à l’époque, ceux-ci étaient toujours montés en broches, en colliers ou en bracelets et les seules bagues imposantes étaient des bagues de gants du 18ème siècle. J’ai donc commencé à fabriquer ce que je ne trouvais pas ailleurs et j’ai créé des bagues avec des camées récupérés de broches pour donner une deuxième vie à ces bijoux anciens.

En tant qu’antiquaire de bijoux spécialisée dans le 18ème et 19ème siècle, vous avez vu passer de nombreuses pièces qui étaient le fruit à la fois des techniques, des goûts et des thématiques de ces époques. Pensez-vous que cette connaissance des bijoux anciens a influencé la joaillère que vous êtes devenue?

J’ai emprunté des choses qui me paraissaient intéressantes à toutes les périodes. J’avais aussi envie de perpétuer certaines traditions et d’empêcher qu’elles se perdent. Par exemple, les Arméniens avaient un immense savoir-faire de l’émail mais au fil du temps, il était un peu tombé en désuétude. Quand j’ai créé mes premières bagues émaillées, je suis allée en Turquie pour les faire réaliser. Il y a là bas une communauté arménienne dotée d’un savoir-faire formidable.

Bague Lydia Courteille Revoir Palerme
Bague Lydia Courteille Revoir Palerme

Parmi vos clients fidèles, il y avait de grands couturiers comme Yves Saint Laurent et Karl Lagerfeld. Sur quoi portaient leurs choix esthétiques?

Ils avaient à peu près les mêmes goûts, à part les camées qu’appréciait Yves Saint Laurent mais pas Karl Lagerfeld. Ils aimaient les bijoux Art déco, les pièces de créateurs du début du 20ème siècle. C’était des esthètes avant tout et ils avaient un œil: nul besoin d’expliquer quoi que ce soit. C’était des histoires sans parole. Ils achetaient chez moi des bijoux pour eux, pour leur collection et aussi pour les offrir. Quand Lagerfeld est venu ici pour la première fois, il m’a demandé: «Qu’est-ce que je dois acheter chez vous?» À l’époque, j’étais la seule à Paris à posséder une grande collection de bijoux de Suzanne Belperron. Il n’y avait pas encore de livres sur elle, ni de pseudo-experts et peu de gens s’intéressaient à son travail en France. A partir du moment où Karl Lagerfeld a dit qu’il collectionnait du Belperron, tout le monde s’est rué sur ses bijoux. Ce qui m’amusait, c’était d’acheter des pièces que je savais être de Belperron sans que les autres le sachent: elle ne signait pas ses bijoux. Cela ne m’amuse pas d’acquérir aujourd’hui dans une salle des ventes l’une de ses créations avec un certificat d’authenticité. J’aime chiner des pièces non identifiées. Karl Lagerfeld disait de moi: «Elle a le génie du bijou. J’aime son goût à 100%.»

Collier Lapin Rose. Composition: 18k or rose 124,1gr, tourmaline rose 39,37cts, tourmaline rose 17,50cts, tourmaline rose 23,71 cts, tourmaline rose 24,26cts, rubelite 12,4 cts (total 117,24), saphirs roses 40,5cts, rubis 16,74 cts, tourmaline rose 2,57cts, diamants 1,26cts, diamants noirs 0,25cts
Collier Lapin Rose. Composition: 18k or rose 124,1gr, tourmaline rose 39,37cts, tourmaline rose 17,50cts, tourmaline rose 23,71 cts, tourmaline rose 24,26cts, rubelite 12,4 cts (total 117,24), saphirs roses 40,5cts, rubis 16,74 cts, tourmaline rose 2,57cts, diamants 1,26cts, diamants noirs 0,25cts

Votre dernière collection «Revoir Palerme» fait la part belle aux couleurs acidulées comme les tourmalines jaunes électriques, les saphirs jaunes et les tourmalines Paraiba vertes. Souhaitiez-vous retranscrire en bijoux le souvenir d’un voyage particulier en Sicile?

Quand je me suis rendue en Sicile, j’ai eu une discussion avec mon mari, qui est mon premier fan, durant laquelle il m’a invitée à faire des bijoux qui se vendent plus facilement. Dans le passé, j’avais déjà créé plusieurs collections représentant des fruits et des fleurs, qui se vendaient effectivement plutôt bien. J’ai donc décidé de faire une collection en hommage à la Sicile et j’ai cherché l’inspiration un peu partout autour de nous, dans les faïences notamment, avec ces soleils, ces citrons… Je me suis dit qu’il fallait aussi penser à faire des pièces moins figuratives. J’avais découvert les œuvres d’un peintre contemporain qui avait réalisé des toiles sur Agrigente et cela m’a donné l’idée de faire des bijoux plus abstraits imprégnés de ses couleurs. L’inspiration est une espèce de syncrétisme de tout ce que l’on a appris: vous secouez la tête et il en sort quelque chose

Vos bijoux sont très colorés. Quel rôle joue la couleur dans votre processus créatif?

Je crois beaucoup aux effets pavloviens des couleurs. Par exemple, l’orange c’est la vitamine; le bleu des tourmalines Paraiba vous replonge dans des vacances aux Maldives, ou même tout simplement en Corse; le rouge, c’est la passion. La couleur apporte quelque chose: cela rend heureux. Le gris, ça vous plombe, le noir peut être soit très élégant soit très triste, mais quand on pose le regard sur un objet d’une couleur franche, on ressent quelque chose de joyeux.

Rosa del Inca collection - illustration de Natalie Shau
Rosa del Inca collection - illustration de Natalie Shau

Vos créations empreintes de symbolisme, où fusionnent les mythes, les couleurs et les formes, semblent être autant de portes secrètes qui ouvrent vers votre monde imaginaire. De quoi celui-ci est-il fait?

À un moment, j’ai eu envie de créer un jeu vidéo, comme Super Mario Bros, avec des gens qui pousseraient des portes et passeraient d’une collection à l’autre. Certaines de mes collections s’imbriquent parfois dans une autre, comme un parcours initiatique. Vous traversez un miroir et vous entrez dans mon monde. J’aimerais que les gens qui font ce voyage aient envie de le continuer et de découvrir la collection qui suit, en vivant des sensations qui seraient générées par les couleurs et les thèmes. Cela pourrait être le bonheur, la tristesse, j’espère les faire rire aussi de temps en temps avec certaines pièces humoristiques, les provoquer quand je crée des têtes de mort avec le drapeau chinois ou bien la tête Covid portant un masque, ou des bijoux érotiques comme ma collection sur les temples indiens de Khajuraho. L’idée est de les emmener dans mon cerveau.

Bague portrait Memento Mori, 2018, portrait et papillons en émail, tanzanite, améthyste, aigue-marine, or jaune 18 carats. Illustration de Natalie Shau
Bague portrait Memento Mori, 2018, portrait et papillons en émail, tanzanite, améthyste, aigue-marine, or jaune 18 carats. Illustration de Natalie Shau

Vous utilisez parfois un artefact antique ou des camées anciens que vous sortez de vos propres collections pour créer un bijou d’aujourd’hui. Est-ce une manière d’échapper à l’écoulement linéaire du temps et placer le bijou dans un temps «hors du temps»?

Tout à fait! J’aime bien les musées, mais cela me rend triste de voir tous ces beaux bijoux qui dorment dans les vitrines. Souvent, les gens ont un a priori vis-à-vis des camées qui leur évoquent la broche de leur grand-mère, or j’aime leur donner une autre vie afin qu’ils soient portés. Je ne pense pas qu’il faille attendre une grande occasion pour mettre un bijou exceptionnel: moi, je veux un beau bijou tous les jours à mon doigt! Et pourquoi pas un camée? Aux gens qui entrent dans ma boutique et qui me disent qu’ils veulent une pièce pour porter tous les jours, j’ai envie de répondre que tout ce que je crée, vous pouvez le porter tous les jours, même pour aller faire votre marché.

Pendentif Lydia Courteille collection Revoir Palerme
Pendentif Lydia Courteille collection Revoir Palerme

Vous avez toujours eu le goût de pierres qui n’intéressaient pas ou pas encore les autres joailliers. Vous avez été la première à acquérir certaines gemmes méconnues, comme l’haüynite, la rhodochrosite ou la phosphosidérite et d’autres dont le prix entretemps est monté en flèche, comme les tourmalines vertes, les grenats mandarin, les tourmalines Paraiba, par exemple. Qu’est-ce qui vous attire dans une pierre méconnue?

D’abord, cela me permet d’acquérir des pierres qui sont à ma portée parce qu’une fois qu’une gemme sort du néant, inutile de vous dire que son prix change. L’idée, aussi, c’est de proposer des alternatives au diamant. C’est la pierre la plus dure et elle est attractive de par son scintillement mais en réalité, il y a tellement de pierres beaucoup plus rares et qui sont très belles aussi, mais méconnues, donc qui ne sont pas cotées. Elles sont plus difficiles à vendre mais peut-être un peu plus faciles à acheter.

Qu’est-ce qui vous attire dans ces pierres: leur couleur, leur texture?

Le fait que ce soit la nature qui les ait créées. Ce phénomène naturel a toujours été un grand mystère et m’attire énormément. La nature les fabrique et l’humain va les chercher dans la terre. Pourquoi ne viennent-elles pas à nous facilement? Il faut creuser pour les trouver. Ensuite il faut les polir, les embellir: le résultat est une parfaite communion du savoir-faire de l’Homme et de la nature qui est la grande créatrice.

Bague Lydia Courteille Revoir Palerme
Bague Lydia Courteille Revoir Palerme

Certaines de vos pierres préférées sont l’opale, les pierres de lune, les tourmalines, autant de pierres aux couleurs changeantes ou qui sont multicolores. Est-ce ce supplément de vie qui vous attire vers ces pierres-là?

Oui, parce que c’est joli de voir une pierre qui change en fonction de la lumière qui la traverse. Suivant l’endroit où vous vous trouvez, telle ou telle couleur va ressortir. Vous n’avez pas l’impression d’avoir un bijou statique.

Vous racontez des histoires avec vos bijoux. Viennent-elles à vous comme les personnages d’un roman viennent à l’esprit d’un écrivain?

Il y a un petit côté sorcière, sûrement, dans tout cela, mais pour rester pragmatique, en général, mes bijoux sont inspirés de choses que j’ai vues. Je suis ne suis pas une devineresse, je suis plutôt cartésienne.

Bague Scarabée, collection Automne à Pékin, plaque sculptée en jade, tanzanite, saphir, aigue-marine, saphir jaune, grenat tsavorite, rubis, or rhodié noir 18 ct.
Bague Scarabée, collection Automne à Pékin, plaque sculptée en jade, tanzanite, saphir, aigue-marine, saphir jaune, grenat tsavorite, rubis, or rhodié noir 18 ct.

Vos bijoux sont destinés à être portés, mais ce sont aussi des sculptures miniatures. Est-ce que certains de vos clients les achètent comme des pièces artistiques?

Absolument. Une de mes clientes expose ses bijoux en vitrine, et pas uniquement les miens. Plusieurs de mes clientes achètent mes bijoux, les portent, et le reste du temps elles les mettent en scène joliment. Ils se prêtent à cela.

Est-ce que vos créations sont investies d’un pouvoir magique?

J’essaie en tout cas. Il arrive que des personnes se mettent à pleurer en regardant certains de mes bijoux. C’est formidable d’arriver à provoquer une émotion forte à travers un bijou, c’est un compliment, mais ce n’est pas quelque chose d’évident à vivre.

Collier en micro-mosaïque, collection Amber Chamber, 2019, citrine, grenat almandin, calcédoine, opale de feu, saphirs jaune et orange, grenat hessonite, jaspe rouge, or jaune 18 carats avec une micro-mosaïque ovale du XIXe siècle.
Collier en micro-mosaïque, collection Amber Chamber, 2019, citrine, grenat almandin, calcédoine, opale de feu, saphirs jaune et orange, grenat hessonite, jaspe rouge, or jaune 18 carats avec une micro-mosaïque ovale du XIXe siècle.

Quand on observe tout ce qui se trouve autour de soi, dans votre boutique-cabinet de curiosités, on a le sentiment de se trouver devant une œuvre qui aurait été écrite non pas avec des mots, mais avec des pierres et des matières précieuses.

Je continue à travailler parce que j’ai l’impression d’avoir encore des choses à dire, mais je ne sais pas si au bout du compte ce sera une œuvre. J’aime partager mes goûts, mes connaissances avec des personnes, leur faire apprendre des matières, des savoir-faire, des histoires, des légendes. Je fais ce qui me plaît en espérant ressentir une communion avec les gens qui irait au-delà d’un bijou. Pour reprendre les mots de la grande décoratrice du 20ème siècle Madeleine Castaingt qui faisait des maisons comme d’autres font des poèmes, je voudrais faire des bijoux comme d’autres font des poèmes.