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Raymond Loretan: «Avec l’Académie, le GPHG a changé de dimension»

ENTRETIEN

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octobre 2022


Raymond Loretan: «Avec l'Académie, le GPHG a changé de dimension»

L’horlogerie aurait tout intérêt à se rassembler pour faire rayonner son image dans le monde. C’est ce que cherche à faire le Grand Prix d’Horlogerie de Genève depuis plus de deux décennies. Arrivé à sa présidence en 2018, Raymond Loretan travaille sur plusieurs axes pour convaincre l’industrie dans son ensemble de rallier le concours – tout en suscitant de nouvelles vocations et passions, notamment auprès des nouvelles générations. Entretien.

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eut-être plus que jamais, l’industrie horlogère ressent le besoin de se ras- sembler après plusieurs années de pandémie et de contacts à distance. C’est bien la mission que le Grand Prix d’Horlogerie de Genève (GPHG) tente de relever depuis plus de deux décennies, dans un secteur où chacun reste très fier de ses particularismes, en offrant à toutes les marques – suisses ou internationales, petites ou grandes, aux modèles mécaniques ou quartz, voire connectés – de rallier la compétition. Tirer un trait d’union et «faire corps» au niveau de toute une industrie par la mise au concours, justement.

De manière très prosaïque, concourir peut dire vouloir gagner... mais aussi pouvoir perdre. Un «risque» pour l’image de marque que tous les acteurs ne sont pas prêts à prendre, d’autant moins ceux qui bénéficient déjà d’un immense avantage en terme de notoriété – le Concours international de chronométrie en a d’ailleurs fait les frais, qui ne s’est plus tenu depuis plusieurs années faute d’un nombre suffisant de candidats. Le GPHG est ainsi devenu, au fil des années, une compétition donnant la part belle, à côté d’acteurs déjà bien connus, aux nouveaux venus de la scène horlogère, aux indépendants qui n’hésitent pas à participer avec enthousiasme – bref, souvent à l’horlogerie la plus créative. Combien de nouveaux talents ont véritablement éclos lors du GPHG!

Raymond Loretan, président de la Fondation du Grand Prix d'Horlogerie
Raymond Loretan, président de la Fondation du Grand Prix d’Horlogerie

Depuis 2018, l’organisation connaît une nouvelle ère sous la présidence de Raymond Loretan. Cet ancien diplomate, proche des milieux économiques, a mis tout son dynamisme à rénover l’organisation, sur deux aspects en particulier: garantir la stricte indépendance et neutralité du Grand Prix, notamment par la création d’une Académie comprenant des centaines de membres et représentant la «vox populi» horlogère; et faire rayonner toujours plus l’horlogerie dans le monde, par la tournée des montres aux quatre coins de la planète, tout en suscitant de nouvelles vocations et passions, par exemple par la tenue d’ateliers d’initiations à l’horlogerie. Son art de la diplomatie lui est certainement fort utile dans un milieu où il faut savoir ménager les susceptibilités tout en s’adaptant à son époque. Nous l’avons rencontré.

L’Académie, comprenant des centaines de membres, a été créée afin de représenter la «vox populi» horlogère.

Raymond Loretan: «Avec l'Académie, le GPHG a changé de dimension»

Europa Star: Un grand chantier que vous avez mis en place peu après votre arrivée est l’Académie du Grand Prix. Celle-ci est notamment chargée de présélectionner les montres. Quel bilan tirez-vous depuis sa mise en place en 2020?

Raymond Loretan: Avec l’Académie, nous avons changé de paradigme, ce qui s’est révélé extrêmement positif. Elle compte à ce jour 650 membres et nous avons l’intention d’en augmenter encore le nombre. Avec notre directrice Carine Maillard, nous réfléchissons même à des initiatives pour inclure les plus jeunes, comme une «Junior Academy». Tous les membres participent directement aux différentes étapes de la sélection des montres, mais ils deviennent aussi par là même des ambassadeurs du Grand Prix et surtout de l’industrie. La création de l’Académie permet d’ancrer les principes d’indépendance et d’impartialité, ainsi que d’universalité: je crois que plus personne ne peut nous soupçonner de partialité lorsque des centaines de membres votent à travers toute la planète! L’Académie s’est très vite imposée, mais il faudra encore quelques années pour en affiner les contours.

Les lauréats de l'édition 2021
Les lauréats de l’édition 2021

Cette «nation horlogère» en formation a-t-elle des limites? Peut-on imaginer une Académie comprenant des milliers de membres à terme?

Ce que je peux vous dire, c’est que nous avons un objectif de 1’000 membres d’ici 2025. Mais c’est aussi une question de gestion d’une plateforme électronique complexe, très sécurisée. Vu la réputation internationale du Grand Prix, on a tendance à surestimer nos moyens: nous restons une petite organisation aux ressources limitées! Donc nous avançons pas à pas. Un de nos défis est d’ailleurs de pérenniser le financement institutionnel du GPHG à terme.

«Avec notre directrice Carine Maillard, nous réfléchissons même à des initiatives pour inclure les plus jeunes, comme une Junior Academy.»

Raymond Loretan: «Avec l'Académie, le GPHG a changé de dimension»

Quel est votre modèle de financement, en tant que fondation?

Outre les cotisations liées à l’inscription des montres par les marques, il repose essentiellement sur le sponsoring. Notre sponsor principal est FGP Swiss & Alps, antenne suisse de Forbes Global Properties et filiale du Groupe Comptoir Immobilier, une structure commune du Comptoir Immobilier et de Forbes. Le défi pour nous, c’est que nous cherchons des sponsors hors du milieu horloger, pour des raisons d’indépendance, or l’horlogerie est une industrie ressentie comme déjà fortunée. Donc il faut savoir bien expliquer notre démarche à l’extérieur. Nous continuons notre recherche de sponsors pour poursuivre notre mission.

Jean-Christophe Babin, CEO de Bulgari, lauréat de l'Aiguille d'Or l'an dernier
Jean-Christophe Babin, CEO de Bulgari, lauréat de l’Aiguille d’Or l’an dernier

Les plus petites marques n’ont aucun problème à s’inscrire, mais les plus grandes ont de plus en plus tendance à faire cavalier seul. Elles ouvrent leurs propres boutiques, créent leurs propres événements... On semble s’éloigner d’un certain «esprit de corps» historique. Comment comptez-vous les convaincre de participer au GPHG, face à cette tendance de fond?

L’un des principes bien ancrés de notre organisation est celui de la solidarité: en participant au Grand Prix, quelle que soit votre taille, vous participez au développement de l’industrie dans son ensemble. Davantage que les marques, notre mission est avant tout de sélectionner les plus belles montres du monde, alors que l’horlogerie est toujours plus considérée comme un art, comme une culture en soi. Nous avons aussi une vocation d’éducation, de promotion de cet art auprès de nouveaux publics. Je n’ai pas une approche crispée sur ces points mais cela prend du temps: il y a certains grands absents mais ils n’ont pas toujours été absents. C’est un processus de conviction qui passe justement aussi par les réformes mises en place ces dernières années.

«Nous avons un objectif de 1’000 membres d’ici 2025. Mais c’est aussi une question de gestion d’une plateforme électronique complexe, très sécurisée.»

Parmi ces développements, il y a les ateliers d’initiation. En quoi consistent-ils?

Il s’agit d’une familiarisation à l’horlogerie mise en place en collaboration avec l’Ecole d’Horlogerie de Genève durant l’exposition au Musée Rath à Genève. Dans un même esprit, lors de nos plus récentes expositions à Singapour, nous avons invité des classes locales et pu constater que les élèves marquaient un intérêt prononcé pour cet art qui fascine. Il nous faut inclure toujours plus cette dimension pédagogique, peut-être en trouvant des synergies avec d’autres acteurs de la place genevoise, ainsi qu’avec les autorités. Nous ne manquons pas d’idées! Autre piste de développement: impliquer davantage le monde de la sous-traitance, alors que l’industrie fait face à de sérieux problèmes de recrutements. Il s’agit d’assurer la relève et nous avons notre rôle à jouer.

Raymond Loretan: «Avec l'Académie, le GPHG a changé de dimension»

Les catégories du Grand Prix ont-elles encore vocation à évoluer?

Par définition elles sont affinées chaque année, en fonction de l’évolution de l’industrie elle-même. A la demande des marques, nous introduisons une nouvelle catégorie «Horloge mécanique» pour tous ces objets du temps qui ne sont pas des montres-bracelets et qui connaissent un beau développement créatif. Cette année, une démarche durable pourra être saluée dans le cadre du Prix de l’Innovation, au vu de l’importance critique de cette thématique.

Comment a démarré votre propre intérêt pour l’horlogerie?

Quand j’étais ambassadeur de Suisse à Singapour entre 1997 et 2002, nous ouvrions une nouvelle boutique horlogère presque chaque jour! D’ailleurs, je souhaite donner une dimension toujours plus internationale au GPHG. Les expositions jouent un rôle fondamental. Nous devons à chaque fois trouver le bon partenaire sur place. Cette année, pour la première fois, les montres seront exposées sur le continent africain, plus précisément à Casablanca, en plus des étapes à New Delhi, Genève et New York. Et dès qu’un Grand Prix finit, il faut tout de suite remettre l’ouvrage sur le métier pour l’année suivante!

«Il nous faut inclure toujours plus cette dimension pédagogique, peut-être en trouvant des synergies avec d’autres acteurs de la place genevoise, ainsi qu’avec les autorités.»

INFORMATIONS PRATIQUES La cérémonie de remise des prix aura lieu le jeudi 10 novembre au Théâtre du Léman à Genève.

Expositions des montres présélectionnées:

New Delhi

  • 7-8 octobre
  • The Leela Palace, Africa Avenue, Diplomatic Enclave, Chanakyapuri

Casablanca

  • 21-23 octobre
  • Villa Roosevelt, Boulevard Franklin Roosevelt

Genève

  • 2-20 novembre
  • Musée Rath, Place de Neuve 1
  • Y compris visites guidées et ateliers d’initiation à l’horlogerie, gratuits sur inscription ([email protected])

New York (pièces lauréates uniquement)

  • 1-4 décembre
  • Watches of Switzerland
  • 60, Greene Street

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