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Chine: l’horizon s’éclaircit

MARCHÉS HORLOGERS

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février 2018


Chine: l'horizon s'éclaircit

Le marché horloger du géant de l’Extrême-Orient devrait peser 10 milliards d’euros d’ici à 2020. La ruée sur la Chine est loin d’être finie... Ou plutôt la ruée des Chinois dans le monde, car ils sont de plus en plus nombreux à privilégier les achats à l’étranger. Via de nouvelles pratiques surprenantes, comme le «dai gao» ou agents commissionnés.

C

ontrairement à ce que l’on peut croire, la vente de montres traditionnelles en Chine continentale reste relativement stable: on a ainsi enregistré une croissance de l’ordre de 2% entre 2015 et 2016. Si l’on prend en compte l’inflation qui se monte de 3% à 4%, nous sommes donc vraiment dans une situation de stabilité. Si l’on enlève l’inflation, le marché de la montre traditionnelle est en légère décroissance. La taille de ce marché est de l’ordre de 8,5 milliards d’euros. Même si la difficulté en Chine, c’est que tout le monde n’a pas les mêmes chiffres!

Orientations sur le haut de gamme

D’ici à 2020, on prévoit toutefois que le marché horloger atteindra les 10 milliards d’euros, avec une croissance annuelle de 4% à 5%. Ce qui est intéressant, c’est d’observer où et pourquoi on achète des montres traditionnelles: entre 2014 et 2016, les montres comptent pour 50% des dépenses en produits de luxe chez les Chinois! Chez les hommes, ce taux monte même à 71%... La montre reste donc un objet extrêmement fort en Chine, avec un potentiel de croissance très important chez les femmes. Le pouvoir d’achat des Chinois continue d’augmenter et s’oriente sur toutes sortes de produits de luxe. Parallèlement, le prix moyen des montres qu’achètent les Chinois ne cesse d’augmenter également.

On estime aujourd’hui que le segment horloger haut de gamme ne constitue que le 1% des ventes en termes de volumes, contre 14% pour le milieu de gamme et 85% pour l’entrée de gamme. D’ici à 2020, la quote-part du haut de gamme devrait monter à 3%, celui du milieu de gamme à 22%...

Entre 2014 et 2016, les montres comptent pour 50% des dépenses en produits de luxe chez les Chinois!

Hong Kong ne leur suffit plus

Ce qu’il faut aussi souligner, c’est que les Chinois achètent de moins en moins à Hong Kong, Macao et Taiwan. La baisse est constante depuis 2015. A l’époque, les Chinois achetaient un tiers de leurs montres dans ces trois zones; aujourd’hui, elles ne pèsent plus que pour 23% de leurs achats horlogers. Les Chinois achètent aujourd’hui davantage en Chine continentale, qui reste stable avec environ un tiers des achats. Ce qui augmente, ce sont donc les achats en dehors de Chine continentale, Hong Kong, Macao ou Taiwan. Ils représentent aujourd’hui 45% du total!

En effet, les Chinois voyagent de plus en plus. Chaque année, le nombre de pays requérant un visa diminue. Il est donc plus aisé de se déplacer dans le monde. Ce n’est pas qu’ils veuillent acheter des montres à l’étranger, c’est juste qu’ils voyagent plus...

Chine: l'horizon s'éclaircit

Des chargés d’affaires armés de caméras

Par ailleurs, un nouveau phénomène est en train d’exploser: celui du dai gao. Vous pouvez commander auprès de «chargés d’affaires» des produits de luxe à un prix moindre qu’en Chine. Ces personnes voyagent partout dans le monde, se rendent dans les boutiques et envoient les images des produits à leurs clients, qui les mandateront pour leur achat, avec une commission à la clé. Dès lors, ce sont eux qui prennent les risques à la douane, pas le client final...

Il y a quelques semaines, je me trouvais dans un grand magasin à Paris et j’ai croisé au moins dix personnes qui utilisaient leur téléphone pour filmer en détail une robe, un sac, des bijoux ou une montre, avant des les envoyer à leurs clients via WeChat pour que ceux-ci se décident quant à un achat ou non. Les vendeurs des grands magasins les laissent faire, car ce sont de bons acheteurs...

Les douanes chinoises ont imposé des contrôles plus stricts et depuis avril 2015 tout achat supérieur à 10’000 RMB (environ 1’300 euros) est soumis à une taxe de 60%. Mais justement, avec ce système, ce n’est pas le client final qui passe la douane... Si quelqu’un se fait attraper à plusieurs reprises, il devra rembourser. Au début les contrôles étaient vraiment systématiques en 2015, mais cela a causé des queues énormes à l’aéroport. Par conséquent, les douaniers sont passés à un système de contrôles par échantillonnage ou aléatoires.

Il y a quelques semaines, je me trouvais dans un grand magasin à Paris et j’ai croisé au moins dix personnes qui utilisaient leur téléphone pour filmer en détail une robe, un sac, des bijoux ou une montre, avant des les envoyer à leurs clients via WeChat pour que ceux-ci se décident.

Pourquoi acheter des montres à l’étranger?

Il y a trois facteurs explicatifs. C’est d’abord le prix plus intéressant: selon une étude, plus de 86% des Chinois décident d’achats à l’étranger sur ce critère. C’est ensuite la question de l’authenticité des produits, lorsqu’on achète une montre très haut de gamme. En Chine, il y a eu un certain nombre de scandales sur l’authenticité des produits, y compris dans des boutiques officielles, il y a quelques années encore. Cela ne se produit plus vraiment mais a marqué l’esprit des Chinois. Le troisième facteur est le choix des produits, ainsi qu’un meilleur service.

Aujourd’hui se pose aussi la question du e-commerce. Néanmoins, 84% des Chinois préfèrent toujours acheter en boutique que sur internet, tout simplement parce qu’il y a une meilleure garantie et qu’ils peuvent essayer le modèle, mais aussi parce qu’ils ont peur qu’il manque le service après-vente sur internet. Ce point du service prend de l’importance. Il faut cependant noter parallèlement qu’une majorité de ces 84% estiment qu’ils pourront un jour acheter une montre sur internet. Mais pas un produit très onéreux: la plupart ne souhaitent pas dépasser les 7’000 RMB, soit moins de 1’000 euros.

La grosse problématique en Chine reste vraiment la menace sur l’authenticité pour des achats plus chers. C’est cette barrière que les marques doivent surpasser. A ce moment-là, si le tracking et la garantie du produit sont vraiment efficaces, les Chinois seront convaincus d’acheter en ligne.

La grosse problématique du e-commerce en Chine reste la menace sur l’authenticité pour les achats les plus chers. C’est cette barrière que les marques doivent surpasser.

Quid de la montre de seconde main?

De manière générale, le marché est plus ouvert à Hong Kong, où l’on trouve plus de magasins de seconde main qu’en Chine continentale, ainsi qu’en Europe, où il y a aujourd’hui une multitude de sites internet de seconde main. Le problème en Chine continentale, c’est qu’il n’y a pas d’intermédiaires sur le marché de seconde main pour garantir le produit: tout se fait pour l’heure de particulier à particulier sur des sites comme Taobao.

Par ailleurs, la montre est un objet acheté pour le statut social en Chine, ou pour des célébrations, il reste donc une forme de réticence à acquérir pour ces occasions des produits de seconde main, qui n’ont pas une bonne image. Les consommateurs veulent le dernier modèle, celui qui est à la mode! Aujourd’hui, 80% de montres de marque sont achetées par des millenials, dont une majorité par ceux qui ont entre 20 et 30 ans et un tiers entre 30 et 40 ans. Ils sont très sensibles aux phénomènes de mode.

Aujourd’hui, 80% de montres de marque sont achetées par des millenials, dont une majorité par ceux qui ont entre 20 et 30 ans et un tiers entre 30 et 40 ans.

Où en est la campagne anti-corruption?

En octobre dernier a été nommé le nouvel exécutif, c’est-à-dire les sept membres du comité permanent. La campagne anti-corruption va certainement continuer. On note tout de même beaucoup d’évolutions depuis que cette campagne a été lancée il y a quatre ans. Les gens ont toujours le droit d’aller faire des parties de golf ou de dîner dans des restaurants de luxe mais ne peuvent plus y inviter de hauts fonctionnaires. La campagne ne va pas être plus virulente, on entre plutôt dans une période de normalisation.

Par ailleurs, les sociétés horlogères ont déjà adapté leurs produits à cette nouvelle réalité. Le problème était que jusqu’en 2013, la clientèle chinoise achetait des montres très onéreuses en priorité dans le but de faire des cadeaux. Dès lors qu’on achète des montres pour soi-même ou pour sa famille, ce ne sont plus les mêmes types d’achats... Pendant deux ans, les boutiques ont dû adapter leurs stocks aux nouveaux comportements des consommateurs. On entre à présent dans une période normalisée, où les stocks ont été adaptés aux nouveaux goûts des acheteurs. Dès lors, les ventes seront forcément moins impactées par les effets de la lutte anti-corruption. La plupart des consommateurs cherchent à présent des montres en-dessous de 50’000 RMB (6’500 euros) en Chine continentale. Les achats plus onéreux sont réalisés hors de Chine.

Esquisse du futur du marché horloger en Chine

Le marché chinois est porteur car il y a une vraie adoration des montres, pour ce qu’elles représentent en terme de statut et de lifestyle. Et tout ce qui touche au symbole est très ancré: cela ne s’aurait s’effacer en cinq ans. Au contraire, il demeure un très fort potentiel pour les montres mécaniques traditionnelles. Les montres d’exception, de collection, ne sont pas menacées.

Le seul segment qui pourrait être pénalisé aujourd’hui est celui de la montre traditionnelle entrée et milieu de gamme, sous l’effet de l’arrivée des nouveaux acteurs de la montre connectée. Celle-ci n’attire pas que des jeunes ou des sportifs, mais aussi des seniors, parce que ces produits permettent de relever des données utiles à leur santé (en 2030, 30% de la population chinoise aura plus de 60 ans, tout en conservant un pouvoir d’achat important).

Le marché du futur que je vois, donc, repose sur une montre qui ne sert plus uniquement à donner l’heure, mais qu’on choisit soit comme symbole statutaire, en ce qui concerne les modèles classiques, soit pour les données qu’elle permet de capter, en ce qui concerne les modèles connectés. Pour subsister, une marque horlogère doit créer du symbole... ou de la technologie.