L’horlogerie en Inde


Le Jantar Mantar de Jaipur, horloge cosmique

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décembre 2025


Le Jantar Mantar de Jaipur, horloge cosmique

Le Jantar Mantar de Jaipur pourrait à première vue être l’œuvre d’un artiste contemporain féru d’architecture métaphysique et poétique. Mais comme son nom l’indique - Jantar Mantar signifie littéralement «machine ou instrument à calculer» -, il s’agit d’un objet scientifique, un observatoire astronomique construit entre 1724 et 1730. Il témoigne spectaculairement du très haut degré des connaissances astronomiques et mathématiques – et donc de la mesure du temps - de la civilisation indienne. Et il est le fruit d’une longue tradition qui remonte à la plus haute antiquité.

L

es premiers éléments de l’histoire des mathématiques et de l’astronomie indiennes, remontent aux Védas, datant du 2ème millénaire avant J.-C. Ces recueils sacrés témoignent de savoirs théoriques déjà très élaborés mis au service de la religion.

Entre mathématique et géométrie, ils décrivent algorithmiquement comment, par exemple, dessiner et construire des pavages sacrés, la relation entre nombres et figures donnant un sens – cosmique – aux rituels terrestres. Y figurent tables astronomiques et propositions théoriques, notamment semblables à celle du théorème de Pythagore.

Plus tard, un des premiers grands mathématiciens indiens, Aryabatha (476-550), proposera un traité de mathématique et d’astronomie qui contient 66 théorèmes, énonçant notamment des méthodes d’extraction de racines carrées et cubiques, fournissant une approximation du nombre Pi, établissant des tables des sinus, la base de la trigonométrie. Et, fait marquant, il est un des premiers à affirmer que la Terre tourne sur elle-même - bien qu’il imagine encore que le Soleil tourne autour de la Terre et non le contraire.

Fait particulier à l’Inde, les idées mathématiques prennent un sens profondément spirituel et s’expriment souvent de façon poétique, démontrant ainsi le raffinement même et la subtilité de ces savoirs mathématiques et astronomiques.

Le Maharajah astronome

Cette dimension poétique, voire métaphysique du calcul astronomique se perçoit d’emblée quand on découvre le Jantar Mantar de Jaipur. Cette gigantesque et sublime «machine à calculer» le temps solaire, lunaire, les équinoxes, la course des planètes, la danse des constellations... est constituée de 16 impressionnants instruments de maçonnerie et six de métal qui forment ensemble un très sophistiqué et exact observatoire astronomique qu’on dirait dessiné par le peintre Giorgio de Chirico.

Situé au centre de la vieille ville de Jaipur c’est le plus élaboré et le plus complexe des cinq observatoires construits par le Maharajah Sawaii Jai Singh II, entre 1724 et 1730 à Jaipur, Delhi, Mathura, Varanasi (ou Bénarès) et Ujian. A l’exception de celui de Mathura, tous sont encore debout.

Jai Singh II
Jai Singh II

Né en 1688 à Amber, descendant de la famille royale des Kacchawahas et monté sur le trône dès l’âge de 12 ans, Jai Singh II est surtout connu pour avoir fondé la merveilleuse cité rose de Jaipur. Autour des années 1700, il prend pour guru Pandit Jagannatha Samrat qui devint son astronome en chef.

Bien que conscient de l’existence du télescope en Europe depuis presque un siècle, Jai Singh, s’étant formé aux calculs astronomiques l’observation du ciel à l’oeil nu et via l’usage des astrolabes, très répandus en Inde, mais conscient de leur instabilité et donc de leurs limites de précision, décida d’édifier ses observatoires astronomiques en dur, en maçonnerie, plus stable, et à de très grandes échelles pour améliorer la précision des indications recueillies.

Et s’il décida d’en ériger cinq dans différents endroits, c’était pour pouvoir vérifier plus précisément l’exactitude comparative de ses calculs (un peu comme on met aujourd’hui en relation plusieurs télescopes), tout en asseyant son pouvoir politique grâce à ces prestigieuses et savantes constructions monumentales.

L’instrument suprême

Le plus impressionnant de tous ces instruments est sans doute le Samrat Yantra, appelé aussi «l’instrument suprême» de Jaipur. C’est sans doute le plus grand cadran solaire au monde. Son gnomon - en l’occurrence non pas une tige mais un escalier central monumental - s’élève à 20,7 mètres de haut.

Son ombre portée parcourt deux gigantesques quadrants savamment orientés sur chacun de ses flancs. La course de cette ombre sur les quadrants gradués permet déterminer l’heure solaire de Jaipur à 2 secondes près! Une performance tout à fait exceptionnelle.

Le Samrat Yantra, précis à 2 secondes près.
Le Samrat Yantra, précis à 2 secondes près.

Autre instrument, le Rama Yantra, quant à lui, est constitué d’une paire de structures cylindriques semi-ouvertes au centre desquelles se dresse un pilier de même hauteur que les murs. Il permet d’observer et de calculer la position de tout objet céleste en alignant visuellement l’objet céleste sur une ligne imaginaire passant par le sommet du pilier central et aboutissant à son point de jonction au sol.

A l’intersection exacte du sol et du mur l’altitude de l’objet céleste est exactement de 45 degrés. On peut donc déterminer, avec une précision de calcul de l’ordre de +/-1 degré d’arc, selon le point de jonction avec le sol la distance angulaire avec le plan équatorial de la Terre de tout objet observé.

Les deux structures cylindriques du Rama Yantra de Jaipur ainsi que le plus petit Digamsa Yantra. Celui-ci consiste en deux murs cylindriques concentriques autour d'un pilier central. Les murs sont marqués de divisions angulaires d'un 1/10e de degré. Cet instrument permet de déterminer l'azimuth des objets célestes.
Les deux structures cylindriques du Rama Yantra de Jaipur ainsi que le plus petit Digamsa Yantra. Celui-ci consiste en deux murs cylindriques concentriques autour d’un pilier central. Les murs sont marqués de divisions angulaires d’un 1/10e de degré. Cet instrument permet de déterminer l’azimuth des objets célestes.

Vue intérieure du Rama Yantra.
Vue intérieure du Rama Yantra.

Astronomie et astrologie étant intimement liés dans la culture indienne, Jai Singh a aussi conçu et fait ériger douze Rasivalaya Yantras, chacun étant relié précisément à une des douze constellations du zodiaque.

Tous arborent la même forme, inspirée du grand Samrat Yantra, mais chacun diffère par sa forme exacte et son orientation. Le gnomon et les quadrants de chaque instrument sont alignés avec le pôle et le plan de l’écliptique au moment où le premier point de la constellation traverse le méridien.

Les angles des gnomons varient de 3,5 degrés (presque à plat) à 50,5 degrés (assez raides), et leur orientation varie de 26 degrés au nord dans chaque direction.

Le Kapali Yantra est une représentation de la moitié de la sphère céleste. Ce yantra peut être utilisé pour trouver la position des corps célestes en projetant l'ombre d'un fil de visée sur une carte céleste gravée à l'intérieur.
Le Kapali Yantra est une représentation de la moitié de la sphère céleste. Ce yantra peut être utilisé pour trouver la position des corps célestes en projetant l’ombre d’un fil de visée sur une carte céleste gravée à l’intérieur.

Ce ne sont là que quelques uns des 22 extraordinaires instruments de calcul érigés dans le Jantar Mantar de Jaipur.

Véritable horloge cosmique qui se déploie sur une aire totale de plus de 18’000 m2, ce lieu magique témoigne spectaculairement du haut degré de connaissance astronomique et de raffinement atteint par la civilisation moghole de l’Inde.

Quelques uns des Rasivalaya Yantras