l y a quelque chose de fascinant à être jury lors d’un concours de bijoux: on nourrit forcément l’espoir de découvrir, parmi tous les participants, une créatrice, un créateur, qui donnera son nom à des collections qui s’inscriront dans l’histoire du bijou. Le concours Bucherer Fine Jewellery a cette ambition. Il est né de la rencontre entre Antonio Teixeira, le directeur de la boutique Bucherer de Genève, et Richard Carbonnelle, le responsable de la section joaillerie du Centre de formation professionnelle arts (CFP Arts). Depuis trois ans, cet événement a pour but de promouvoir les métiers de la joaillerie en récompensant des élèves qui accomplissent leur dernière année de formation.
Pour participer à ce concours, les élèves ont dû réaliser un projet de bijou en lien avec le thème choisi - les inspirations historiques - et avec la pierre proposée par Bucherer, en l’occurrence une rubellite de 6,42 carats d’une belle couleur fuchsia. Les dossiers complets, avec l’argumentaire, les différentes esquisses préparatoires et les gouachés finaux ont été transmis à un jury composé d’acteurs de l’industrie du bijou et dont Europa Star Jewellery faisait partie. A charge pour chacun des membres de choisir trois projets parmi la dizaine reçue. La tâche cette année fut difficile tant la qualité des dossiers était élevée. La lauréate, la Genevoise Juliette Perpatoros, s’est vu remettre la gemme en cadeau afin de réaliser sa pièce. Elle n’a eu qu’un mois pour la finaliser et la présenter lors de la remise des prix qui a eu lieu le 22 mai, dans la boutique Bucherer de la rue du Rhône à Genève.
Il est intéressant de noter l’importance croissante que prend ce concours année après année: les lauréats sont devenus un vivier dans lequel les professionnels aiment venir puiser. Fanny Lienhard, la gagnante de l’édition 2024, a réussi grâce à sa broche Sparkling Star à entrer dans la très prisée Haute Ecole de Joaillerie de Paris. «Ce prix est un véritable atout: mon projet m’a permis d’être acceptée à la HEJ dans la section conception 3D sans même avoir le baccalauréat français, ce qui était pourtant une des conditions d’admission. Dans ma classe, je suis la plus jeune: les autres élèves ont entre 23 et 29 ans et j’en ai 19», explique l’étudiante, qui réalise actuellement un projet tutoré de trois mois chez Cartier dans le cadre de ses études.
Loé Chartiel, qui a remporté le 3ème prix de l’édition 2025, a présenté un magnifique projet: une broche articulée dotée d’un mécanisme qui permet de la transformer en collier. Son dossier a été repéré par l’un des membres du jury, Philippe Feuz, le fondateur de la boutique Or Style, pendant les délibérations. «Je l’ai contacté pour lui demander un entretien qui s’est tenu le 21 mai. Grâce à ce concours, j’ai été engagé: je termine mes examens le 13 juin et je commence dans l’entreprise comme jeune bijoutier le 16. C’est une première expérience incroyable», explique le jeune bijoutier de 23 ans. «De nombreux autres élèves de cette volée 2025 ont été repérés par de futurs employeurs», souligne Richard Carbonnelle, leur professeur dont la fierté, le soir de la remise des prix, était palpable.
La qualité des dossiers reçus cette année était impressionnante et l’on aurait rêvé voir tous les projets devenir un bijou, comme ce fut le cas de la création de la lauréate Juliette Perpatoros. Nous l’avions rencontrée quelque temps avant la remise du prix, alors qu’elle n’avait pas encore terminé sa pièce. Mais elle mais n’était pas loin du but, enthousiasmée de voir combien ce qu’elle avait imaginé et la réalité étaient proches. Elle ne s’attendait pas à gagner: elle fait partie de ce genre de personnes qui s’émerveille devant les projets de ses amis.
La jeune femme de 20 ans ne vient pas d’une lignée de bijoutiers: son père est tapissier et décorateur d’intérieur et sa mère travaille dans une crèche. «Mais grâce au métier de mon père, j’ai pu découvrir des meubles avec des pièces métalliques ornementales. Je me souviens particulièrement d’une petite desserte, pour servir le thé, avec des décors en métal Art nouveau. C’était magnifique.» Ses parents étaient présents lors de la remise du prix. «Nous avons été surpris lorsqu’elle nous a dit qu’elle voulait entrer dans cette filière, mais nous l’avons laissé faire», confiait son père tandis qu’il mitraillait sa fille portant sa création autour du cou avec l’appareil photo de son téléphone portable.
Juliette Perpatoros était encore écolière au cycle d’orientation et venait d’avoir 14 ans, lorsqu’elle a décidé qu’elle voudrait faire plus tard un métier manuel. «Je ne savais pas encore lequel. Mais quand j’ai découvert qu’il existait des formations dans le bijou, cela m’a immédiatement parlé. Je n’avais aucune connaissance en ce domaine mais j’ai voulu essayer. Je suis entrée au CFP Arts à l’âge de 17 ans et contrairement au collège, où j’avais l’impression d’être en décalage par rapport aux autres élèves, j’ai tout de suite su que j’étais à ma place dès les premiers exercices. J’avais des facilités alors que je n’avais jamais fait cela.»
Ce n’est pas le premier concours auquel Juliette Perpatoros participe, mais c’est le premier où elle ne se contente pas d’imaginer un bijou et d’en faire une représentation en deux dimensions: en ayant gagné, elle a dû donner vie à son dessin et créer la pièce dans des matériaux précieux. «C’est la première fois que j’ai en ma possession une pierre qui a autant de valeur, confie-t-elle. C’est à la fois une pression et une chance.»
L’une des conditions du concours était de réaliser un bijou qui aurait pu s’intégrer dans les collections de la maison. Pour cela, l’étudiante s’est rendue à la boutique pour observer toutes les créations. «Les pièces qui m’ont plus intéressée étaient les bijoux transformables. J’ai donc décidé d’en créer un. Et comme nous pouvions choisir une période qui nous inspirait, j’ai choisi l’époque Art déco.»
La structure en forme de tonneau de son bijou a été guidée par la forme de la pierre qui est une taille coussin. «Pour le bijou de base, je me suis inspirée des sautoirs des années 1930, mais en les modernisant. Je ne savais pas si je voulais créer un collier ou un bracelet, car à cette époque les bracelets de perles étaient très à la mode. C’est ainsi que m’est venue l’idée de faire un collier qui peut devenir un bracelet. Il se porte aussi en broche dont on peut garder ou enlever le rang de perles. C’est un bijou qui peut être porté aussi bien par des femmes que par des hommes.»
La pierre de centre est sertie avec la technique du serti clos en or rouge alors que le corps du bijou en or rhodié noir Les barrettes sont séparées par des rangées de pierres noires et les perles sont en onyx. « Je ne sais pas encore ce que je ferai de ce bijou plus tard, mais pour l’instant, j’ai envie de le garder comme un trophée: c’est la première fois que je réalise une pièce aussi complexe. Je pense que je la porterai: j’aime les bijoux un peu spéciaux et pour ce concours, j’ai réalisé quelque chose dans un style que j’aimais.»
Après avoir terminé son cursus, la jeune femme aimerait approfondir ses connaissances dans un atelier et en apprendre plus sur l’art du sertissage, dans l’idée, plus tard, de créer ses propre bijoux ou de travailler pour une marque. «Quand je me projette dans l’avenir, je me vois en train de créer des modèles que j’aime, que ce soit pour moi ou pour une marque. C’est ce qui me plairait.»
Le soir de la remise des prix, on la repérait dans la foule à sa longue chevelure blonde, mais surtout au nombre de personnes qui l’entouraient, lui posaient des questions, voulaient découvrir sa création: «Cela me fait très plaisir d’être ici ce soir. La réalisation de ce bijou était un énorme défi et je suis très contente de l’avoir terminé.»