e nom de Meylan est un patronyme très généreusement répandu à la Vallée de Joux. On lui doit une longue lignée d’horlogers: vers 1776, on comptait huit horlogers nommés Meylan dans la région.
En 1988, l’horloger Claude Meylan a fondé la marque portant son nom et s’est spécialisé dans l’horlogerie créative et l’art de la mise à jour. Il l’a vendue en 2002 à Henri Berney qui l’a cédée à son tour à Philippe Belais en 2010. Ce dernier s’est attaché à faire perdurer le savoir-faire de l’entreprise, le squelettage, tout en proposant des montres ornées de gravures et de sculptures en 3D, d’où la signature «sculpteur du temps».
- Tortue Lady
En 2021 il a demandé à Pia de Chefdebien, sa responsable commerciale, de répondre à la demande des clientes et de développer pour elles une montre féminine dotée d’un mouvement automatique. En effet, les femmes ont manifesté leur désir d’une vraie proposition et ne voulaient plus se contenter de modèles masculins animés par un mouvement à quartz et sertis de diamants. Ainsi est née la Tortue Lady qui est devenue l’un des best sellers de Claude Meylan.
- La nouvelle montre féminine Ondine
Pour renforcer l’offre féminine, Claude Meylan a récemment lancé le modèle Ondine, proposée dans une gramme allant de 6’200 à 7’800 CHF. Une montre-bijou avec son bracelet formé de maillons ronds et évidés qui peuvent être sertis de pierres dures ou précieuses. Un modèle idéal pour répondre à la demande grandissante des clients de s’offrir un modèle unique sur commande. Notre entretien.
- Philippe Belais, propriétaire et CEO de Claude Meylan
Europa Star: Comment l’idée de ce modèle Ondine est-elle née?
Philippe Belais: Ondine est née de la Lionne, la rivière qui coule le long de nos ateliers et qui se jette dans le Lac de Joux. La forme de son bracelet évoque les jeux de notre enfance, lorsque l’on jetait des pierres plates dans l’eau pour faire des ricochets. Il arrive que le lac soit comme un miroir et en voyant cette association de la Lionne et du lac dans lequel elle se jette, nous avons eu envie de créer une montre-bracelet qui associe les savoir-faire de la bijouterie et de l’horlogerie. Ondine présente une boîte ronde très épurée et nous avons eu l’idée de répliquer cette forme pour créer son bracelet: une suite de ronds emmaillés comme de la joaillerie et non pas comme de l’horlogerie.
Où avez-vous fait réaliser ce bracelet-bijou?
Dans un atelier de joaillerie genevois, tout en conservant les codes de solidité de l’horlogerie, notamment dans l’emmaillement et le fermoir. En effet, les femmes utilisent leur montre plus souvent qu’un bracelet. Nous avons réalisé un fermoir spécifique, qui soit facile d’utilisation, avec une sécurité et un double poussoir qui permet de libérer le fermoir.
- L’Ondine est une montre-bijou avec son bracelet formé de maillons ronds et évidés qui peuvent être sertis de nacre, de pierres dures ou précieuses.
Etait-ce une réponse aux besoins exprimés de votre clientèle féminine?
La marque Claude Meylan est réputée pour ses mouvements squelette mais nous n’étions pas forcément attendus sur le terrain de l’horlogerie féminine. Or nous avons commencé à être connus pour nos montres femmes grâce à la Tortue Lady, développée par Pia de Chefdebien, qui est en charge du développement commercial. Avec l’Ondine, nous sommes très fiers de proposer quelque chose d’unique.
Nous avions fait une étude de marché avant de lancer le mouvement automatique de la Tortue Lady et les femmes nous avaient fait part de trois désirs fondamentaux. Premièrement, elles souhaitent que les horlogers arrêtent de penser qu’elles n’aiment pas les mouvements mécaniques. Deuxièmement, elles aiment voir qu’il se passe quelque chose dans leur montre et pouvoir observer le mouvement. Et troisièmement, elles aiment les courbes. L’Ondine répond à tous ces éléments.
- Claude Meylan s’est spécialisé dans les mouvements squelettes.
Le squelettage du mouvement est très ornemental.
Oui, il est très découpé et gravé avec des motifs traditionnels associés aux volutes. Ces effets procurent un scintillement propre à ce bijou qui donne l’heure.
Vous avez adjoint de la nacre dans les maillons du bracelet de la version or et de la turquoise avec l’argent. Est-ce qu’une cliente pourrait vous demander de choisir une matière de son choix?
Vous devinez que le choix est sans fin… Pia souhaitait en faire une montre-bijou afin que nos détaillants puissent proposer à leurs clients de choisir la pierre de leur choix. Si une femme aime la malachite ou l’aventurine, on peut réaliser le bracelet dans ces matières.
Vous proposez donc un service sur mesure?
Disons plutôt de la demi-mesure, parce que je ne changerai pas le diamètre des maillons.
- Une cliente peut demander à l’entreprise d’utiliser des pierres de son choix pour orner le bracelet: si elle aime la malachite ou l’aventurine, Claude Meylan peut réaliser le bracelet dans ces matières.
Toutes les pierres dures peuvent-elles être intégrées dans les maillons?
Je ne connais pas toutes les pierres mais certaines sont plus fragiles. Par exemple, la sodalite va s’effriter et on ne peut envisager de travailler avec elle. Après, c’est une question de goût. Nous ne sommes pas un grand joaillier qui va rechercher des lots de pierres qui ont la même couleur avec des nervures régulières. Avec certaines pierres, il est très rare de trouver un lot qui ait la même veine pour assurer la continuité du bracelet. Nous avons besoin d’une découpe très régulière mais nous proposerons une harmonie qui sera adéquate.
Pour la découpe, travaillez-vous avec des fournisseurs allemands, qui sont réputés pour ce genre de travail?
Oui, essentiellement. La région de l’Idar est connue pour ce savoir-faire. Nous travaillons en particulier avec Sandra Ripp, la directrice de la société Groh + Ripp, qui est une merveilleuse entreprise spécialisée dans les pierres minérales.
Avez-vous noté une augmentation de la demande pour des montres personnalisées, tous modèles confondus?
Oui absolument, nous avons en effet de plus en plus de commandes spéciales. La collection Millésime se prête tout particulièrement à la personnalisation car le mouvement est positionné à trois heures. Cela nous laisse un vaste espace d’expression sans contrainte de hauteur pour les aiguilles. En 2023 nous avions célébré nos alpages en créant «Holy Cow!», une montre avec un dessin de vache et un client nous a demandé de réaliser un modèle mettant en scène son chien.
Lorsqu’un client vient vous voir avec une demande spécifique, comment cela se passe-t-il concrètement?
Disons que vous souhaitiez un cadran orné d’un colibri. Nous allons chercher des dessins de colibris et vous en proposer plusieurs afin de comprendre ce que vous désirez, les couleurs, les formes. Ensuite nous allons le dessiner selon vos souhaits. Avec les techniques modernes d’impression 3D, nous avons la possibilité de vous soumettre très rapidement un projet. Une fois validé, nous passons à la mise en couleur. On pourrait réaliser un colibri en 2D en impression, en peinture miniature ou en marqueterie, mais c’est aussi possible en 3D. En général, les clients ont envie de profondeur, de volume. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé l’appellation «sculpteur du temps».
- Claude Meylan a déposé l’appellation «sculpteur du temps».
Comment réalisez-vous les motifs définitifs: est-ce que ce sont des sculptures à la cire perdue?
Oui, il s’agit de la technique de fonte à cire perdue. Nous fabriquons un moule à la main avant de tirer une cire. Presque tout est envisageable avec cette technique. La partie la plus délicate, c’est de faire valider les différents dessins que l’on propose aux clients.
Vous dirigez-vous de plus en plus vers une personnalisation des modèles?
Pas nécessairement mais c’est un service qui devient de plus en plus régulier et demandé. Nous avons choisi d’y répondre parce que nous avons la chance de maîtriser le savoir-faire et aussi parce que nous sommes flexibles. L’entreprise est petite - nous sommes sept - et très agile, très réactive, en comparaison à une plus grande structure.
- Le mouvement de la Tortue Lady. Sa masse oscillante a été remontée sur le haut du mouvement, placée à 6 heures. On lui a adjoint un capot qui peut être serti, gravé, mis en couleur, etc.
Vous vous êtes spécialisé dans les montres squelette. Pourquoi avoir choisi ce segment particulier?
Il y a 40 ans, l’horloger Claude Meylan a proposé des complications et des squelettes tout à fait hors normes. Quand j’ai repris l’entreprise il y a 14 ans nous avions beaucoup de squelettes et quelques cadrans. J’ai décidé de tenir un langage vrai. Nous sommes basés dans la Vallée de Joux et les gens de la montagne ont les pieds sur terre. Nous n’allions pas raconter que nous étions une manufacture. Mais qui sommes-nous? Claude Meylan est «maître squelette». Un maître squelette va exercer son art sur des mouvements et j’ai décidé de faire de Claude Meylan une marque qui va permettre à l’acquéreur d’une montre d’être en possession d’un savoir-faire.
Vous n’êtes pas une manufacture, dès lors qui fabrique vos mouvements?
Nous ne travaillons qu’avec des mouvements produits en masse, fiables et donc accessibles, ce qui nous permet de proposer nos montres à des prix très raisonnables, compte tenu de l’art que nous apportons sur nos mouvements. Cette signature s’est traduite en «sculpteur du temps» aussi pour répondre à une certaine tendance. En effet, les consommateurs ont de plus en plus envie de plonger dans l’intérieur de leur montre, de voir ce qui s’y passe, d’essayer de comprendre comment elle fonctionne et même d’aller un petit peu plus loin avec des scènes représentatives.
Quel modèle a remporté le plus de succès en 2024?
Incontestablement la Tortue Lady. L’Ondine a aussi été très bien reçue mais à l’heure où nous parlons, elle n’est pas encore complètement commercialisée et je ne peux vous répondre. Elle surprend parce qu’elle se démarque.
- Tortue Lady Sunrise
Quel est le rôle de Pia de Chefdebien, à qui vous avez demandé de développer des modèles féminins, dans l’entreprise?
Son rôle premier est de suivre et développer le marché suisse et européen. Mais la raison pour laquelle j’ai fait appel à elle pour développer des produits s’explique par mon propre parcours. Il faut savoir que j’ai commencé ma carrière en étant commercial. Or quand vous êtes commercial pour une petite marque, vous développez instantanément un talent pour l’écoute. C’est ce qu’a fait Pia. Non seulement elle s’est mise à l’écoute des clients, mais elle a anticipé leurs demandes. Dans ce métier, il est fondamental de savoir se projeter. La force de Claude Meylan, c’est de pouvoir prendre rapidement en compte les informations récoltées sur le terrain. Les demandes se faisant de plus en plus pressantes, nous avons développé la Tortue Lady.
La masse oscillante d’origine avait-elle cette forme-là?
Bien sûr! Il est fondamental pour la marque de garantir une qualité et on n’allait pas s’amuser à changer les organes clés d’un mouvement fiable en prenant des risques. La masse est tellement petite que certaines personnes pensent même qu’il s’agit d’un micro-rotor.
Qu’avez-vous apporté à cette masse oscillante?
Nous l’avons remontée sur le haut du mouvement, nous l’avons placée à 6 heures, nous lui avons adjoint un capot que nous pouvons sertir, graver, mettre en couleur, etc. En 2021 nous avons réalisé une pièce en collaboration avec Philippe Narbel, le célèbre angleur de la vallée de Joux.
Comment en êtes-vous venu à travailler avec Philippe Narbel de Manufactor?
Ce sont toujours des histoires de rencontres… Nous nous sommes rencontrés à Londres lors d’un salon horloger et nous avons découvert que nous étions basés à 30 mètres l’un de l’autre à L’Abbaye. Nous nous sommes revus, il m’a montré son travail et il est tombé amoureux du mouvement de la Tortue Lady. Je lui ai donné carte blanche pour décorer un modèle. Il considère toujours l’objet sur lequel il travaille dans sa globalité, choisissant un thème qui lui est cher. Nous sommes à L’Abbaye, dans la Vallée de Joux, tout près du lac qui inspire tant de créations. Il a gravé à la main cette scène - qui représente la Pointe de sable - en continuité sur le cadran et sur le pont de trois heures. La Pointe de sable est un point de vue très particulier du Lac de Joux. Le lac est tellement bien gravé qu’on dirait qu’il y a du vent sur l’eau. Sur le capot de la masse, il a gravé les vestiges d’une arcature de la première abbaye des Prémontrés (datant de l’an 1126, ndlr), qui a donné son nom au village. C’est une pièce unique qui donne naissance à d’autres demandes.
- La Pointe de Sable, réalisée avec Philippe Narbel qui a gravé à la main la scène représentant ce point de vue sur le Lac de Joux.
Comment réussissez-vous à maintenir une gamme de prix qui reste relativement accessible?
En utilisant comme je vous l’ai dit des mouvements existants produits en masse en Suisse.
Quel est le cœur de votre clientèle?
En Suisse, nous avons la chance d’avoir une clientèle très locale. C’est une force de ne pas être totalement dépendant du tourisme. Sinon, nos clients sont basés en Europe, au Moyen-Orient, en Asie et au Japon. Sciemment et par expérience, je n’ai pas souhaité développer le marché aux Etats-Unis. Donc quand vous faites une croix sur les États-Unis, vous faites aussi une croix sur l’Amérique centrale, les Caraïbes et un peu sur l’Amérique du Sud.
Pourquoi ce choix?
J’ai eu la chance de travailler pour un groupe bien implanté aux Etats-Unis. Les Etats-Unis sont un territoire extraordinaire, mais pour nos métiers, et en particulier pour la marque Claude Meylan, c’est un territoire dangereux. Vous pouvez y ouvrir des points de vente, mais pour réussir, il faut mettre sur pied un plan média colossal, puis il faut chasser l’argent et se faire payer. Or mon plus grand bonheur, c’est d’être seul et autonome et je n’ai pas envie de prendre des engagements qui nous contraignent.
Claude Meylan est une marque indépendante et relativement discrète. De quoi êtes-vous le plus fier?
Je suis fier de mes équipes pour commencer, fier de faire perdurer une marque qui relève de l’horlogerie traditionnelle. Quand j’ai racheté l’entreprise à Henri Berney, il avait déjà 78 ans. Il en a 92 aujourd’hui. Or à part les produits, je n’ai rien changé. Quand vous venez visiter la maison qui date de 1684, l’atelier est à peu près le même, tout comme le showroom, avec de la toile de Jouy sur les murs. C’est un univers qui me plaît. J’ai coutume de dire que nous préférons marcher que courir. Donc oui, nous sommes discrets, nous ne communiquons pas de la même façon mais on est là, on vit et on développe l’entreprise. Et on a même été capable de traverser une crise du Covid compliquée. Je vise la pérennité.