ujourd’hui, Olivier Mory, qui est né en 1982 à Colmar, en France, a tout juste 40 ans mais son amour de l’horlogerie semble non seulement intact mais s’être encore renforcé.
Adolescent, il ne savait pas trop que devenir mais la révélation de son destin lui est soudainement apparue lors d’une visite scolaire à un Salon des Métiers. Il y fait la rencontre d’un restaurateur d’horloges de clocher. «Découvrir cette sorte de Lego technique géant m’a littéralement fasciné. Je suis resté scotché devant et je ne suis pas allé plus loin dans le Salon. Quelques jours plus tard, j’y suis retourné avec mes parents. J’étais décidé, j’allais en faire mon métier», nous explique-t-il dans son petit atelier de La Chaux-de-Fonds.
A l’École de Morteau
Si, contrairement à nombre d’autres jeunes horlogers, Olivier Mory est «le premier horloger dans sa famille», celle-ci s’intéresse néanmoins de très près à l’astronomie, et ce depuis quatre générations», nous avoue-t-il. Et il précise que son père, «fou d’astronomie, dessine et conçoit des cadrans solaires…» et travaille actuellement au Planétarium de Reims. Or, la mesure du temps est, on le sait bien, fille de l’astronomie.
Toujours est-il qu’à 15 ans, le jeune Olivier, bien décidé, intègre la section Horlogerie du Lycée Edgar Faure de Morteau (une école française qui est devenue un véritable vivier de la nouvelle génération d’horlogers indépendants. Lire ici notre article à ce sujet.)
- Olivier Mory (Photo: Guillaume Perret)
Il en sortira six ans plus tard car après ses quatre ans de formation d’horloger-rhabilleur, il intègre une nouvelle filière de deux ans menant à un diplôme d’horloger complet. Au menu, apprentissage de la conception et création par chaque étudiant de son propre «chef d’œuvre», à l’image de celui des Compagnons traditionnels: une montre à complication à concevoir et à fabriquer intégralement, jusqu’à son écrin.
En l’occurrence, Olivier choisit de travailler à un Quantième Perpétuel. «Il y a la recherche esthétique, qui va de pair avec la recherche technique, détaille-t-il. Puis on passe à la construction, et on commence à fabriquer toutes ses platines sur un tour, sans passer par une pointeuse. Il n’y a pas de CNC, tout se fait à la manivelle. Je peux dire que ce QP m’a entièrement pris, il m’a saisi. J’ai essayé d’en extraire la moelle, d’en capter la substance pour parvenir à la plus haute simplification, en évitant les pièces sans ébats trop petites. J’ai imaginé une commande circulaire faisant le tour du cadran, ce qui m’a donné une grande liberté de placement des indications», s’enthousiasme-t-il encore.
Son quantième perpétuel de fin d’études, qui offre des solutions inédites, il parvient à le déposer auprès de l’INPI (équivalent français des brevets mais sans obligation de publication), pour garantir la preuve d’antériorité de ses solutions.
A l’expérience de la haute mécanique
Il a maintenant 20 ans, son QP dans les mains et il file droit chez Renaud Papi, de l’autre côté de la frontière. Il aimerait parfaire ses connaissances en travaillant au bureau d’études de ce renommé concepteur (propriété d’Audemars Piguet depuis 1992) qui élabore à cette époque les mouvements des premières montres de Richard Mille. Mais on le verse aussi à 50% auprès du bureau des méthodes. «Un poste extraordinaire pour y apprendre précisément les codes et méthodes de la haute horlogerie, souligne-t-il. Mais aussi une douche froide: les prix! Les prix et le temps nécessaire à faire certaines pièces. Je pense par exemple à un simple râteau, à 300 CHF la pièce, et au temps qu’il fallait y consacrer.»
Cette question le taraude. «Comment faire un mouvement complet, moins cher, simplifié», se demande-t-il. Peut-être faut-il aller chercher des solutions ailleurs, dans l’horlogerie de volume. Il aimerait comprendre et apprendre comment faire un mouvement certifié COSC, robuste, pas cher, précis.
Alors, il entre chez Sellita. Il a 23 ans.
Les leçons de la production de masse
Au moment où il entre chez l’assembleur de mouvements Sellita, la puissante ETA (Swatch Group), qui arrosait jusqu’alors l’industrie suisse de ses mouvements – éprouvés, robustes, fiables, précis, abordables, réparables dans le monde entier – annonce avec fracas qu’elle va cesser graduellement ses livraisons à des tiers de kits à assembler. Elle ne veut plus être «la vache à lait de l’horlogerie suisse», comme le dit crûment Nicolas Hayek. La suite, chaotique, est connue. Mais aujourd’hui, grâce paradoxalement à cet arrêt des livraisons, Sellita, florissante, possède, assemble et vend avec succès de très larges quantités des ses propres mouvements. Mais en 2006, il a bien fallu prendre des décisions stratégiques et développer un nouveau mouvement industrialisable «en douze mois», en vue de pouvoir le produire et l’assembler en centaines de milliers d’exemplaires par an.
Olivier Mory se retrouve au cœur de cette aventure. Il travaille au développement, est en contact et discussion directe avec les fournisseurs de machines, les prototypistes, découvre toute la dimension industrielle. «Il fallait aller vite. Il y avait des soucis avec le mouvement SW 200. Il fallait qu’esthétiquement il ressemble à un ETA 2824 pour qu’il puisse être totalement interchangeable, mais tout ne l’était pas. Ce qui posait notamment des problèmes de SAV. A l’œil nu on ne voyait pas la différence, mais j’ai appris alors que cloner est parfois plus difficile que de partir d’une page blanche. Cloner bride les options. Mais dans la douleur on apprend des tas de choses. Sellita a été la meilleure école possible.»
Devenu responsable du développement, il va y rester sept ans, jusqu’en 2011. Mais après avoir considéré qu’il en «avait fait le tour», il passe à autre chose encore et file chez ValFleurier, travailler auprès d’Eric Klein qui pilote ce pôle industriel appartenant à Richemont.
La production de ValFleurier fait alors un grand écart entre une répétition minutes pour Piaget et du volume pour Cartier. Une aubaine pour lui? Olivier Mory s’intéresse alors de plus près à la fluidité potentielle entre haute horlogerie et industrie. «En appliquant les règles industrielles à la haute horlogerie, on y gagnerait beaucoup.»
Mais il ne s’y retrouve pas. «Dans un groupe comme celui-ci, on y perd sa latitude, on y perd sa polyvalence!» Or, on l’aura compris, la recherche de la polyvalence est au cœur de tout le parcours d’Olivier Mory.
Alors en 2016 il plie bagage et décide d’aller ouvrir sa propre structure.
«La Sainte-Trinité»
Il a 34 ans et, enfin, il est indépendant. Et lesté d’une sacrée expérience. Alors il se dit qu’il va s’attaquer à ce qu’il appelle la «Sainte-Trinité» de l’horlogerie, à savoir Quantième Perpétuel, Répétition Minutes et Tourbillon, et leur appliquer ses principes de construction «comme si on devait en produire 10’000 par mois»!
Contrairement à certains de ses collègues, comme Sylain Pinaud qui commence par le design, Olivier va commencer par réfléchir aux meilleures solutions qui permettraient de simplifier toute la gamme opératoire. Et ce n’est qu’ensuite qu’il conçoit ou construit le produit. Son design arrive à la toute fin car il découle des choix opératoires. C’est un renversement complet. «Le process guide le design, explique-t-il, car ce sont les machines qui vont dicter les cotes, déterminer les épaisseurs de façon à parvenir à une ergonomie optimale de fabrication et de montage.»
Olivier va commencer par réfléchir aux meilleures solutions qui permettraient de simplifier toute la gamme opératoire.
Il se met à la tâche en commençant par un tourbillon qui soit le plus efficient possible. Il va passer neuf mois à sa rationalisation et à sa conception. Les premiers prototypes sont prêts en 2017. Il les a entièrement fabriqués, y compris la boîte, à l’exception du spiral. «L’avantage quand vous avez fait des pièces sur des machines des années 1930, comme à Morteau, ensuite c’est bien plus simple à fabriquer sur CNC.»
La même année, avec sa société BCP, il lance la fabrication de plusieurs centaines de mouvements tourbillon, les réservant pour leur montage et décoration. Il peut ainsi proposer une personnalisation très poussée, un large choix de finitions qui peuvent totalement métamorphoser l’apparence de la montre. Une démarche qui séduit rapidement la clientèle. (Un exemple autorisé: la marque BA111OD fondée par Thomas Baillod, dont les Tourbillons sont vendus entre CHF 4920 et 5300.)
Prochaine étape de la Trinité? Elle est déjà dans les tuyaux. Ce sera une répétition minutes pour laquelle il appliquera les mêmes méthodes. Et elle est développée en collaboration avec Shona Tain, une jeune spécialiste en ce domaine qui partage le même atelier. (Lire son portrait ici.)
Naissance de SKILL
C’est en mettant au point son tourbillon que l’idée lui vient de créer en parallèle sa propre marque, SKILL, dans l’idée de faire du 100% suisse qui ne soit pas hors de prix.
Sa première montre sous ce nom sort la même année, 2017.
«Je voulais la montre la moins impactante possible, écologiquement parlant: les fournisseurs les plus proches, tous à moins d’une heure de voiture; une boîte en bronze; de vieux mouvements ETA 2450 upcyclés, désossés, redécorés deux classes en dessus; un bracelet taillé dans de vieux cuirs de l’armée suisse. Mais j’essaie d’aller plus loin encore. Par exemple, mon boîtier Sampo peut accueillir différents mouvements, du simple trois aiguilles upcyclé à un tourbillon. Le client peut ainsi upgrader sa montre en tout temps. Il suffit de changer de mouvement et votre trois aiguilles devient tourbillon.»
- Le Tourbillon Maelstrom de SKILL
Systématique et méticuleux, il a déjà prévu le plan de sortie de ses montres Skill au cours des années à venir.
De chaque modèle, il n’y aura que 50 exemplaires au maximum sur une période de deux ans. Et il alternera les propositions: toutes les années paires, ce sera un produit d’entrée de gamme (par exemple une Sampo à CHF 1’500), et toutes les années impaires, un produit haut de gamme (par exemple un Tourbillon Maelstrom à CHF 7’500).
Et à ce prix, il garantit de «véritables services». Un exemple: pour encourager les clients à renvoyer régulièrement leur montre en service et contrôle, il leur envoie un emballage vide déjà préparé qu’ils doivent renvoyer par coursier. Le tout préparé et organisé par ses soins, sans avoir à bouger de chez soi. Mais pour autant, il dit haut et fort qu’il ne «veut pas faire grandir sa marque au-delà». Pour avoir connu de très près l’industrie, il connaît aussi la valeur émancipatrice de l’indépendance.
Esthétiquement, son inspiration vient tout droit de ses premières amours pour l’horlogerie, de la grosse mécanique, de Jules Verne et de ses vaisseaux, de Camille Flammarion et des grandes découvertes astronomiques… «Les horlogers de l’époque étaient tous des savants. Je veux leur rendre hommage car l’horlogerie est un concentré de savoirs, blotti dans 40 mm de technique.»
De là, de ce monde des pionniers de la mécanique et des sciences, provient son inspiration «victorienne» comme il le dit lui-même, voire «steam-punk» des montres Skill.
Comme quoi, un horloger ne quitte jamais tout à fait ses rêves d’enfant.