vend Andersen est né au Danemark en 1942 dans une famille de petits paysans. Enfant, il est fasciné par la mécanique et fabrique son propre vélo (il n’a pas le choix, s’il veut un vélo). Son école obligatoire accomplie, il pense s’inscrire en apprentissage dans une fabrique d’instruments pour bateaux, de suspensions en bronze, de cadrans... Mais au moment de signer son contrat, il apprend que la fabrique est sur le point de faire faillite.
Avec son père, ils ne signent pas et rentrent à la maison tête basse. Peu après, son père lit dans le journal une petite annonce: un horloger de Padborg, à dix kilomètres de la frontière allemande, cherche un apprenti.
L’horlogerie, pourquoi pas? Après tout c’est aussi de la mécanique. «Je suis devenu horloger par hasard», dit-il. Après son apprentissage, il passe 6 mois à la Royal Danish Academy pour obtenir son diplôme.
«Je suis devenu horloger par hasard.»
Deuxième petite annonce
En 1963, il a 21 ans et vient de terminer son service militaire. Il tombe sur une petite annonce dans le Journal Suisse d’Horlogerie: on cherche dans le Haut-Valais, en Suisse, un horloger parlant allemand et anglais. C’est son cas. Et le salaire est le double de ce qu’il pourrait toucher au Danemark. Il y va. C’est un magasin d’horlogerie à Brigue, première étape après le passage du col du Simplon. L’été, des cars de touristes américains venus d’Italie s’y arrêtent régulièrement. En hiver, il est prêté à un magasin de la station de ski de Saas-Fee. Mais il a interdiction de skier, de peur qu’il se casse une jambe.
Un soir, dans un bar, il fait connaissance de deux horlogers qui travaillent chez Gübelin, un grand détaillant de Lucerne. Ça tombe bien, ils cherchent quelqu’un qui parle aussi anglais. Il est immédiatement engagé.
Gübelin possède aussi un magasin à Genève et accepte de l’y envoyer. Il y restera 5 ans, toujours dans le SAV. Mais il ne quittera plus la ville.
Chez Gübelin, il travaille au SAV. Dans les tiroirs patientent de nombreux petits mouvements pour Dame qu’il faut rafraîchir, remboîter, transformer. A Lucerne, il rencontre celle qui deviendra sa femme. Elle est interprète trilingue et aimerait aller en Suisse romande pour perfectionner son français. Nouveau coup de chance, Gübelin possède aussi un magasin à Genève et accepte de l’y envoyer. Il y restera 5 ans, toujours dans le SAV. Mais il ne quittera plus la ville.
Pendules en bouteille
A la fin de la nuit bien arrosée de la Saint-Sylvestre de 1968, alors qu’il tente de regarder l’heure à travers une bouteille vide, lui vient l’idée qui allait le propulser. Une idée qu’il concrétise en cinq mois et qu’il présente en 1969 à l’exposition Montres et Bijoux de Genève: la pendule dans la bouteille. La première comporte un mouvement 8 jours à remontage manuel. Mise à l’heure et remontage se font par le bouchon. Toutes les pièces mécaniques passent par le goulot et leur assemblage nécessite 17 outils spéciaux fabriqués pour l’occasion. «Et une grande habileté, évidemment», ajoute Svend en souriant.
En une semaine, sa réalisation spectaculaire fait le tour du monde, relayée par toutes les agences de presse. La pendule dans la bouteille va le propulser. Son exploit l’introduit dans le cercle des collectionneurs mais ne fait pas que des heureux, dont le patron d’alors de Gübelin qui prend ombrage de la soudaine notoriété de son employé.
- Le jeune Svend Andersen avec sa première montre en bouteille, en 1969
A la fin de la nuit bien arrosée de la Saint-Sylvestre de 1968, alors qu’il tente de regarder l’heure à travers une bouteille vide, lui vient l’idée qui allait le propulser: la pendule dans la bouteille.
Mais Patek Philippe, qui a eu vent de l’histoire, vient le chercher, et avec le respect car quand il arrive pour signer son engagement dans les bureaux de Patek, Henri Stern en personne vient le saluer et lui souhaiter la bienvenue. Svend, encore aujourd’hui, en est resté estomaqué. Il est tout de suite affecté à l’atelier des grandes complications. Il y restera neuf ans, à travailler sur les quantièmes perpétuels, les répétitions minutes, les chronographes...
Il touche à tout et, selon ses dires, résout nombre de problèmes. On lui demande aussi de travailler à la restauration de pièces anciennes pour lesquelles il a un feeling particulier, les traitant avec délicatesse, sachant leur laisser leur patine, travaillant avec une polisseuse qui avait la même sensibilité.
Mais surtout, il fait la connaissance des Heures du Monde de Louis Cottier. Son responsable, le fameux maître-horloger Max Berney, arrive un jour avec une boîte contenant des mouvements, des cadrans provenant du travail de Louis Cottier, l’inventeur du mécanisme des Heures du Monde. Il lui demande si l’on pourrait en faire quelque chose... Une douzaine de pièces vont être réalisées.
- La première Heures du Monde de Svend Andersen date de 1989. Son module additionnel fait 0,9 mm d’épaisseur, à comparer avec le 1,2 mm plus cadran des modèles de Louis Cottier, l’inspirateur. Depuis lors, il en a créé de nombreuses.
Mises en boîte
Fin 1972, alors qu’il travaille toujours chez Patek Philippe, un grand collectionneur de Lucerne lui apporte en privé un superbe mouvement grande complication de Louis Audemars et lui demande s’il peut recréer une boîte de poche en or pour l’abriter dignement. Svend Andersen, qui n’y connaît encore pas grand-chose en boîtes, se renseigne partout, va fouiller les archives avec l’aide de Fabienne-Xavière Sturm, alors directrice du Musée d’horlogerie et d’émail de Genève. Il finit par dénicher un des derniers boîtiers capable de faire une boîte en or pour un tel mouvement.
Le collectionneur montre la pièce lors d’une réunion privée à Munich. C’est le branle-bas de combat, il reçoit «une avalanche de demandes», alors qu’il travaille toujours chez Patek Philippe. En 1979, il quitte Patek – en bons termes, ils deviendront un de ses premiers clients – récupère les machines d’un atelier de boîtier qui ferme et s’installe à son compte avec le boîtier Perret.
Il restaure et remboîte en or des mouvements, principalement venus d’Allemagne ou de Suisse – dont nombre de familles juives qui en urgence avaient fait fondre leurs boîtiers d’or. Les demandes affluent. Il voit défiler tous les styles, les époques, en tire une grande connaissance. Et il travaille aussi pour Antiquorum naissante.
Transmissions
Osvaldo Patrizzi et Svend Andersen se complétaient. Andersen avait une grande bibliothèque d’ouvrages d’horlogerie, une mine d’or pour Patrizzi. Un de ses collaborateurs, le grand expert Nathan Schmoulovitch, lui présente un jeune horloger qui vient de sortir brillamment de l’École d’horlogerie de Genève, qui ne veut pas rentrer en fabrique et qui tient à tout prix à devenir indépendant, un certain Franck Muller.
Il l’engage à 50% et lui laisse l’atelier disponible pour travailler les autres 50% pour lui-même. Une formule qu’Andersen répétera à plusieurs reprises avec d’autres, contribuant ainsi notoirement à la transmision auprès d’une génération de nouveaux horlogers.
Au même moment, Alan Banbery, qui s’occupait de la collection Patek Philippe, voulait publier avec Martin Huber le premier beau livre sur les montres de Patek. Mais la plupart des mouvements de la collection étaient oxydés, les boîtes griffées... Banbery demande à Andersen de les restaurer. Celui-ci en confie une en essai à Franck Muller. Essai concluant. En trois ans, ils en restaureront 60.
- Mundus, la montre heures du monde la plus fine du marché
Con uno cuore
1984. C’est l’heure de gloire des collectionneurs italiens, avides eux de montres de poignet con uno cuore. Ils déboulent chez Andersen avec de beaux mouvements pour lesquels il fallait créer des boîtes. Son associé Perret jette l’éponge, il ne veut pas faire de montres de poignet.
Pour ses boîtiers, il fait alors appel à Jean-Pierre Hagmann, un magicien de la boîte qui vient de se mettre à son compte. Andersen est son premier client – et aujourd’hui, à l’âge de 82 ans, on retrouve Hagmann aux côtés de... Rexhep Rexhepi!
Avec Hagmann, Andersen mettra notamment au point le verrou étanche pour les petits mouvements répétition minutes qu’ils emboîtent dans des montres-bracelets. Au même moment, il commence à créer ses premières pièces signées Andersen Genève. Que des pièces uniques, et notamment des quantièmes perpétuels rétrogrades.
Ce n’est qu’en 1989 qu’il sort sa première collection, une Heures du Monde, 24 montres en souscription. Inspiré de celui de Cottier, son mécanisme additionnel ne fait que 0,9 mm y compris cadran, contre 1,2 mm plus le cadran pour Cottier. Sur les 24 montres proposées en souscription, 18 sont immédiatement commandées, ce qui lui permet de financer largement l’achat d’or pour les boîtiers.
Suivront nombre de pièces remarquées: la Christophorus Colombus de 1992, produite à 500 exemplaires, un chiffre remarquable, des répétitions minutes en pièce unique, des QP rétrogrades...
Et en 1996, nouveau coup de hasard: un Italien – décidément, l’Italie a joué un rôle majeur dans le retour de l’horlogerie mécanique – vient lui montrer un modèle de poche avec automates érotiques et lui demande s’il peut en réaliser en montre-bracelet. Bingo. Environ 170 pièces vont être réalisées jusqu’à aujourd’hui, avec peinture miniature, gravure et entre 9 et 11 pièces mobiles, ce qui est un exploit.
- En 1996, un collectionneur italien demande à Svend Andersen s’il peut réaliser une montre-bracelet érotique à automates. Pari tenu. Depuis lors, Svend Andersen en a réalisé plus de 170. Avec entre 9 et 11 éléments qui bougent.
Divulgateur
Sans cesse inventif, Svend Andersen est aussi un rassembleur et un divulgateur. Non content d’avoir été à l’origine de l’AHCI (Académie créée en réaction et défense face aux groupes qui se mettaient alors à racheter ou relancer des marques historiques oubliées), Svend Andersen a aussi été une des chevilles ouvrières qui ont permis l’inscription de l’art horloger au registre des biens immatériels de l’humanité de l’UNESCO.
«Savoir transmettre, c’est forcer l’autre à réfléchir par soi-même», aime à dire ce franc-tireur. A sa façon de transmettre, il est à l’opposé d’un Philippe Dufour qui peine à accepter qu’on ne reproduise pas exactement les mêmes gestes que lui. Svend s’en fiche si les jeunes horlogers qu’il accueille font comme ci ou comme ça. Seule compte la beauté du résultat.
A sa façon de transmettre, il est à l’opposé d’un Philippe Dufour. Svend s’en fiche si les jeunes horlogers qu’il accueille font comme ci ou comme ça. Seule compte la beauté du résultat.
- Le modèle Tempus Terrae, 25 exemplaires en or jaune, 25 en or rose, 25 en or gris.
Et transmettre va dans les deux sens, c’est un échange donnant-donnant. En retour, Svend profite aussi des savoirs différents de ses jeunes horlogers. La transmission, ce n’est pas de la reproduction. On transmet aussi pour être dépassé, pour que la culture horlogère poursuive sa route.
- Svend Andersen Genève, Heures Sautantes 40ème Anniversaire en Platine. Exceptionnel cadran en or bleu 21ct guilloché main «losanges magiques», qui reflète la lumière différemment en fonction de l’éclairage. Extrêmement difficile à réaliser, il demande l’utilisation de pas moins de trois machines différentes par le guillocheur. Mouvement Frédéric Piguet 11.50 double barillet automatique avec module «Heures Sautantes» développé et fabriqué chez Andersen Genève. Edition limitée de 40 pièces.