L’horlogerie indépendante


Doxa, la remontée spectaculaire

STRATÉGIE

juin 2022


Doxa, la remontée spectaculaire

Le spécialiste historique des montres de plongée a vu sa désirabilité décuplée en pleine pandémie, depuis l’arrivée en 2019 de Jan Edöcs à sa tête. La marque familiale suisse vient de lancer un modèle en édition limitée avec son détaillant exclusif aux Etats-Unis, Watches of Switzerland. Entretien.

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ondée par Georges Ducommun en 1889 et aux mains de la famille Jenny depuis 1997, Doxa a connu une remontée spectaculaire de sa cote sur les marchés horlogers ces trois dernières années. Cela est dû en grande partie à une nouvelle stratégie de marque, soutenue par la famille Jenny et mise en œuvre par Jan Edöcs, le nouvel homme à sa tête. En trois ans et en pleine pandémie, la désirabilité des modèles du spécialiste de la plongée, s’est vue décuplée, grâce à une stratégie exigeante, sélective et bien huilée.

Au bénéfice d’une longue expérience dans l’horlogerie (Omega, Swatch, Versace et Milus) et d’une connaissance intime des deux marchés les plus dynamique pour l’industrie – la Chine et les Etats-Unis, Jan Edöcs prouve qu’un retournement rapide de cote est tout à fait possible auprès de nouvelles générations fascinées par le patrimoine horloger et de plus en plus connaisseuses. Et ce à tout niveau de prix: si Doxa est active sur un créneau allant de 1’000 à 5’000 CHF, d’autres marques allant de Swatch à Zenith et Parmigiani Fleurier sont aussi en passe de le prouver.

La marque prouve qu’un retournement rapide de cote est tout à fait possible auprès de nouvelles générations fascinées par le patrimoine horloger et de plus en plus connaisseuses.

Discrète mais chaleureuse, authentique mais tournée vers l’innovation: Doxa fait partie de ces marques suisses héritières d’un long patrimoine qu’elles sont en train de transformer pour le meilleur. Elle côtoie aujourd’hui les plus grands noms chez les détaillants les plus prisés. Tout en réalisant toujours la majorité de son chiffre d’affaires en direct et en ligne, en tant que pionnière du e-commerce – avec un impact très favorable non seulement sur les marges dégagées mais aussi sur la connaissance du client final.

Jan Edöcs est le CEO de Doxa depuis 2019. «Notre ambition est d'être chaleureux, authentique, simple, accessible, fonctionnel, ludique - et surtout pas arrogant», explique-t-il.
Jan Edöcs est le CEO de Doxa depuis 2019. «Notre ambition est d’être chaleureux, authentique, simple, accessible, fonctionnel, ludique - et surtout pas arrogant», explique-t-il.

Son «icône» absolue est la SUB, qui domine son offre et est déclinée en de multiples séries très facilement identifiables d’un côté par leur étanchéité de l’autre par leurs couleurs de cadrans souvent vives. Dévoilées à la foire de Bâle et commercialisées en 1967, adoptées l’année suivante par le Commandant Jacques-Yves Cousteau, les SUB 300 et SUB 300T font figure de premières montres de plongée professionnelles abordables pour un plus grand public, avec leur couleur orange et leur lunette rotative brevetée. Cinquante ans plus tard, Doxa s’en tient toujours à cette ligne et à cette philosophie, elle qui cultive toujours un côté «démocratique» reflété dans sa gamme de prix. Nous avons rencontré Jan Edöcs pour évoquer la transformation de la marque depuis son arrivée en 2019.

Europa Star: Quel a été votre parcours avant de rejoindre Doxa?

Jan Edöcs: Je suis originaire de Bienne, c’est donc assez naturellement que j’ai débuté au Swatch Group, d’abord au patrimoine chez Omega. Le conservateur Marco Richon a commencé par me faire nettoyer toutes les pièces du musée, alors que je rêvais de voyages à l’autre bout du monde! Je suis ensuite passé à la marque Swatch, au duty free puis au marché suisse. Après ces deux expériences, j’ai pour la première fois rejoint une marque indépendante, Milus, qui appartenait alors encore dans les années 1990 à la famille fondatrice Junod. Pendant quelques années, j’ai ensuite découvert l’univers de la montre fashion chez Versace, entre le Tessin et Milan… avant de revenir chez Milus, en tant que CEO.

Dans quelles conditions y êtes-vous retourné?

En 2001, la marque a été rachetée par le groupe hongkongais Peace Mark, un des plus importants distributeurs d’horlogerie en Chine. Milus était leur «flagship»: avec elle, ils voulaient démontrer qu’une marque pouvait rapidement s’implanter sur le marché chinois, alors encore naissant, et ainsi gagner la confiance de nouveaux clients pour leur distribution en Chine. Je partageais ainsi mon temps entre la direction de Milus et les relations avec d’autres marques suisses. Le groupe était très puissant en Chine, il y comptait de très nombreux points de ventes et possédait également le détaillant Sincere de Singapour. Cette aventure s’est néanmoins terminée sur une faillite puis une liquidation géante du groupe, qui a été absorbé par Chow Tai Fook en 2008. Mais j’ai continué de faire vivre Milus pendant deux ans, dans l’intérêt du personnel et en payant tous les fournisseurs, jusqu’en 2010. Puis le bon moment est arrivé pour partir, quand un financier de Hong Kong a repris la marque.

Doxa, la remontée spectaculaire

Qu’avez-vous fait à ce moment?

J’ai traversé l’Atlantique pour m’installer à New York, un rêve de longue date. J’y ai implanté un bureau de conseil au cœur de Manhattan où l’on ne parlait que le suisse allemand! Notre but était de faciliter l’implantation d’entreprises suisses aux Etats-Unis. J’ai également mené des missions pour le groupe Gaydoul, qui possédait entre autres la marque horlogère allemande Hanhart et souhaitait revoir son portefeuille d’investissements. Mais après quelques années à New York, j’ai eu envie de revenir en Suisse. Maintenant, j’apprécie beaucoup plus le «bruit» du silence!

Cinquante ans plus tard, Doxa s’en tient toujours à son icône absolue, la SUB, et à sa philosophie, elle qui cultive un côté «démocratique» reflété dans sa gamme de prix.

Doxa réédite pour la première fois, à 100 exemplaires seulement, le modèle Army équipant l'unité des Plongeurs d'élite de l'Armée suisse, l'une de ses pièces vintage les plus recherchées. Une collaboration avec Watches of Switzerland, son détaillant exclusif aux Etats-Unis.
Doxa réédite pour la première fois, à 100 exemplaires seulement, le modèle Army équipant l’unité des Plongeurs d’élite de l’Armée suisse, l’une de ses pièces vintage les plus recherchées. Une collaboration avec Watches of Switzerland, son détaillant exclusif aux Etats-Unis.

Comment s’est faite votre rencontre avec la famille Jenny, propriétaire de longue date de Doxa?

Etant tous deux de la même région de Bienne, nous nous connaissions avec Roméo F. Jenny depuis nos tout premiers pas dans l’industrie horlogère. Nous avions même suivi ensemble un cours d’initiation à l’horlogerie, à l’époque où j’étais chez Omega et lui venait de rejoindre l’entreprise familiale. De retour en Suisse, j’ai continué mon travail de consultant. Nous nous sommes revus à Baselworld en 2018 et j’ai commencé par leur donner quelques conseils amicaux et privés. Petit à petit, cela a débouché sur une collaboration plus large. Un an plus tard, j’ai été présenté comme le nouveau CEO de Doxa et Romeo F. Jenny a repris le poste de président du conseil d’administration du groupe.

Doxa, la remontée spectaculaire

Connaissiez-vous déjà bien la marque? Et que leur avez-vous dit au début de votre collaboration?

Je connaissais leur histoire et, pour moi, Doxa était une véritable «belle endormie»: outre les activités en ligne existantes, il y avait un énorme potentiel sur le marché physique. Je les ai prévenus que Doxa courait un risque s’ils ne parvenaient pas à renouveler leur base de fans, qui vieillissait - qu’ils pouvaient devenir une marque musée, appréciée mais peu achetée. La décision a alors été prise ensemble de tout repenser pour réveiller les marchés et séduire de nouvelles communautés de fans. Et cela a commencé par un coup d’éclat, dès Baselworld 2019: 13 pièces en or de 330 grammes. Il fallait une déclaration forte pour que l’on parle de Doxa lors de la foire. Tout le monde est venu sur notre stand pour voir ces pièces hors norme – nous en avons d’ailleurs vendu huit durant la foire – et nous en avons profité pour leur présenter notre collection SUB 200 à 950 francs…

«Nous avons pris ensemble la décision de tout repenser pour réveiller les marchés et séduire de nouvelles communautés de fans. Et cela a commencé par un coup d’éclat, dès Baselworld 2019: 13 pièces en or de 330 grammes.»

Après le succès de la SUB 200 Whitepearl lancée l'année dernière, Doxa décline cette couleur dans toutes les familles de la SUB. A commencer par la fameuse SUB 300 Carbon qui allie l'élégance d'un matériau technique pour son boitier, le carbone forgé, avec un cadran éclatant, singulier, totalement lumineux, habillé de luminescent blanc Super-LumiNova® sur toute sa surface. Cela assure ainsi une excellente lisibilité de jour comme de nuit.
Après le succès de la SUB 200 Whitepearl lancée l’année dernière, Doxa décline cette couleur dans toutes les familles de la SUB. A commencer par la fameuse SUB 300 Carbon qui allie l’élégance d’un matériau technique pour son boitier, le carbone forgé, avec un cadran éclatant, singulier, totalement lumineux, habillé de luminescent blanc Super-LumiNova® sur toute sa surface. Cela assure ainsi une excellente lisibilité de jour comme de nuit.

Aujourd’hui on vous connaît avant tout pour la SUB qui a connu une véritable renaissance et de multiples déclinaisons.

C’est, par excellence, ce que j’appelle la «plongeuse de bureau». A savoir des montres que la plupart des utilisateurs ne vont pas forcément emmener sous l’eau mais qu’ils apprécient au quotidien. Elles s’adressent à une communauté beaucoup plus large qu’auparavant. A partir de 2019, j’ai aussi commencé à faire jouer mon réseau auprès des distributeurs et détaillants, notamment aux Etats-Unis et en Allemagne. Mais notre stratégie n’était pas d’aller partout en même temps…

2019 c’était hier et votre croissance a semblé très rapide sur ce laps de temps. Par quels marchés avez-vous commencé?

Les marchés anglophones, qui étaient déjà les plus importants pour la marque: Etats-Unis, Royaume-Uni et Australie. Les 12 premiers mois, nous avons développé exclusivement ces marchés, et ce uniquement en ligne. Doxa a été pionnier du e-commerce, la marque est active dans la vente en ligne depuis 2001, et le digital est très important pour nous: aujourd’hui encore, nous réalisons plus de la moitié de notre chiffre d’affaires à travers notre propre plateforme de e-commerce. Nous ne vendons à aucune plateforme tierce. Nos crédos sont le contrôle et l’exclusivité, afin de ne trouver aucune montre Doxa au rabais. Des principes qui s’appliquent aussi à notre réseau physique: nous ne voulons pas créer de concurrence entre détaillants, ce qui risquerait d’alimenter le marché gris et les rabais. Aux Etats-Unis, nous avons ainsi donné l’exclusivité de notre distribution à Watches of Switzerland, avec qui nous venons de sortir un modèle en édition limitée.

«Le digital reste très important pour nous: aujourd’hui, nous réalisons plus de la moitié de notre chiffre d’affaires à travers notre propre plateforme de e-commerce.»

Doxa, la remontée spectaculaire

Quel est le profil de vos détaillants?

A ce jour, nous avons ouvert environ 60 points de vente, dont une majorité en Europe, et plus de 80% d’entre eux représentent aussi des leaders du marché. Notre gamme de prix va de 1’000 à 5’000 CHF: aujourd’hui, lorsqu’un client entre dans une boutique de prestige, il ne va pas forcément ressortir avec la montre qu’il imaginait, surtout vu les conditions de marché actuelles… C’est là que nous intervenons. Et nous n’allons jamais aller au-delà de cette gamme: là où les autres commencent, nous nous arrêtons.

Les modèles Doxa Army Watches of Switzerland sont livrés avec deux bracelets – caoutchouc FKM noir et de type NATO à motif camouflage – dans un écrin spécial à cette série, qui reprend le motif original camouflage de l'Armée suisse de l'époque.
Les modèles Doxa Army Watches of Switzerland sont livrés avec deux bracelets – caoutchouc FKM noir et de type NATO à motif camouflage – dans un écrin spécial à cette série, qui reprend le motif original camouflage de l’Armée suisse de l’époque.

Pour quelle production annuelle?

L’an passé, nous avons produit 10’000 pièces. Nous ne savons pas encore où nous nous arrêterons, mais nous savons à partir de quand nous voudrons ralentir. Nous n’irons pas trop loin dans les volumes. Mais à l’heure actuelle, il y a encore un énorme potentiel pour grandir – à condition d’arriver avec justesse sur de nouveaux marchés, selon nos principes de croissance maîtrisée. Fin mai, nous avons annoncé l’arrivée de Doxa au Moyen-Orient, simultanément chez des détaillants exclusifs respectivement aux Emirats arabes unis, au Koweit, au Bahrein et en Arabie saoudite. Cela fait longtemps qu’ils nous sollicitaient. Mais nous leur avons dit: s’il vous plait, attendez encore un an, 2022 est l’année de notre implantation au Moyen-Orient pour que tous les marchés s’ouvrent à la même date. Cela donne un effet amplificateur. Mais certains étaient plutôt étonnés que nous les fassions patienter!

Savoir dire non a une valeur, surtout lorsqu’il s’agit de ne pas grandir trop vite. Quand les détaillants asiatiques très intéressés à représenter Doxa sont venus nous voir ce printemps à Genève, nous leur avons également demandé de patienter encore jusqu’à l’année prochaine. Nous voulons être prêts pour honorer chaque marché et pas juste livrer de la marchandise. C’est ce qui crée les conditions de désirabilité, de contrôle et de qualité dans lesquelles l’horlogerie s’épanouit aujourd’hui. Et puis, nous avons la chance, grâce à l’importance de notre plateforme de e-commerce, de connaître directement la majorité de nos clients…

«Nos crédos sont le contrôle et l’exclusivité, afin de ne trouver aucune montre Doxa au rabais. Aux Etats-Unis, nous avons ainsi donné l’exclusivité de notre distribution à Watches of Switzerland, avec qui nous venons de sortir un modèle en édition limitée.»

Doxa, la remontée spectaculaire

Créer de la désirabilité, au point d’un jour ne plus pouvoir livrer vous non plus?

Nous n’en sommes pas là et le but est que tout le monde puisse être livré. Les séries limitées doivent être justifiées, comme c’est le cas de notre modèle Army Watches of Switzerland. Notre marque est simple à comprendre: nous avons sept collections, avec sept couleurs maintenant que la variante Whitepearl a été déclinée à toutes les lignes. Et nous travaillons sur notre différenciation, il ne s’agit pas juste de faire des répliques du passé. D’où, par exemple, le recours au carbone. Notre cadre de création est clair: nous restons «sous l’eau», dans notre créneau, et n’allons pas commencer à faire des montres de pilote… Il ne faut pas essayer de plaire à tout le monde. Nous jouons sur les couleurs, comme notre orange emblématique, depuis les années 1960. Notre ambition est celle d’être chaleureux, authentique, simple, accessible, fonctionnel, ludique – et surtout pas arrogant.

La Doxa Army était l'une des toutes premières montres à utiliser un revêtement relativement précoce pour le boitier dans l'horlogerie de l'époque: un acier noirci par un procédé d'oxydation, lui conférant une couleur noire mat antireflet pour un effet original pour l'époque. Un rendu visuel cultivé par la réédition d'aujourd'hui, présentée en céramique noire mat qui se rapproche au plus près visuellement de la pièce originale.
La Doxa Army était l’une des toutes premières montres à utiliser un revêtement relativement précoce pour le boitier dans l’horlogerie de l’époque: un acier noirci par un procédé d’oxydation, lui conférant une couleur noire mat antireflet pour un effet original pour l’époque. Un rendu visuel cultivé par la réédition d’aujourd’hui, présentée en céramique noire mat qui se rapproche au plus près visuellement de la pièce originale.

Pouvez-vous nous en dire plus sur l’édition limitée Army Watches of Switzerland tout juste lancée?

En 1968, l’armée suisse a décidé de former une troupe de plongeurs d’élite. Quelque 900 candidats se sont présentés et 16 ont été retenus, dont le major Robert Hilty, aujourd’hui agé de 72 ans et qui nous a accompagnés lors de la présentation du modèle cette année à New York! A l’époque, Doxa était la montre officielle de cette troupe et tous les plongeurs ont reçu un modèle 300T Orange. Ce n’est que depuis l’an passé qu’il y a «prescription» et que nous avons le droit de parler de cette unité d’élite, très secrète, qui a existé de 1968 à 1975, en pleine Guerre froide. Seules 146 pièces ont été livrées et nous savons à l’heure actuelle où se trouvent 121 d’entre elles. Le Major Robert Hilty n’a participé qu’à une seule opération de terrain dans l’histoire de l’unité, lorsque la Rote Armée Fraktion a caché des armes en Suisse. La nouvelle série en édition limitée reprend le design de «cible dans la cible»: elle était proposée uniquement chez Watches of Switzerland aux Etats-Unis et sur notre site. En quelques heures, tout était vendu.

«Savoir dire non a une valeur, surtout lorsqu’il s’agit de ne pas grandir trop vite. C’est ce qui crée les conditions de désirabilité, de contrôle et de qualité dans lesquelles l’horlogerie s’épanouit aujourd’hui. Mais certains détaillants étaient plutôt étonnés que nous les fassions patienter!»

Un thème qui monte dans les communications des marques est celui de la défense de l’environnement, en particulier pour les montres de plongée. Vous restez relativement discret sur ce point.

Justement, attention aux effets d’annonce! Notre acier est recyclé, nous ne produisons que des montres mécaniques et nos valeurs sont durables par excellence, en tant qu’entreprise familiale. Mais nous ne le clamons pas sur tous les toits. Nous travaillons sur la durée et pas dans la mode. Mieux vaut être prudent que de céder à toutes les tentations du moment, car certains clients vont comprendre à terme que l’environnement est parfois utilisé pour leur faire acheter des produits qui n’ont pas de sens… avec un premium.