Horlogerie et environnement


Où en est la Watch & Jewellery Initiative 2030?

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mai 2022


Où en est la Watch & Jewellery Initiative 2030?

Visant des objectifs communs de développement durable et portée à la fois par Kering et par Richemont via Cartier, la «Watch & Jewellery Initiative 2030» lancée l’automne dernier avait fait grand bruit dans le monde feutré du luxe. Six mois plus tard, où en est cette nouvelle association? Rencontre avec ses membres fondateurs.

L’

annonce par Kering et Cartier, mandaté par Richemont, du lancement de la Watch & Jewellery Initiative 2030, le 6 octobre 2021, avait fait grand bruit dans le monde feutré du luxe. Pour la première fois, de grands groupes - concurrents - déclaraient ouvertement leur volonté de «rassembler les acteurs mondiaux de l’horlogerie et de la joaillerie autour d’un socle commun d’objectifs clés en matière de développement durable».

Un signal fort à la hauteur des enjeux environnementaux et sociaux auxquels l’humanité entière doit faire face urgemment. En effet, le temps presse, comme le confirme encore une fois le dernier rapport du GIEC paru début avril. C’est «maintenant ou jamais» qu’il faut limiter le réchauffement à 1,5°, selon le groupe intergouvernemental. Il est temps de faire le point sur cette initiative inédite, six mois après son lancement.

La création officielle de la Watch & Jewellery Initiative 2030 est intervenue lors du dernier salon Watches and Wonders, six mois après son lancement. Les marques Chanel Horlogerie Joaillerie, Montblanc, Rosy Blue et Swarovski ont rejoint l'association, après Cartier, Kering, Gucci Watches, Boucheron, Pomellato, Dodo ou encore Qeelin.
La création officielle de la Watch & Jewellery Initiative 2030 est intervenue lors du dernier salon Watches and Wonders, six mois après son lancement. Les marques Chanel Horlogerie Joaillerie, Montblanc, Rosy Blue et Swarovski ont rejoint l’association, après Cartier, Kering, Gucci Watches, Boucheron, Pomellato, Dodo ou encore Qeelin.
©Grégory Maillot / Point of Views

La question du nombre

Lorsque l’on évoque l’Initiative 2030, il est immédiatement évident que son but est fondé et s’inscrit même au cœur des objectifs de développement durable des Nations unies, puisqu’il contribue directement à l’objectif 17 de «partenariats pour la réalisation des objectifs». Cependant, une question interpelle: pourquoi tous les autres grands acteurs des secteurs concernés ne sont-ils pas présents dès le départ? Cela aurait certainement facilité le développement ultérieur.

Marie-Claire Daveu, Directrice du développement durable et des affaires institutionnelles chez Kering, répond avec son habituel franc-parler: «La démarche est collective. Le but premier est de s’engager, puis de convaincre les autres au fur et à mesure. Pas seulement les grandes marques européennes, mais aussi les plus modestes, issues d’autres origines géographiques. Nous avons énormément discuté en amont. Il s’agit d’un engagement fort, il est normal que cela prenne du temps. L’essentiel est d’enclencher la dynamique en cette Décennie d’action décisive.»

Marie-Claire Daveu, Directrice du développement durable et des affaires institutionnelles chez Kering
Marie-Claire Daveu, Directrice du développement durable et des affaires institutionnelles chez Kering
©Carole Bellaïche

Cyrille Vigneron, président et CEO de Cartier, précise lui aussi: «Lorsque nous avons approché les marques, nous avons mesuré leur réticence, par pudeur ou opacité. Comme si chacun attendait que l’autre prenne la parole. Or nous n’avons plus le temps. Nous avons donc décidé de lancer la démarche avec Kering. Le but est de résoudre les problèmes pressants devant nous de manière collective, d’avoir tous les mêmes objectifs et d’oeuvrer tous dans le même sens.»

«Lorsque nous avons approché les marques, nous avons mesuré leur réticence, par pudeur ou opacité. Comme si chacun attendait que l’autre prenne la parole. Or nous n’avons plus le temps.»

Premiers pas encourageants

Début avril, de nouveaux membres commencent à rejoindre l’initiative: Chanel Horlogerie et Joaillerie, Montblanc, Rosy Blue, Swarovski... Le mouvement collectif commence-t-il à prendre forme? Les membres fondateurs se disent satisfait de ces premiers pas importants. Tous deux soulignent un point clé: le caractère associatif de la démarche.

«La structure associative, basée à la Maison de la Paix à Genève, permet une réelle animation et une coordination des efforts, explique Marie-Claire Daveu. Pour ne pas dépasser les 1,5C° d’augmentation de la température, il faut agir sur tous les leviers. L’Initiative permet de partager les meilleures pratiques en open source, voire même de la R&D pour de nouvelles technologies innovantes. Les marques, les fournisseurs, les ONG et toute la chaîne d’approvisionnement peuvent en profiter.»

Le président de Cartier insiste: «Au sein de l’Initiative, les PME aussi trouveront de l’aide pour leur certification, pour analyser leur chaîne de valeur. C’est un formidable apprentissage collectif. Nous bénéficions du savoir-faire, précieux en la matière, du Fashion Pact de Kering (de 2019, ndlr) qui réunit aujourd’hui plus de 250 marques de mode.»

Les mentalités évoluent et ces thèmes deviennent de plus en plus centraux dans les débats et les communications des marques. Cependant, le temps presse. Comment faire bouger les lignes et éviter l’inertie? Un seul mot d’ordre: «L’action!» Avec son enthousiasme communicatif, la responsable du développement durable de Kering confirme: «Il faut être très concret, fixer des objectifs ambitieux, mettre en oeuvre les politiques adéquates… et accepter ce qui est atteint ou non.»

Cyrille Vigneron, président et CEO de Cartier
Cyrille Vigneron, président et CEO de Cartier

«Montrer qu’il est possible de faire ce changement en profondeur, que ce n’est pas si compliqué, va contribuer à dédramatiser l’approche et accélérer la dynamique. Le luxe en a les moyens!»

Les questions de la transparence et du changement de mentalité sont indissociables d’un processus authentique de responsabilité environnementale et sociale. Cyrille Vigneron évoque l’effet d’entrainement de la démarche: «Le changement de paradigme va s’opérer par les actions combinées de la hausse des attentes des consommateurs finaux, des investisseurs et des employés. Montrer qu’il est possible de faire ce changement en profondeur, que ce n’est pas si compliqué, va contribuer à dédramatiser l’approche et accélérer la dynamique. Le luxe en a les moyens!»

L’espoir est donc grand que l’Initiative 2030 s’étende rapidement. Marie-Claire Daveu en est convaincue: « Les discussions sont nombreuses en ce moment. Les réactions sont très positives même si les processus internes peuvent être longs. Je suis très confiante qu’avant l’été et dans le courant de l’année, de nombreuses marques vont se joindre à l’association.»

Le CEO de Cartier acquiesce: «Tout le monde est très concerné. Certains travaillent de leur côté sans avoir besoin de l’Initiative. Mais tant que toute l’industrie va dans le même sens, on avance. Il faut accepter la transparence vérifiable, dire ce que l’on fait et le montrer. La méthodologie des Science Based Targets est très utile pour cela. C’est de toute manière inévitable!»

«Je suis très confiante qu’avant l’été et dans le courant de l’année, de nombreuses marques vont se joindre à l’association.»

Où en est la Watch & Jewellery Initiative 2030?

Quid du RJC?

Force est de constater que l’épisode du Responsible Jewellery Council (RJC) a quelque peu ralenti les processus et freiné certaines velléités. Où en sont les discussions depuis la sortie de Kering et de Cartier de l’organisation le 30 mars dernier?

«Les discussions sont en cours mais aucune décision n’est encore prise. Il faut reconnaitre le travail formidable réalisé par le passé et bâtir sur ce socle», relève Marie-Claire Daveu.

Cyrille Vigneron souligne pour sa part: «C’était une question d’éthique. Le Board du RJC ne voulait pas se prononcer sur la suspension des activités avec Alrosa. Cartier et Kering sont donc sortis d’eux-mêmes. Aujourd’hui Alrosa est suspendue. Une réforme devra être entreprise pour atteindre une obligation de traçabilité complète. J’ai bon espoir que l’on s’oriente vers une refonte du statut et de la gouvernance du RJC.»

«Aujourd’hui Alrosa est suspendue. Une réforme devra être entreprise pour atteindre une obligation de traçabilité complète. J’ai bon espoir que l’on s’oriente vers une refonte du statut et de la gouvernance du RJC.»

Objectifs individuels et collectifs

Mais avant de vouloir réunir l’ensemble de l’industrie autour d’objectifs communs de développement durable, quelles sont leurs propres réalisations en la matière? La question du greenwashing étant sur toutes les lèvres, ces entités se doivent d’être exemplaires.

Kering a atteint fin 2021 l’un des objectifs principaux qu’elle s’était fixée pour 2025: -40% de réduction de son empreinte environnementale en intensité. Quelques 92% d’ENR (utilisation d’énergies nouvelles ou recyclables) ont également été atteint par ses sites de production et 100% d’«or éthique» est utilisé dans leurs approvisionnements.

Cartier communique aussi des résultats prometteurs: l’objectif de réduction des émissions CO2 de -46% (sur les Scope 1 et 2 du bilan carbone, ndlr) fixé pour 2025, est déjà atteint, celui de continuer à les réduire de 10% supplémentaires chaque année est en bonne voie. Toutes les boutiques et manufactures de l’entreprise sont certifiés LEED Gold au minimum, l’un des critères les plus exigeants en matière de bâtiments éco-responsables.

Le «luxe frugal» au coeur des réflexions

La Directrice du développement durable de Kering partage ses espoirs quant au destin de cette initiative commune: «Réunir la masse critique pour atteindre le fameux «point d’inflexion» qui va totalement changer la chaîne d’approvisionnement. Réussir à être présents sur tous les continents pour que le message se diffuse dans le monde entier. Mais ma crainte est de ne pas arriver à convaincre assez rapidement.»

Où en est la Watch & Jewellery Initiative 2030?

Le président de Cartier, philosophe, ajoute: «L’espoir est bien entendu d’atteindre les objectifs le plus vite possible et de multiplier les adhésions, mais j’aimerais aller plus loin. Pourquoi ne pas imaginer un Beautifully ou un Environment-Friendly Swiss made? Un luxe frugal est possible. L’horlogerie en est capable en consommant peu de matières premières, en produisant des montres faciles d’entretien et transmissibles sur des générations. La joaillerie aussi. Mon espoir est que la filière devienne propre et transparente le plus rapidement possible. Que la sobriété devienne la norme et que l’humain et l’environnement soient toujours placés au centre des préoccupations. Ma plus grande crainte est la lenteur car le temps presse. Il faut se dépêcher de consommer plus lentement.»

«Pourquoi ne pas imaginer un Environment-Friendly Swiss made? Un luxe frugal est possible. Il faut se dépêcher de consommer plus lentement...»

La notion est posée: le luxe frugal. L’initiative 2030 arrivera-t-elle à rallier cette masse critique nécessaire au changement de paradigme inévitable? Les engagements pris, les objectifs fixés par les deux fondateurs sont en tout cas ambitieux et les moyens pour y arriver tout autant. «Rejoignez-nous pour avoir plus d’impact. Il est temps d’agir ensemble!»: c’est le message adressé par Marie-Claire Daveu à l’industrie. «Il s’agit d’une course contre-la-montre collective, enchaîne Cyrille Vigneron. Nous avons besoin de toute la profession pour aller plus vite. C’est possible. Nous pouvons le faire ensemble. Allons-y!»