ommençons par la biographie de Vianney Haler. Il naît à Suresnes en France en 1963, d’un père cheminot. Mais dans sa tête, il a toujours été horloger. «J’avais un truc avec les engrenages», se justifie-t-il. Syndrome de la locomotive?
Précoce, il collectionne sa première horloge d’édifice à 11 ans, fasciné qu’il était par celle de la tour du presbytère de Limay où ses parents ont déménagé pour vivre dans des wagons frigorifiques transformés en maisons. Déjà, la tête levée vers le ciel, il se racontait des histoires. Quelques jours après, l’horloge d’édifice trônait dans sa chambre. Une horloge fondatrice de sa philosophie, de son art de vivre (il en possède aujourd’hui plus d’une centaine).
Tout naturellement, l’école d’horlogerie
A 15 ans, il est à l’École d’horlogerie de Paris. Il s’y est préparé longtemps à l’avance en récupérant, désossant et remontant sans cesse des vieux réveille-matin. Il s’intéresse aussi à l’histoire, celle de l’horlogerie et à travers elle celle du monde. Il est fasciné par les maîtres du temps qui ont permis la conquête des mers.
A 17 ans, il sort de son école qui, à la toute fin des années 70, enseignait encore heureusement une horlogerie classique: limage pendant 6 mois, tournage, trempage, etc... «J’étais assez performant», affirme-t-il fièrement. Il faisait des choses différentes aussi, des sculptures en métal, allait vite. Comme il était en avance sur le programme, on lui octroyait du temps libre pour aller travailler sur des machines-outils oubliées qu’il remettait en route pour y faire de la taille de pignons, des roues, etc. «Ça m’a donné le goût de fabriquer des choses inattendues.»
De là, il passe directement à un magasin de restauration en pendulerie. Il y restera un an. Il ap- prend beaucoup, aime travailler, est productif. Puis il est engagé dans le XIIIème arrondissement chez un horloger indépendant, restaurateur de montres-bracelets. «Il y avait là un stock énorme. Des pièces intéressantes. C’était comme une seconde école. J’y ai fabriqué des roues pour montre à cylindre, taillé des pierres en corindon, des pièces spéciales comme des doigts de détente, des pièces compliquées. Et ce durant deux ans.»
Fiesta
Arrive le tournant de ses 20 ans, il prend une année sabbatique. C’est la fiesta. Bains Douches, Palace, New Morning, Gibus... tout le Paris nocturne y passe. Il croise Gainsbourg, Coluche et il rencontre Sophie. Une enfant naît (Victoire, qui travaille désormais à ses côtés et est devenue la belle-fille de Denis Flageollet).
Il se remet à sa tâche d’horloger, mais cette fois à son compte. Il a 24 ans, un petit atelier et fait de la restauration. Il rencontre François-Paul Journe qui, au même moment, restaure des pendules notamment pour Asprey et lui envoie des clients.
Il a des envies de voyages exotiques qui le démangent quand Journe lui dit qu’il est en train de monter «un truc» en Suisse, à Sainte-Croix, sur les hauteurs d’Yverdon. Il va voir et il y rencontre notamment Denis Flageollet et Dominique Mouret, un restaurateur d’horloges anciennes très réputé (notamment de la collection Scheufele / Chopard).
Le «truc», c’est THA. Il y travaille beaucoup, notamment avec Denis Flageollet et tout spéciale- ment pour Breguet, alors propriété d’Investcorp, qui a commandé 20 pièces. Ils développent aussi la Mystérieuse, et, parallèlement, c’est le début des montres F.P. Journe avec le Tourbillon Souverain.
Se remettre à rêver
Mais en 1992, il quitte le bateau et se met à travailler avec François Junod, poète et automatier génial, qui lui redonne l’envie de rêver. Ensemble, ils collaborent, voyagent, «et ça m’ouvre les portes d’un autre monde».
En parallèle, il a un petit atelier et travaille pour Franck Muller sur des répétitions minute, des chronos, tourbillons, grandes sonneries. Il a quelques clients en direct et se décide à fonder sa propre boîte, Janvier SA. Il reçoit des commandes, travaille montres musicales et automates pour Jaquet Droz ou Mauboussin. Il grimpe jusqu’à 10 collaborateurs mais son objectif reste encore la sous-traitance. Il travaille notamment pour Audemars Piguet sur une grande sonnerie qui lui demande 3’000 heures de travail.
En 1996, c’est la crise asiatique. Il se retrouve sans travail. Il en profite pour apprendre le piano – d’où surgira sa curiosité pour la résonance. Il a désormais du temps pour réfléchir, cherche à démarcher des travaux mais c’est difficile avec tous les accords de confidentialité qu’il a dû signer et qui l’empêchent de démontrer son savoir-faire.
Travailler pour soi
Il se décide alors à fabriquer pour lui-même. A fabriquer une pièce qui démontre son savoir-faire mécanique et sa virtuosité sur les finitions, les anglages, la forme. Il sort «une pièce de promotion». Ce sera l’Antiqua, dotée d’un quantième perpétuel comme jamais fait. Il commence la montre et va derechef la montrer à Philippe Dufour. Celui-ci décide de le parrainer aussitôt et Vianney entre grâce à lui à l’AHCI et expose pour la première fois à Bâle en 1998. Du coup, il trouve les clients qu’il cherche pour la sous-traitance, mais aussi des acheteurs de sa montre.
- L’Antiqua
C’est un effet du hasard, à nouveau, mais son but n’était pas a priori de devenir une marque. C’est arrivé sans qu’il le cherche vraiment. Lui voulait seulement démontrer son savoir-faire, Mais il n’y avait rien de semblable sur le marché. Il en fait une, deux, trois... «C’est arrivé au bon moment», résume-t-il.
A partir de là, il décide de faire un autre modèle, plus simple, et ce sera sa Classique. S’ensuit l’aventure Goldpfeil, aujourd’hui oubliée mais fondatrice pour nombre d’indépendants, menée par Heinz Heimann pour le compte d’Egana, aujourd’hui disparue. L’opération convoque sept horlogers indépendants issus de l’AHCI. Pour cette opération, il produit 108 pièces. L’histoire s’enchaîne. Il fait la Trio puis l’Opus 3 pour Harry Winston.
- Un article sur Vianney Halter paru dans Europa Star en 1999
Sa marque décolle, tout en s’appuyant sur d’autres développements pour des marques tierces. Cependant en 2010, la crise arrive, il doit licencier tout le monde et liquider Janvier SA. Mais tout doucement, l’idée de la Résonance se développe et résonne dans sa tête. Il va mettre dix ans à la développer.
La Résonance
La montre Deep Space Resonance n’est encore qu’un «prototype» dans l’atelier encombré de Vianney Halter. Mais elle vient de loin. L’idée de construire un double balancier en résonance acoustique a germé dans son esprit en 1996, en jouant du piano et en l’accordant.
Dès lors, elle a grandi lentement en passant par l’étude approfondie des travaux de Breguet, les premières idées concrètes, la construction d’un démonstrateur en utilisant deux montres de bord russes... En attendant, le quotidien d’une marque prend le dessus et le distrait de ses recherches.
Mais dès 2012 il reprend ses travaux, s’aide de l’historien Jean-Claude Sabrier, acquiert une pendule des années 1660, commanditée par Christiaan Huygens pour démontrer sa théorie de l’isochronisme. Un objet qui, pour lui «est une des pièces historiques qui est à la base de l’idée de résonance acoustique en horlogerie».
- La Classique
Pour faire encore un pas de plus, Vianney se tourne vers le cosmos (cet esprit scientifique et artistique est aussi fan de sci-fi). On est en 2016 et on vient de détecter les ondes gravitationnelles qu’Einstein avait théoriquement prédites un siècle plus tôt. Elles sont comme la «résonance générale» de l’univers et se propagent dans toutes les directions, à la vitesse de la lumière.
Emballé, Vianney se remet à son démonstrateur russe à la recherche de la meilleure configuration possible pour mettre en résonance acoustique deux balanciers «sans passer par l’air». Une évidence s’impose, le mécanisme résonant qu’il est en train de développer doit prendre place dans la Deep Space Tourbillon, son tourbillon 3 axes central sorti en 2013.
- Deep Space Tourbillon
Il lui faudra encore quelques années pour parvenir à pleinement développer son idée. Début 2019, les deux balanciers de son démonstrateur fonctionnent de façon stable en résonance acoustique et transposable dans une montre-bracelet. Il construit son prototype en 2020. Et le partage aujourd’hui, en «entrant en résonance» comme il le dit malicieusement «avec les fous de science et de mécanique».
- Deep Space Resonance
Malgré la complexité de cette nouvelle construction, le principe d’architecture technologique est au plus simple et au plus efficace, rien n’est superflu. La cage des balanciers pèse 0,6 g pour 162 pièces. Leurs fréquences de 21’600 alternances/heure sont proches mais légèrement différentes, chacun va transmettre son onde à l’autre via le pont commun. Les deux fréquences vont s’influencer mutuellement. Très rapidement, ils trouvent une fréquence commune et se mettent à battre ensemble en résonance acoustique.