L’horlogerie indépendante


Kari Voutilainen et Tatsuo Kitamura, rencontre au sommet

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juillet 2022


Kari Voutilainen et Tatsuo Kitamura, rencontre au sommet

A l’occasion de ses 20 ans d’indépendance, Kari Voutilainen a tout naturellement collaboré avec son «âme sœur» au Japon: Tatsuo Kitamura, spécialiste de la laque urushi. Il en résulte une pièce unique extraordinaire, l’Heure Universelle Ji-Ku, qui allie les techniques de deux artisans de haut vol.

E

n cette année qui marque les 20 ans de la création de sa marque indépendante, Kari Voutilainen tutoie les sommets. Au propre comme au figuré.

Au propre, car sa manufacture est désormais installée au lieu-dit «Le Chapeau de Napoléon», un nid d’aigle perché à 960 mètres d’altitude, qui surplombe vertigineusement le Val-de-Travers, dans les montagnes jurassiennes suisses; et au figuré, car son horlogerie atteint des pics de raffinement esthétique et de perfection mécanique.

En vingt ans d’ascension progressive, menée dans la discrétion mais avec une constance remarquable, Kari Voutilainen, l’horloger finlandais «venu du froid», s’est peu à peu imposé comme un des plus remarquables représentants de la haute horlogerie indépendante. A tel point que son carnet de commandes est bouclé jusqu’à fin... 2026!

Il faut dire que sa production est extrêmement limitée, avoisinant les 80 montres par année (par séries de maximum 12 pièces chacune) et que, véritable manufacture intégrée, il usine l’ensemble de ses propres composants – à l’exception du spiral, du ressort de barillet et des pierres (bien qu’il en taille certaines particulières).

Il traite également l’acier, sa trempe, son revenu, décore de haut vol l’ensemble de ses 16’000 composants produits par an (1’200 références), sans parler du pré-montage – une étape particulièrement chronophage –, de l’assemblage (chacun de ses horlogers s’occupe d’une montre de A à Z) et de l’emboîtage, étape qu’il accomplit la plupart du temps lui-même. De même, il se réserve le privilège de réaliser personnellement toutes ses aiguilles – comme une signature finale.

Kari Voutilainen se réserve le privilège de réaliser personnellement toutes ses aiguilles – comme une signature finale.

Kari Voutilainen et Tatsuo Kitamura, rencontre au sommet

Ode à l’indépendance

Titulaire record de huit Grand Prix de l’Horlogerie de Genève (dont le premier en 2007 et le dernier en 2020), Kari Voutilainen nous explique, à sa façon presque timide et dépourvue du moindre soupçon d’arrogance, que «la montre aujourd’hui n’est plus l’objet qu’on va chercher dans un magasin. Son histoire, sa véritable histoire, est de plus en plus importante. Une montre n’est pas ou n’est plus anonyme. Et quoi de plus précieux pour un horloger qui tient à sortir de l’anonymat que d’agir et d’exercer en toute indépendance. Si l’on veut apprendre et continuer sans cesse à apprendre, il faut être profondément motivé. Il faut cumuler les savoirs, les entrelacer. Or le travail fractionné de l’industrie mène à l’oubli. Ici, un horloger doit tout faire: équilibrer le balancier, terminer le spiral, en faire les courbes, ajuster, régler... Celui qui achètera la montre est totalement conscient du travail manuel accompli, du soin apporté à sa réalisation. Et c’est ça qui le motive. Du savoir-faire, pas du marketing.»

«Une montre n’est pas ou n’est plus anonyme. Et quoi de plus précieux pour un horloger qui tient à sortir de l’anonymat que d’agir et d’exercer en toute indépendance.»

Rencontre décisive entre deux cultures

«Pas du marketing, du savoir-faire.» Au Japon, Kari Voutilainen aura rencontré une forme d’«âme sœur» en la personne de Tatsuo Kitamura. La collaboration entre le maître-horloger Kari Voutilainen et le «trésor vivant» Tatsuo Kitamura a débuté dès 2013. Tatsuo Kitamura dirige l’atelier Unryuan, qui excelle dans les techniques dites urushi, et tout particulièrement dans le travail, ô combien délicat, de la laque associée à de la marqueterie de coquillages et d’or.

Comme nous le détaille le connaisseur Masahito Hayashi, «ce travail consiste à assembler de délicates et fragiles feuilles de coquillages, aux reflets profus, colorés, dansants, avec des pièces de métal, d’or ou de platine. Le contraste entre ombre et lumière crée un effet visuel tridimensionnel d’une profonde richesse selon l’angle de vue, qui retrouve celui des techniques traditionnelles du saei-maki ou du Somada-zeiku, du nom de l’artisan de Kyoto qui l’inventa au 17ème siècle.»

«Le contraste entre ombre et lumière crée un effet visuel tridimensionnel d’une profonde richesse selon l’angle de vue.»

C’est en l’étudiant de très près et en restaurant de très précieux objets séculaires (sets d’écriture, boîte à tabac, baguettes, voire une petite table, ou armoire) que Tatsuo Kitamura est par- venu à recréer ces arts profondément traditionnels mais oubliés, pour leur redonner vie tout en leur insufflant une touche contemporaine. D’où une approche d’une maîtrise époustouflante de la tradition ancestrale, accomplie avec la liberté d’un créateur.

Kari Voutilainen et Tatsuo Kitamura, rencontre au sommet

Un cadran entre les mains d’un artisan d’art

Kari Voutilainen nous détaille les opérations par lesquelles passe un cadran réalisé ainsi en marqueterie de nacre naturelle et de très fines plaquettes rectangulaires d’or 24 carats: dans une plaque d’or blanc, on creuse une baignoire de 3/10ème de mm au fond de laquelle on dépose une fine couche de laque naturelle. On décore cette laque naturelle qui est ensuite durcie au four à bois. On passe alors au travail de la construction et de l’assemblage des pièces du décor en marqueterie. Le tout est poli puis à nouveau laqué. Enfin, on ajoute de nouveaux éléments...

Chaque fragment de coquillage aux couleurs naturelles Yakou-gai (coquillage vert en forme de turban) et Awabi-gai (coquillage d’ormeau de Nouvelle-Zélande) est limé à la main. Etant donné leur forme de turban en spirale, on ne peut pas les usiner et seule une pièce produite sur dix est digne d’être employée. L’étroite collaboration – on pourrait parler de co-création – entre Kari Voutilainen et Tastsuo Kitamura a déjà produit ses effets sur trois garde-temps exceptionnels.

Kari Voutilainen et Tatsuo Kitamura, rencontre au sommet

Carte blanche

A l’occasion de ses 20 ans d’indépendance, Kari Voutilainen a tout naturellement pensé à cette intense collaboration entre hauts artisans aux cultures si éloignées mais aux approches et aux pratiques si proches. Pour créer le cadran central d’une Heure Universelle, l’horloger du Val-de-Travers a laissé carte blanche à l’artisan d’art japonais. En résulte une montre qui prendra le nom de Ji-Ku, associant poussière d’or, feuille d’or et coquillages précieux. Leur minutieux assemblage dessine une explosion géométrique d’or et de couleurs qu’il faut vraiment découvrir en mouvement, s’illuminant de mille nuances de brillance (mais l’occasion de la contempler sera rare, l’Heure Universelle Ji-Ku étant un exemplaire unique).

A force de nous détailler le cadran, Kari Voutilainen en oublierait presque son propre mouvement. Le calibre 216TMZ Ji-Ku est pourtant un nouveau calibre exclusif.

Mieux encore, la beauté de la pièce ne serait rien sans le sens qu’elle prend. Comme si le temps et sa folle énergie jaillissaient de l’axe central des aiguilles, animant le mouvement circulaire des heures du monde. Une pièce aussi belle et spatiale que poétique. En soi, une oeuvre d’art.

A force de nous la détailler, Kari Voutilainen en oublierait presque son propre mouvement. Le calibre 216TMZ Ji-Ku est pourtant un nouveau calibre exclusif. Inspiré du calibre 28, qui date de 2008, il est doté d’un nouvel échappement avec deux roues d’échappement à impulsion directe sur le balancier de 13,50 mm, muni d’un spiral Philips/Grossmann et battant à 18’000 oscillations/heure.

Il en résulte une performance accrue de 30% et une insensibilité aux chocs. Par ailleurs, sa configuration le prête mieux aux mouvements rotatifs tout en conservant la même minceur (30 mm x 6 mm). Correction des heures et des minutes, affichage du second fuseau horaire des villes et disque de 24h périphérique s’ajustent tous rapidement par la couronne. La réserve de marche est de 60 heures et les aiguilles en or blanc façonnées, comme il se doit, de la main même de Kari Voutilainen.

La platine principale et les ponts sont manufacturés en maillechort, les roues en or rose. Inutile de détailler ici la qualité de la décoration, celle de Kari Voutilainen étant partout reconnue pour sa très haute exigence.

La Ji-Ku: une pièce née de la rencontre entre deux hommes, deux artisans, deux mondes réunis pour projeter et réaliser ensemble un garde-temps unique.