nnées 1960, l’époque glorieuse de la montre-instrument. Après l’oignon de poche des chefs de gare qui, en permettant notamment la coordination des convois, a accompagné la grande épopée de la première industrialisation, la montre de poignet va se révéler être un instrument indispensable au service de bien des avancées technologiques.
Les années 1950 puis les années 1960 voient l’apothéose de la montre-instrument, devenue l’obligée de nombre de professionnels sur terre, dans les airs et, bientôt, sous la mer.
En 1959, Jacques Cousteau dépose le brevet d’un appareillage qui va littéralement ouvrir les profondeurs de la mer, d’abord aux professionnels puis à tout un chacun. La plongée avec bouteilles devient la nouvelle aventure.
Or, si une montre est alors bien utile au quotidien, elle devient indispensable sous l’eau. Les horlogers voient un nouveau champ d’exploration s’ouvrir à eux.
Si une montre est alors bien utile au quotidien, elle devient indispensable sous l’eau. Les horlogers voient un nouveau champ d’exploration s’ouvrir à eux.
Au début des années 1960, des marques ont déjà pris de l’avance dans le domaine de la plongée professionnelle, notamment Blancpain, avec sa Fifty Fathoms de 1953 (étanche à 50 brasses, mesure britannique correspondant à environ 91,5 mètres), Rolex avec sa Submariner datant de la même année (étanche à 100 mètres), ZRC et sa Grands Fonds 300, sortie en 1964 et considérée comme la première montre étanche à 300 m, ou Seiko avec sa Diver’s automatique étanche à 150 m, lancée en 1965. Au total, en 1964, Europa Star dressait déjà une liste comprenant 35 montres de plongée de marques différentes.
En 1964, Europa Star dressait déjà une liste comprenant 35 montres de plongée de marques différentes.
- Fifty Fathoms de Blancpain (1953)
- Submariner de Rolex (1953)
- Diver’s de Seiko (1965)
- Grands Fonds 300 de ZRC (1964)
La Doxa Sub, à la fois pro et grand public
En 1967, Doxa va cependant frapper un grand coup avec sa Sub 300. Elle est non seulement étanche à 300 mètres et équipée d’une lunette tournante unidirectionnelle basée sur la table de l’US Navy Air Dive de façon à calculer au plus près les temps de décompression, mais elle arbore aussi un cadran orange offrant une lisibilité exceptionnelle et dont la couleur est le fruit de recherches minutieuses, elle est dotée de larges index et de fortes aiguilles lumineuses et elle est d’une dimension imposante de 45 x 45 mm, équipée d’un ETA automatique 2472 réparable dans le monde entier. Elle a été conçue «scientifiquement» et se veut un parfait outil professionnel mais vendu à prix abordable et destiné aussi à tous les amateurs.
Une démarche scientifique
Lancée à la Foire de Bâle de 1967, la montre fait grand bruit. La décision de la développer a été prise par Doxa dès 1964 et initiée par Urs Eschle, le directeur commercial de la marque. Pour y parvenir, celui-ci a mis sur pied une équipe composée d’horlogers de Doxa (qui, à l’époque, est forte de 150 employés) et de plongeurs professionnels renommés. Parmi ceux-ci, un plongeur français du nom de Claude Wesly, proche du Commandant Jacques Cousteau qui va jouer un rôle important dans le succès de la Doxa Sub.
La double page publiée cette même année 1967 par Doxa dans Europa Star détaille avec précision toutes les spécifications techniques et les innovations de la nouvelle montre de plongée: boîtier, couronne, lunette tournante et sa double échelle, cadran, aiguilles, mouvement automatique avec date, bracelet en acier ajustable. La marque tient à faire savoir qu’elle a travaillé de façon rigoureuse et scientifique.
Et si elle se nomme Sub 300T, c’est pour le Tritium qui recouvre ses index et ses aiguilles en très importantes quantités afin de donner la plus grande luminescence. On dit que c’est le cadran qui contient le plus de tritium parmi toutes les montres. (Le document ci-dessous évoque du tritium «non radioactif» mais ce matériau l’est, en fait, et sera interdit dès 2003, remplacé par du Luminova. Le nom de la montre conservera néanmoins son emblématique T, mais pour Taucher, qui signifie plongeur en allemand).
Le coup de pouce décisif de Cousteau
Pour tester la montre, le plongeur Claude Wesly recommande à Urs Eschle de s’adresser à Jacques Cousteau. Or, à l’époque, celui-ci est le président de la US Divers Company, basée en Californie, et considérée comme le fournisseur de matériel de plongée le plus avancé de son temps.
Convaincue par les qualités exceptionnelles de la Sub 300, la Compagnie en commande 4’000 exemplaires - avec cadran orange - qui seront vendues sous le nom de «The US Divers Doxa».
- Sub 300T Professionnal US Divers
Introduction de la valve à hélium
Rapidement, de très nombreuses variantes de la Sub 300T vont se succéder. Une des premières (et des plus importantes) est l’introduction dès fin 1968 de la Sub 300T Conquistador. En effet, avec la Conquistador, Doxa introduit une innovation importante, la valve à hélium. Développée conjointement avec Rolex, la valve à hélium, devenue aujourd’hui un dispositif courant dans toute montre de plongée digne de ce nom, permet d’évacuer les molécules d’hélium qui, plus petites que celles de l’oxygène ou du nitrogène, peuvent pénétrer à l’intérieur du boîtier et, sous la pression sous-marine, déloger par poussée le verre de la montre. La valve permet de les évacuer, garantissant ainsi un fonctionnement parfait de la montre dans les condition de haute pression sous-marine.
(Très précisément, la valve à hélium n’est vraiment utile que dans le cas de plongées professionnelles à très grandes profondeurs, utilisant un mélange gazeux comportant de l’hélium et passant par un séjour obligatoire dans un caisson de décompression. C’est pour ceux-ci que la valve à hélium a été mise au point. En pratique, pour les plongeurs de loisir évoluant à des profondeurs moindres n’obligeant pas à passer par un caisson de décompression, on peut s’en passer sans danger pour la montre, à condition de bien respecter les limites d’étanchéité de celle-ci.)
- La Sub 300 Conquistador avec cadran argent et valve à hélium. Extrait du livre Doxa SUB Forty Years de Peter McLean Millar.
La même année, Doxa introduit également un modèle pour femme, étanche à 200 m, qui connaîtra un beau succès sous le nom de Sub Coraline.
- La Sub 200 Coraline et la Sub 300 Conquistador, telles qu’elles apparaissent dans Europa Star en 1968.
- © Europa Star Archives
- Sub 600 T-Graph Professionnal. Extrait du livre Doxa SUB Forty Years de Peter McLean Millar.
- Ladie’s Sub 200 Coraline. Extrait du livre DoxaSUB Forty Years de Peter McLean Millar.
Dès lors, on ne comptera plus les différentes versions qui vont apparaître au fil de la décennie suivante, pour la plupart en éditions limitées.
Il serait trop long de toutes les énumérer ici, mais mentionnons quelques modèles parmi les plus marquants: les Sub 600T et 750T, résistantes comme leur nom l’indique à 650 mètres et 700 mètres, la Searambler, la Diving Star, la Sharkhunter, ou encore une version chronographe avec la Sub200 T-Graph.
- Un membre de l’équipage de Cousteau avec une Sub 600T au poignet.
Fusion puis rachat
Dès 1969, Doxa est englobée dans un groupe qui réunit trois marques (Cyma, Ernest Borel et Doxa), au sein de Synchron SA Fabriques Horlogères Réunies, détenue par Chronos Holding SA.
- La Dox Sub 300 T dans Europa Star en 1972.
- © Europa Star Archives
Mais l’horlogerie suisse sera bientôt en plein marasme avec l’arrivée du quartz qui bouleverse les hiérarchies. En 1978, Aubry Frères rachète Doxa. Le nouveau propriétaire relance alors la Sub en essayant de l’adapter au goût du jour. Il introduit des modèles quartz, lance les Sub 600T, 750T, 1000T. Stylistiquement, la Sub n’a pas varié en 10 ans. Aubry Frères re-travaille son design, adapte la forme de son boîtier et de sa lunette.
Les modèles vont se multiplier, mécaniques et quartz. Du coup, l’identité de la Sub se dissout. Et l’époque n’est plus à la «montre-instrument». La vague fashion est passée par là.
- Europa Star n° 2/1984
- © Europa Star Archives
Nouvelle ère
En 1997, Doxa est reprise par la famille Jenny, «active dans l’horlogerie depuis quatre générations». Dès 2002, la Sub va être relancée. Elle n’est plus tout à fait la même, tout en conservant toutes ses qualités instrumentales. Mais, comme Malcolm Lakin le décrit à l’époque pour Europa Star, son design s’est adouci, ses courbes sont plus douces, elle se coule dans le goût de l’époque.
- Europa Star n° 2/2002
- © Europa Star Archives
Retour aux fondamentaux
La roue tourne vite et, dès 2005-2006, comme le montre cet extrait de publireportage que Doxa fait publier dans Europa Star n° 2/2006, la Sub revient à ses fondamentaux. Elle retrouve ses lignes originales, bien que subtilement transformées. C’est que la grande vague des montres vintage commence à déferler.
L’heure au poignet étant devenue inutile, la nostalgie de l’époque dorée de la montre-instrument, de la montre faite pour un usage précis, de la montre accompagnée de véritables histoires, se fait toujours plus pressante. La Sub, montre de légende (même si cette légende n’a alors qu’une petite quarantaine d’années), est prête pour retrouver le poignet des millenials qui commencent à imposer leurs goûts. Visiblement, le slogan «Nous avions découvert un nouveau monde» leur est directement adressé (voir ci-dessous).
En 2012, l’héritage de Cousteau et de la US Divers Company se fait encore sentir. La Sub de Doxa jouit toujours d’une réputation exceptionnelle aux Etats-Unis. A tel point que cette année-là, Romeo Jenny, CEO de Doxa, explique à Europa Star que la Sub est vendue prioritairement dans ce pays, et ce uniquement via internet.
- Europa Star 5/2012
- © Europa Star Archives
2019: «Mettre tout l’accent sur la fameuse et mythique Sub»
2019. L’engouement pour le vintage atteint son pic et toutes les marques qui ont un patrimoine fouillent dans leur tiroir et ressortent des modèles datant de l’époque de la montre-instrument. Doxa n’est pas en reste avec sa Sub et «décide d’aller plus loin dans l’ADN de la marque et de mettre l’accent sur les fameuses et mythiques Sub».
Pour bien marquer le retour en fanfare de l’icône, Doxa présente à Baselworld plusieurs pièces dont, en tête de liste, une réédition anniversaire de la Doxa Sub 200T-Graph née en 1969. Pour bien marquer le coup, cette «réinterprétation» se présente dans un boîtier or 18K, en édition limitée à seulement 13 exemplaires par ailleurs équipés de mouvements historiques d’origine Valjoux 7734 qui avaient été conservés dans les tiroirs depuis plus de 30 ans.
Autre réédition, celle de la Sub 200, en acier 316L, éditée à 130 exemplaires, un chiffre qui célèbre les 130 ans de la marque Doxa.
Mais derrière ces pièces pour collectionneurs avertis, c’est à une vaste offensive Sub qu’il faut s’attendre. Doxa annonce en effet que «dorénavant tous les modèles iconiques Sub (les 42.5 mm et les 45 mm ainsi que les Sub 200) seront systématiquement disponibles en séries non-limitées dans les six couleurs - orange bien sûr, mais aussi jaune, bleu marine, turquoise, argenté et noir.»
De quoi relancer la saga de la Sub.