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Les aventuriers du temps

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septembre 2025


Les aventuriers du temps

Il était une fois… l’horlogerie ! Les montres que nous portons aujourd’hui sont les héritières d’un très long travail collectif, fruit d’une longue série d’inventions mises au point au fil des siècles par des artisans ou des horlogers, qui ont bâti sur les acquis de leurs prédécesseurs. Plus que dans toute autre discipline, nous nous tenons en horlogerie sur les épaules de géants. Voici retracée cette histoire – ou plutôt un fragment de cette histoire, dans un récit qui ne saurait être exhaustif: chaque paragraphe pourrait être développé dans des traités entiers! Nous espérons simplement que cette introduction titillera votre curiosité d’en savoir plus, sur chaque époque. Car cette aventure est encore loin d’être terminée… L’histoire de l’horlogerie est aussi celle d’un éternel recommencement.

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’histoire de l’horlogerie pourrait commencer comme un conte de fée par: «Il était une fois…» Ce récit, qui pourrait sembler un détail de la grande aventure humaine, fait partie de ce que l’on considère comme une des bases du concept de civilisation qui, lui-même, se définit notamment par la maîtrise qu’ont les humains sur leur environnement.

Le calcul du temps, aussi arbitraire soit-il, fait partie intégrante de la gestion par l’humain de son espace de vie. On a pu observer au fil du temps la corrélation qui peut exister entre le «raffinement» d’une civilisation et le découpage que celle-ci a de son calendrier. Encore aujourd’hui, les calendriers de certaines civilisations disparues continuent de nous fasciner. Plus une société est évoluée dans la maîtrise de son environnement, plus sa perception du temps est fine et plus sa volonté d’exprimer l’emprise qu’elle a sur cet environnement est forte.

Les premiers calendriers humains s’enfoncent dans la nuit des temps – les précautions d’usage sont donc de mise, à défaut de certitudes scientifiques ou historiques absolues (quand on sait que même certains développements horlogers du 20ème siècle font l’objet de contestations quant à leur primauté!).

Les aventuriers du temps

On fait aujourd’hui remonter l’apparition de ces premiers calendriers à la période du néolithique supérieur à tardif. Certains chercheurs pensent que les points et les traits apposés par les chasseurs-cueilleurs à côté des animaux représentés dans les grottes pourraient être des indications calendaires. Des omoplates d’herbivores (dans le Périgord noir en France) ou des pierres (près de Rome) gravées de marques suggérant des calendriers lunaires ont été datées de cette période.

On a longtemps considéré le calendrier solaire égyptien de 365 jours comme le plus ancien du monde. Toutefois, les récentes découvertes faites dans la cité turque de Göbekli Tepe feraient remonter le premier calendrier véritable à plus de 12’000 ans, selon les chercheurs de l’Université d’Édimbourg. Plus tard, durant la période dite de l’âge du bronze, les hommes ont construit des monuments, comme celui de Stonehenge, de Carnac en Bretagne ou de L’Hospitalet-du-Larzac dans les Causses, destinés à des célébrations de groupe lors d’événements astronomiques réguliers calculés par les chamanes dont le savoir était transmis oralement (solstices, équinoxes, précession d’étoiles majeures, comètes, éclipses).

Au deuxième millénaire avant notre ère, les Babyloniens, que l’on sait avoir été de grands astronomes, auraient inventé le gnomon et par incidence le cadran solaire. Quelques siècles plus tard, soit vers 1’600 av J.C., les Égyptiens auraient quant à eux mis au point les premières clepsydres. La plus ancienne serait celle de Karnak découverte en 1904 et visible au Musée égyptien du Caire. Quelques artéfacts nous permettent d’estimer la précision de ces machines de l’ordre de quelques minutes à l’heure.

Ces instruments ont ensuite été très largement améliorés par les Grecs. L’inventeur grec Ctésibios, qui a laissé son nom à la plus célèbre des clepsydres, réussit à imaginer un système permettant à l’instrument à eau de conserver un débit constant, garant de sa précision horaire. De nombreuses créations voient dès lors le jour dans les grandes cités grecques ainsi que dans certains des grands centres religieux comme Delphes.


Les aventuriers du temps

La roue à engrenage

  • Date d’invention: indéterminée
  • Emploi en horlogerie: transmission de la force et démultiplication de celle-ci.
  • Matière employée: fer, laiton, cuivre, bois…
  • Poids de l’invention: de 300 kilogrammes pour des pendules d’édifice à moins de 0,5 gramme pour une montre.

On rapporte ainsi que la machine d’Anticythère (lire notre article dédié dans le numéro 1/24) aurait été destinée à ce sanctuaire. L’engin très élaboré a, de toute évidence, été pensé pour être raccordé à une clepsydre afin de fournir les informations calendaires et astronomiques sans qu’il soit nécessaire à un humain de le mettre en mouvement. Rome a également développé de fascinantes clepsydres, tout comme les empires perse et chinois.

Yi Xing, Su Song
Yi Xing, Su Song

On sait ainsi que le moine bouddhiste Yi Xing (683-727), en plus de ses magistrales études astronomiques, créa une horloge à sphère armillaire animée par un échappement hydraulique. Quelques temps plus tard, en 807, le Calife de Bagdad Haroun ar-Rachid fit offrir à l’empereur Charlemagne une clepsydre à automates de taille réduite et surtout d’une grande complexité. En 1088, l’ingénieur et scientifique chinois Su Song fit construire à Kaifeng une complexe clepsydre astronomique de plus de 10 mètres de haut, équipée d’un mécanisme constitué de godets montés sur une chaîne de transmission continue.

Des liens inattendus entre horloges et tournebroches

Un peu plus tard, ces horloges à eau, connues en Occident à travers les récits des croisades ou les manuscrits, ont incité les ordres religieux à en équiper leurs monastères pour régler leur vie de prières, même si le temps monastique était initialement découpé en huit périodes comme suit : Matines, Laudes, Prime, Tierce, Sexte ou midi solaire, None, Vêpres, Complies.

De nombreux chercheurs pensent que les premières horloges seraient une extrapolation des mécanismes de sonnerie dont la plupart des clepsydres monastiques étaient équipées. Mues par des poids et apparues dans le courant du 12ème siècle, elles devaient mécaniquement ressembler aux tournebroches antiques où la pièce de viande tournant sur la broche remplaçait l’oscillateur tandis que l’échappement à foliot séquençait la rotation comme celui servant pour la sonnerie des horloges à eau.

En ces temps reculés, l’importance de la maîtrise du temps pouvait certes échapper à l’homme ordinaire qui, vivant le plus souvent dans un univers rural, se contentait de considérer les événements naturels régulièrement séquencés par des fêtes religieuses qui servaient de repères. En revanche, pour les citadins de plus en plus nombreux dès le 12ème siècle, ces références étaient d’autant plus urgentes à structurer que maîtriser le temps revenait à affirmer sa supériorité intellectuelle sur la nature sauvage.

L’horlogerie d’édifice nouvellement apparue transmettait alors l’information horaire uniquement à l’aide de cloches (les aiguilles n’existaient pas encore) et devaient doucement imposer le découpage duodécimal hérité des Assyro-babyloniens. La toute puissante Église était alors maîtresse du calendrier.

Mécaniser l’écoulement du temps

Dès le 13ème siècle, ces machines découpant le temps journalier des citadins en un temps égal devaient être équipées d’un échappement à verge et roue de rencontre (groupe de régulation à recul). Ce mécanisme, bien que très imparfait d’un point de vue chronométrique, parfois équipé d’automates pour indiquer les heures (Strasbourg vers 1350 ou les Jaquemarts de Courtrai-Dijon), devait perdurer jusque dans les premières décennies du 19ème siècle dans certaines horloges comtoises et montres populaires (Japy), tradition oblige!

Cette imperfection n’empêchait pas d’associer très tôt des complications astronomiques chargées de calculer des événements de longue durée pour lesquels les quelques minutes de variation quotidiennes n’avaient pas d’incidence sur la compréhension de la mécanique céleste. Il fallut ainsi 16 ans à l’italien Giovanni Dondi (1330-1388) pour créer une formidable horloge astronomique qu’il est possible de voir reproduite au Musée International de la Chaux-de-Fonds (MIH).


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Le ressort moteur en lame spiralé

  • Date d’invention: début du 15ème siècle. Premier exemple de ressort connu dans la pendulette dite de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, datant de 1430.
  • Emploi en horlogerie: générateur de force cinétique par déformation de la lame.
  • Portée de l’invention: permet de faire des garde-temps portatifs.
  • Poids: de 20 grammes pour les plus importants à moins de 1 gramme pour les montres.
  • Matière employée: acier forgé puis acier trempé, actuellement alliage d’acier et de nickel (propriétés: incassable et inoxydable).

En parallèle, l’invention du fusil à rouet équipé d’un ressort formé en spirale pour déclencher la mise à feu de la poudre devait entraîner peu de temps après la création des premières horloges portatives. Grâce à ces ressorts enfermés dans des barillets, la force d’entraînement du rouage n’était plus dépendante de la gravité mais du couple accumulé à force de déformer une lame d’acier enfermée dans une cage dotée d’un rouage périphérique couplé au train de mobiles primaires. Même si elle est souvent contestée, l’historiographie actuelle considère Peter Henlein – horloger à Nuremberg – comme le premier à avoir conçu ce que l’on peut appeler une montre entre 1480 et 1508. Il faut aussi mentionner ici les travaux pionniers de l’horloger et mathématicien suisse Jost Bürgi (1552-1632), qui a joué un rôle important dans la transformation des horloges en instruments scientifiques.

Giovanni Dondi, Peter Henlein, Jost Bürgi
Giovanni Dondi, Peter Henlein, Jost Bürgi

Les puissants apprécient les objets symbolisant leur pouvoir et la pendule transportable remplissait parfaitement ce rôle. La pendule de table, puis très vite la montre, s’est imposée dans leur panoplie au même titre que les armes à feu et l’épée au côté. Très vite, les nobles et les bourgeois des villes se sont emparés de ces pendules transportables dont la taille s’est rapidement réduite au point de pouvoir être portées en sautoir (la mise en poche est arrivée bien plus tardivement).

Le nom de montre vient du mot «monstrance» autrement dit le fait de montrer quelque chose. L’anglais reprend la même racine du verbe voir («watch»). Symbole extérieur de richesse, la montre du 16ème siècle – et ce jusqu’à la fin du 17ème siècle – est davantage un bijou qu’un véritable garde-temps. Les mécanismes d’alors, intégrant un régulateur de tension du ressort primaire («stackfred» ou chaîne-fusée), voyaient leur marche dépendre de l’échappement à verge et d’un balancier dont les oscillations n’étaient alors entretenues que par la poussée du foliot et parfois assistées par la présence de soies de porcs ou de sangliers.

Le tournant du spiral: invention majeure, première controverse

Au milieu du 17ème siècle, la science progressant et avec elle s’affinant l’idée de précision, différents scientifiques et astronomes s’interrogèrent sur la façon la plus efficace de rendre plus précis les instruments de mesure du temps en général et les montres en particulier, qui se trouvaient être de plus en plus nombreuses.

De nombreux scientifiques de l’époque se posèrent la question de leur bonne marche. On pense à Galilée, à Newton, à Hautefeuille, chapelain à Orléans, ou Robert Hooke, mathématicien et physicien anglais. Tous cherchèrent des solutions plus ou moins originales ou utiles. Toutefois, c’est le physicien français Blaise Pascal qui fut l’un des premiers à proposer une solution à l’irrégularité de fonctionnement du balancier en 1660. Il proposait l’intégration d’un ressort plat, fin comme le serait un cheveu, assujetti au balancier régulateur pour contrer les dérèglements intempestifs de la montre au moindre choc ou geste brusque.

Galileo, Isaac Newton, Blaise Pascal
Galileo, Isaac Newton, Blaise Pascal

L’idée d’assister le balancier dans ses oscillations par le biais d’une pièce élastique était dans l’air du temps et le 23 janvier 1675, Christiaan Huygens introduisait la technique du ressort de balancier formé en spirale. Le nom de ce distingué savant néerlandais nous reste comme celui de l’inventeur de cette petite révolution, mais aussi comme l’un des protagonistes de la première vraie controverse concernant la paternité d’une invention majeure. Le fait d’associer un ressort formé en spirale couplé à son extrémité interne au balancier et à celle externe à un organe permettant de modifier le moment d’inertie du groupe constitué devait créer une vraie révolution en matière de précision. La même que celle que ce mathématicien avait générée en introduisant quelques années plus tôt le balancier libre pour les horloges.

Christiaan Huygens
Christiaan Huygens

On retiendra que Huygens profita des apports techniques de Hooke comme de Hautefeuille pour mettre en avant ses propres constatations au bon moment. Sans doute un peu opportuniste, l’homme créa, avec une si petite pièce, la plus importante révolution avant l’invention du régulateur à quartz. En moins d’un an, toutes les montres à l’ancienne mode furent obsolètes ou modifiées pour s’adapter à l’invention qui permettait de transformer une montre esthétiquement belle mais faillible à une heure près dans le calcul du temps journalier, à une même montre dérivant journellement d’à peine plus de cinq minutes.


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Spiral réglant pour balancier à verge

  • Date d’invention: 1675
  • Emploi en horlogrerie: rendre les oscillations du balancier les plus isochrones possibles et dégager le balancier de l’influence des défauts du train d’engrenage, permettant ainsi aux montres de fonctionner de façon régulière; par effet, donner l’heure juste ou presque par un réglage constant de l’amplitude giratoire du balancier.
  • Poids de l’invention: toujours moins de 0,05 gramme.
  • Type de spiral: plat en général, hélicoïdal pour les chronomètres de marine, à courbe terminale de type Breguet ou Phillips pour les montres de précision.
  • Matière employée: fil d’acier laminé bleui au feu et revenu dans le passé. Actuellement il est proposé en Nivarox, un acier au nickel inoxydable, ou Elinvar, acier traité et allié à la propriété d’avoir une élasticité invariable à toutes les températures. Rolex dispose de son alliage tout comme Seiko. A existé en verre (J. R. Arnold et Dent). Il est aujourd’hui également disponible en silicium et, depuis septembre 2025, en carbone chez TAG Heuer.

Heures, minutes, secondes: la nouvelle ère

L’horlogerie venait de faire un bond considérable dans le domaine de la précision avec l’invention de Huygens. Il fallut moins de dix ans aux maîtres horlogers pour introduire cette invention dans les montres n’en étant pas équipées (sans grosses modifications) et pour créer de nouveaux instruments, cette fois dotés, en plus de l’indicateur horaire, d’une aiguille permettant de lire les minutes écoulées, grâce notamment aux travaux de l’horloger britannique Daniel Quare à la fin du 17ème siècle. Quelques décennies plus tard, aux environs de la période de la Régence française (1715-1721), la trotteuse de seconde devait faire son apparition sur les cadrans des montres, surtout anglaises.

La Grande-Bretagne vivait les premières années d’une révolution industrielle qui devait lui permettre de prendre une avance intellectuelle et technique sur sa principale concurrente, la France. Cependant, un défi limitait encore ses progrès, ne serait-ce qu’en matière de déplacements: la maîtrise du calcul de la longitude. Depuis longtemps, les marins savaient mesurer la latitude en mer et la disposition des compas permettait aux convois partis aux Amériques ou vers les Indes de ne pas trop se perdre. Toutefois, il manquait encore, pour s’affranchir des routes maritimes connues, de maîtriser le calcul de la longitude. En 1714, le Longitude Act promulgué par le Parlement britannique offrait 20’000 livres sterling à qui trouverait une solution au calcul de la longitude en mer.


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Aiguille des minutes

  • Date d’invention: vers 1690, application générale à toutes les montres entre la fin du 17ème et le début du 18ème siècle.
  • Poids: de plusieurs dizaines de kilogrammes pour les pendules d’édifice à moins de 0,2 grammes pour une montre classique.
  • Type d’aiguilles: formes multiples; en configuration classique, le montage se fait au-dessus de celle des heures, à frottement gras dur sur la «chaussée».
  • Matière employée: acier, or, argent, laiton, actuellement luminescentes à l’aide de matières non radioactives (Super LumiNova®, Traser®…).

En 1725, Isaac Newton annonçait: «Une bonne montre montée sur rubis et isolée de l’air (…) pourrait suffire à connaître l’heure d’une observation en mer jusqu’à ce que l’on trouve meilleure méthode.» La solution fut trouvée par John Harrison, jeune ébéniste, horloger autodidacte de Barrow upon Humber, qui s’était lancé dans la réalisation d’une pendule de marine après avoir pris connaissance du prix promis par le Parlement de Londres. Harrison gagna le prix après des années de luttes qui l’opposèrent au révérend Nevil Maskelyne, fervent défenseur de la solution astronomique et responsable du Bureau des Longitudes. En gagnant, il prouvait qu’une montre de belle conception servie par un échappement de qualité pouvait donner l’heure avec une précision acceptable.

Nevil Maskelyne, John Harrison, George Graham
Nevil Maskelyne, John Harrison, George Graham

Dès lors, les horlogers anglais, français et plus tard suisses s’appliquèrent à intégrer aux montres ordinaires les solutions proposées par cet autodidacte et d’autres, arrivés après lui dans cette course à la précision. En association avec ces avancées, il faut ajouter l’invention des paliers en rubis en horlogerie. Celle-ci revient à Nicolas Fatio, mathématicien d’origine suisse, né à Bâle en 1664, qui les a mis en application dès 1700. Conscient de la portée de son invention, il se rendit à Londres pour l’exploiter avec l’aide de deux horlogers d’origine française, Pierre et Thomas Debaufre.

Pour se protéger de toute fraude, il demanda à l’Angleterre un brevet d’invention qu’il obtint le 1er mai 1704. Très bien gardé, le secret du perçage des pierres dures permit à l’horlogerie anglaise du Siècle des Lumières de faire des progrès considérables dans le domaine de la précision.


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Le rubis de roulement pour pivots

  • Date d’invention: 1700, brevet le 1er mai 1704 par Nicolas Fatio.
  • Portée de l’invention: encore utilisé de nos jours, le rubis d’horlogerie permet de réduire considérablement les frottements entre la platine et les pivots des mobiles (les roues) ou de balancier. Ce pallier comportant une creusure permet en outre de contenir l’huile durablement.
  • Poids de l’invention: moins de 0,01 gramme à l’unité pour un diamètre moyen de 0,2 mm à 1,5 mm et un diamètre du trou de 0,05 à 0,12 mm.
  • Matière employée: rubis ou saphir nature jusqu’en 1901, parfois diamants pour les contre pivots. Depuis 1901 les horlogers font usage d’un corindon synthétique (dureté de 9 sur l’échelle de Mohs qui en comprend 10) coloré à l’oxyde de fer et percé au laser.

Une précision toute britannique

Manquait encore aux montres un organe de régulation de nouvelle génération qui soit plus efficace que celui à verge qui sévissait depuis deux siècles. Durant cette période, les meilleurs créateurs de nouveaux échappements pour montres et pendules furent sans conteste anglais. Robert Hooke se pencha sur le développement d’un échappement libre qui devait devenir une ancre après que George Graham puis Thomas Mudge avaient eux-mêmes développé leurs travaux en ce sens.

Le système ingénieux de la compensation thermique pour les balanciers de montres apporta à l’horlogerie la précision qui lui manquait lors d’écarts important de température. John Harrison en tête avait parfaitement compris les défauts de marche liés à la dilatation des métaux. En fabricant talentueux, il avait produit un difficile système à «grill» fait de tiges de laiton et d’acier liées directement au spiral réglant. Astucieux mais très encombrant, il fallait chercher dans une autre voie. Pierre Le Roy proposa une solution avec son horloge de marine de 1766 qui possédait, en plus d’un échappement libre révolutionnaire pour l’époque (une sorte d’ancre de première génération), un système de compensation agissant directement sur le moment d’inertie du balancier relié pour la première fois à un spiral réglant isochrone.


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Le balancier compensé

  • Date d’invention: développement dès 1755 par Pierre Le Roy pour la compensation simple, suivi d’Arnold en 1780 pour le balancier bimétallique compensé et d’Earnshaw en 1781.
  • Portée de l’invention: compensation automatique de la température par le balancier, meilleur réglage de la montre en étant équipée.
  • Poids de l’invention: d’environ 10 grammes pour les chronomètres de marine à moins de 0,5 gramme pour une montre de qualité.
  • Emploi en horlogerie: le balancier bimétallique Guillaume a disparu des productions pour être remplacé par les nouveaux «assortiments» spiraux/balanciers auto-compensés et invariables thermiquement en Nivarox/ Glucydur.
  • Matière employée: acier et laiton laminé, serge de balancier coupée, vis de réglage sur l’extérieur de la serge. Actuellement: bronze au béryllium.

Dans le même temps et sans doute aiguillonné par les avancées des maîtres anglais, le Duc de Praslin envoyait le talentueux Ferdinand Berthoud, horloger d’origine neuchâteloise (alors territoire appartenant à la Prusse) devenu Français, observer leurs développements en vue de contrer les Anglais dans la course à la longitude.

Seulement, les horlogers avaient pris de l’avance dans le domaine. John Arnold, horloger brillant, devait poser les bases de la chronométrie moderne à partir de 1765 et proposer des échappements et des balanciers ultra-innovants. Son concurrent d’alors, le talentueux mais pauvre Thomas Earnshaw, devait inventer en 1782 l’échappement qui, aujourd’hui encore, reste considéré par beaucoup comme le plus efficace qui soit: la détente à ressort (avec roue d’échappement agissant en compression). Il posait également les bases de ce que sont aujourd’hui les balanciers compensés bimétalliques à serge coupée.


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Les échappements à coup perdu

  • Détente pivotée développée par John Arnold en 1775, modifiée pour une détente à ressort en 1781 par le même horloger.
  • Détente à ressort avec roue d’échappement agissant en compression proposée par Thomas Earnshaw en 1781.
  • Ce modèle sera celui employé finalement par tous les chronométriers de marine dès 1800.

Mais tous ces progrès dans le secteur de pointe qu’est la marine, lancée alors à la conquête du Pacifique, n’ont infusé que lentement dans le métier. Ainsi, il fallut tout de même attendre 1823 pour que l’industrie horlogère suisse emploie un rubis fabriqué à La Chaux-de-Fonds par une structure importée par Pierre-Frédéric Ingold, ancien ouvrier d’Abraham-Louis Breguet. Dans le même temps, les horlogers les plus ingénieux ont tenté de nombreuses expériences pour créer des échappements qui soient moins coûteux à fabriquer et surtout moins sensibles que la détente à ressort tout en restant aussi précis.

Thomas Mudge, brillant concepteur et élève de George Graham, proposa un échappement à ancre qui mit des années à percer. De son côté, George Graham proposa l’échappement à cylindre que John Arnold puis Abraham-Louis Breguet devaient reprendre à leur compte avec l’intégration d’une tuile de rubis pour limiter les frictions. Pendant ce temps, des horlogers inventifs comme Pierre Jaquet-Droz (suivi d’Henri-Louis Jaquet Droz et Jean-Frédéric Leschot) développaient des automates dotés d’incroyables mécaniques, ravissant les cours européennes. D’autres, comme Jean-François Bautte vers 1800, proposaient également aux puissants de ce monde des produits de luxe basés sur des mécanismes d’horlogerie.

Pierre Jaquet-Droz, Jean-François Bautte
Pierre Jaquet-Droz, Jean-François Bautte

Les cours européennes ont été de puissants leviers pour le développement d’horlogeries nationales et dynastiques, dont certains noms subsistent aujourd’hui, comme Urban Jürgensen (Danemark) ou Carl Suchy & Söhne (Autriche). Une figure-clé de cette époque foisonnante est Jacques-Frédéric Houriet, maître de la précision qui, livrant dans tout le continent depuis Le Locle, mit en place les prémices d’une forme d’industrialisation de la production tout en échangeant avec de nombreux pairs.

Urban Jürgensen, Jacques-Frédéric Houriet
Urban Jürgensen, Jacques-Frédéric Houriet

La place genevoise devient un centre de ce qu’il sera plus tard convenu de désigner comme la «Haute Horlogerie», avec ses cabinotiers réunis autour de manufactures comme celle créée par Jean-Marc Vacheron en 1755, qui parvient à produire en série des mouvements de grande qualité pour des modèles richement décorés, souvent à l’intention de ces mêmes cours (lire la «Cover Story» de ce numéro). Sans oublier Voltaire qui, installant ses ateliers horlogers aux portes de Genève livrait en garde-temps son amie Catherine la Grande de Russie – ou, depuis le Val-de-Travers, les frères Bovet livrant via Londres la cour de Chine au début du 19ème siècle. A proximité de Genève, la Vallée de Joux deviendra elle aussi un bastion de la montre à grande complication (Audemars Piguet, Jaeger-LeCoultre).

Jean-Marc Vacheron, Voltaire
Jean-Marc Vacheron, Voltaire

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Echappement à ancre

  • Date d’invention: 1759 par Thomas Mudge (1715-1794), horloger anglais, élève de George Graham.
  • Portée de l’invention: mécanisme le plus approprié à la production en série de mouvements de montres à échappements dits libres.
  • Poids de l’invention: environ 0,1 gramme avec les palettes en rubis.
  • Emploi en horlogerie: transmet la force du rouage au balancier par l’intermédiaire de la roue d’échappement. L’échappement est dit libre en raison de l’absence de contact entre le balancier et l’ancre pendant la majeure partie de l’oscillation. Le résultat en est une moindre friction et donc une meilleure régularité de fonctionnement.
  • Matière employée: acier ou laiton écroui (laiton dur) pour l’ancre, palettes en rubis véritable pour les montres anciennes ou sans palettes (levées en acier trempé et poli). Versions dites à goupilles (réveils standards). Aujourd’hui de plus en plus souvent en silicium.
  • Actuellement, le seul modèle d’ancre qui reste en production parmi les plus de 50 variantes possibles est le modèle d’ancre dit «suisse» à «impulsions partagées». Fiable, robuste dans la très longue durée, ce système est reconnu pour ses grandes qualités et a supplanté toutes les autres formes existantes.

A proximité de Genève, la Vallée de Joux deviendra elle aussi un bastion de la montre à grande complication (Audemars Piguet, Jaeger-LeCoultre).

Au tournant du 19ème siècle, l’horlogerie lancée dans une approche industrielle à la suite des travaux du Français Frédéric Japy débutés en 1777 finit par faire le choix de deux échappements ayant fait leur preuve et donnant d’assez bons résultats sans être trop coûteux à fabriquer: le cylindre (repos frottant) et l’ancre (échappement libre). Tous les autres concepts, aussi originaux ou visionnaires qu’ils aient pu être, devaient disparaître à plus ou moins long terme (échappement naturel, à virgule, double virgule, Duplex, de Bethune, à pivots…).

Ces régulateurs nécessitaient d’être associés à des balanciers de qualité afin de révéler toutes leurs qualités. Au départ, ce furent des balanciers bimétalliques à serges coupées et masses de compensations. Cette pièce horlogère très sensible et de grand prix demandait des qualifications importantes tant pour sa fabrication que pour son réglage final. Dans le courant des années 1920-1930, les fabricants ont adopté un alliage mis au point par Charles-Edouard Guillaume. Les balanciers d’antan disparurent au profit de ceux en «Glucydur» (un alliage de bronze-béryllium). Aujourd’hui, certains balanciers dits à inertie variable possèdent encore des vis. Elles servent au réglage dynamique du balancier. C’est le cas chez Patek Philippe (Gyromax), chez Rolex (Microstella) et de plus en plus d’autres.

Fiabiliser la mesure du temps

A la fin du 18ème siècle, la montre de prix fabriquée par des maîtres de renom est un produit qui fonctionne parfaitement, mais demande un entretien soigné assez régulier. Sensible à l’humidité, peu étanche à la poussière en raison de la manipulation à effectuer pour remonter la montre et la mettre à l’heure, le mouvement perd très rapidement ses qualités horaires.

Tous les grands horlogers se sont posé des questions sur la fiabilité et la facilité d’emploi de leurs créations. L’horloger liégeois Hubert Sarton mit ainsi au point vers 1776 un mécanisme de remontage automatique par masse oscillante centrale afin de libérer le propriétaire de la montre de poche du fastidieux remontage à clé.

Hubert Sarton, Abraham-Louis Perrelet, Abraham-Louis Breguet
Hubert Sarton, Abraham-Louis Perrelet, Abraham-Louis Breguet

Certains horlogers de talent comme Abraham Louis Perrelet ou Abraham-Louis Breguet (qui devait concevoir son propre système inspiré de celui des podomètres alors très employés par les militaires) proposèrent à un public fortuné des solutions innovantes autant qu’originales. Beaucoup ont pensé que ce système était une invention en soi. Elle doit surtout être perçue comme une découverte liée à la volonté de se passer d’un outil pour remonter les montres. Solutions intelligentes, elles n’eurent pas de véritable succès. Pourquoi? C’est un mystère. Il faudra attendre un siècle et demi plus tard, pour que le mode de remontage automatique devienne un standard apprécié et quasi-unique dans la consommation de produit horloger.

La mesure des intervalles s’affine au début du 19ème siècle, avec les travaux sur les compteurs de tierces menés par le grand savant Louis Moinet, par ailleurs auteur de traités de référence sur l’horlogerie, ou les «chronographes» à point d’encre proposés par Nicolas Matthieu Rieussec, terme depuis lors popularisé.

Louis Moinet, Nicolas Mathieu Rieussec, Antoine LeCoultre
Louis Moinet, Nicolas Mathieu Rieussec, Antoine LeCoultre

D’autres mirent au point des mécanismes pour mesurer le micron comme Antoine LeCoultre et de remontage par la couronne au pendant. C’est le cas de Thomas Prest en 1820 pour John Roger Arnold. C’est le cas de Breguet en 1821 à Paris puis d’Adolphe Nicole en 1844 à Londres. L’histoire a retenu comme l’inventeur de cet organe aujourd’hui commun Adrien Philippe, l’associé de Norbert de Patek dans la fabrication de garde-temps de grande qualité. On retiendra que jusqu’à la généralisation des montres-bracelets, le remontage automatique a toujours été considéré comme d’une utilité très relative pour les montres de poche qui, depuis 1880, étaient toutes équipées de remontage par la couronne au pendant.

La généralisation des montres-bracelets dans les tranchées de la Grande Guerre et leur réemploi après le premier conflit mondial (comme l’emblématique Tank imaginée par Louis Cartier) devait révéler plusieurs défis techniques que les horlogers ont dû résoudre pour faire durablement s’imposer ce mode de porter, dont les années Art-Déco allaient encore intensifier la tendance.

Louis Cartier, Adrien Philippe, Norbert de Patek
Louis Cartier, Adrien Philippe, Norbert de Patek

Nous sommes en 1920 et l’industrialisation horlogère bat son plein. Les Suisses (et les Français avec LIP en tête) dominent ce marché de l’horlogerie et personne ne saurait leur faire de l’ombre. Pas même les importantes manufactures d’outre-Atlantique comme Waltham, Elgin ou Hamilton, qui les inquiétaient tant par leurs capacités industrielles au 19ème siècle: la Suisse sut réagir en passant du traditionnel système d’établissage au regroupement des compétences dans des usines sous l’impulsion d’entrepreneurs tels Georges Favre-Jacot (Zenith), Ernest Francillon (Longines) ou la famille Brandt (Omega), profitant aussi de l’énergie hydraulique pour alimenter leurs capacités industrielles, comme Florentine Ariosto Jones qui, venu des Etats-Unis justement, fonda IWC sur les bords du Rhin.

César Brandt, Georges Favre-Jacot, Ernest Francillon
César Brandt, Georges Favre-Jacot, Ernest Francillon

De leur côté, les Allemands ont développé un centre horloger spécifique à Glashütte, près de Dresde, dont les pères fondateurs, Friedrich Gutkaes, Ferdinand Adolf Lange ou encore Moritz Grossmann, seront suivis par des visionnaires comme Alfred Helwig qui mit au point dans les années 1920 le mécanisme aujourd’hui très courant du tourbillon volant. La Forêt Noire est également un centre important, Junghans étant l’une des plus importantes fabriques horlogères du monde au début du 20ème siècle.

Objet usuel, la montre continue sa lente progression en matière de qualité sans pour autant trouver de nouveaux débouchés. Afin d’apporter une vraie plus-value en matière d’usage, les horlogers se sont penchés sur l’étanchéité des boîtiers. Au poignet, une montre est bien plus exposée à l’humidité et aux chocs que son homologue positionnée au chaud dans une poche.

Ferdinand Adolf Lange, Friedrich Gutkaes, Moritz Grossmann
Ferdinand Adolf Lange, Friedrich Gutkaes, Moritz Grossmann

Entre 1918 et 1930, plusieurs marques européennes et américaines, aidées de spécialistes du boîtier et de la couronne (Borgel, Depollier, Perregaux & Perret), ont ainsi lancé leurs propositions de montres-bracelets résistantes pour répondre à une demande qui était certes minoritaire, mais en croissance – à l’époque, la montre de poche représentait encore la moitié des ventes de montres. De cette ère très féconde de l’entre-deux-guerres, fondatrice pour la fiabilité, la facilité d’usage et l’adoption en masse de la montre-bracelet, ont également émergé des travaux visant à concevoir de nouveaux mouvements capables, comme au 18ème siècle, de se remonter seuls (Leroy, Harwood).

Betty Fiechter, Hans Wilsdorf
Betty Fiechter, Hans Wilsdorf

Dans cette course pour offrir des produits modernes et pertinents, c’est Hans Wilsdorf (1881-1960), le créateur de la marque Rolex, qui arrivera en tête, en intégrant dans le boîtier étanche le plus efficace qui soit (1926) un mouvement mécanique à remontage automatique lui aussi simple et efficace (1931), associé à des campagnes stratégiques pour sa notoriété et en misant sur l’exclusivité de l’innovation par les mécanismes de défense offerts par un système de propriété intellectuelle en plein développement.

Image et productivité

La marque à la couronne rencontre un succès planétaire après la Deuxième guerre mondiale, lorsque la prééminence de la montre-bracelet automatique et étanche est entérinée. Un succès renforcé encore après la grande crise du quartz, étant passée dans un registre faisant de ses modèles fiabilisés et de ses collections fermement établies des vecteurs de statut, quand ses concurrents restaient sur un autre registre en poursuivant en priorité la quête de la précision. Le terrain de jeu avait changé, ouvrant l’ère que nous connaissons aujourd’hui, celle de la montre comme objet de désir dépassant – mais ne négligeant pas – sa fonction utilitaire.

Si, avant la seconde conflagration mondiale, une bonne moitié des montres se portaient encore dans la poche, à l’aube des années 1950 toutes les marques capitalisaient sur les instruments de mesure du temps à porter au poignet, qui représentaient 80% de la demande. Toutes les montres se devaient dès lors d’être étanches en suffisance, robustes et endurantes pour cibler une nouvelle clientèle, dont le mode de vie et les activités sportives se diversifiaient.

Pour séduire ces actifs exigeants et une jeunesse en quête d’expériences sportives, les marques suisses, de Blancpain à Heuer et Longines en passant par Omega, Tissot et Breitling, se sont tournées vers des univers faisant rêver: elles célébraient les voyages à travers l’aviation, la plongée, la montagne, la conquête spatiale, la course automobile… Le chronographe prend une place toujours plus importante (notamment grâce à des spécialistes tels que Minerva).

Auguste Verneuil
Auguste Verneuil

Des femmes entrepreneurs telles que Betty Fiechter (Blancpain) et des créatrices telles que Jacqueline Dimier (Audemars Piguet) marquent également l’entrée de l’horlogerie dans le 20ème siècle. En 1930, les femmes représentent environ 90% des personnes employées dans le réglage des montres.

Les innovations arrivées à l’aube du 20ème siècle, comme le saphir de synthèse mis au point par Auguste Verneuil, devaient permettre d’augmenter la production de qualité. D’une dureté de 9 sur l’échelle de Mohs, le saphir de synthèse ne saurait être rayé que par lui-même ou par le diamant. Une marque pionnière dans son utilisation, à la fois pour les calibres et pour la glace protégeant le cadran, fut Jaeger-LeCoultre qui, en 1931, l’utilisait pour la Reverso Dame et certaines versions de la Duoplan. Depuis lors, pratiquement toutes les montres contemporaines en sont équipées en lieu et place des glaces en hésalite, en plexiglas, voire en verre de lunetterie.


Verre saphir

  • Date d’invention: 1900 par Auguste Verneuil.
  • Portée de l’invention: permet de fabriquer les rubis des mouvements et les verres de protection des montres. Avec un coefficient de dureté de 9 sur l’échelle de Mohs, ce minéral ne peut être rayé que par lui-même ou le diamant.
  • Matière employée: oxyde d’aluminium et de chrome porté à 2’000°C dans un creuset. Les gouttes formées se déposent sur un socle et cristallisent. Leur accumulation sur le support produit un long cristal cylindrique, appelé boule.
  • Actuellement employé de façon massive en horlogerie pour la fabrication de verres de protection. Robustes et quasiment inrayables ces verres ne demandent aucun entretien particulier et permettentà la montre de conserver une belle esthétique.
  • Ce saphir de synthèse est aussi employé pour la fabrication des rubis d’horlogerie.

Dans les années 1940, les «parechocs» ou «pare-chute» chers à Abraham-Louis Breguet se sont eux aussi généralisés dans les montres-bracelets (Incabloc en 1938). Depuis, il ne serait pas imaginable de s’en passer, au point que certaines maisons disposent de leurs propres systèmes. Dans le même esprit de rationalisation de la fabrication, les balanciers bimétalliques et spiraux en acier bleui ont été progressivement remplacés par des assortiments de nouvelle génération intégrant des métaux alliés (Elinvar, Nivarox, etc) pour les spiraux et du bronze au béryllium pour l’oscillateur.

En parallèle, des horlogers travaillaient sur des technologies connues depuis longtemps, mais encore inadaptées à l’horlogerie de petit volume…

Révolution chronométrique

Pendant que le gros des ingénieurs horlogers des marques mettait tout en œuvre pour fiabiliser les montres-bracelets mécaniques, certains bureaux d’études travaillaient dès la fin des années 1930 à la mise au point de mécanismes inspirés de ceux des chronomètres de marine électromécaniques ou des pendules-mères utilisées dans l’industrie et les chemins de fer.

En 1932, Lack Horton et Morrison utilisaient le premier quartz pour Bell Téléphonie aux Etats-Unis, mais c’est John Harcourt Gibbs en 1936 qui produisit la première pendule contrôlée par un quartz. Près de 30 ans plus tard, soit en 1964, apparaissait enfin une pendule à quartz de moins de 200 cm3. En 1957 faisaient leur apparition les premières piles boutons pour montres bracelets électro-mécaniques, comme la Ventura de Hamilton et la LIP Nautic-Ski par Fred Lip (Ucar 201 et Everready 201 au carbone-zinc).

Fred Lip, Max Hetzel
Fred Lip, Max Hetzel

Grâce à ces piles assez puissantes, l’ingénieur suisse Max Hetzel, l’inventeur du résonateur dit «diapason à haute fréquence» dont personne n’avait voulu en Suisse ou en France, permettait à la société américaine Bulova de créer la fameuse Accutron. En 1965 étaient lancées les premières piles au lithium et en 1980 les versions à l’oxyde d’argent (Renata chez ASUAG).

Dans la foulée, Seiko et le CEH présentaient des prototypes de montres à quartz et, à Noël 1969, Seiko lançait l’Astron (une pièce à quartz analogique) sur le marché. Au salon de Bâle, les années suivantes, plusieurs marques proposèrent leurs modèles électroniques: Seiko avec l’Astron 35SQ, Longines avec l’Ultraquartz 6512, le CEH avec le calibre Beta-2, Girard-Perregaux avec le GP 350 ou encore Hamilton avec la Pulsar. Cette année voyait aussi apparaître les premiers calibres mécaniques de chronographe à remontage automatique (Seiko, Heuer-Leonidas, Breitling, Buren-Hamilton, Dubois Dépraz, Zenith).

La révolution du quartz débutait et allait faire des dégâts dans les rangs des horlogers classiques, confrontés à trois autres défis simultanément. On pense à la montée en puissance d’une nouvelle génération qui, en 1968, avait rejeté la vision de leurs parents et leur mode de vie. En second, aux effets économiques de la première crise pétrolière et en troisième à la capacité qu’ont eu les industriels de l’informatique naissante (Casio, IBM, Texas-Instrument, Seiko-Epson et bien d’autres) de devenir horlogers et d’inonder le marché avec des instruments contemporains à petits prix, notamment avec l’arrivée de la technologie LCD (Liquid Crystal Display) en 1973. Autant que la disruption technologique en soi, cette révolution mettait avant tout en lumière les déficits des structures figées de l’horlogerie traditionnelle en termes de productivité et d’adaptabilité.

Gérald Genta, Jacqueline Dimier
Gérald Genta, Jacqueline Dimier

En parallèle et comme pour défier ce monde en mutation, quelques marques de luxe faisaient dessiner par Gérald Genta des instruments arborant des lignes plus contemporaines (Royal Oak d’Audemars Piguet, Nautilus de Patek Philippe entre autres). Les marques classiques, en quête de solutions pour rebondir et sortir de la crise, lançaient différents projets plus ou moins aboutis.

Yoshikazu Akahane
Yoshikazu Akahane

Parmi toutes les options possibles, on retiendra l’arrivée des mouvements auto-quartz qu’ont travaillé les Suisses (ASUAG) et les Japonais de Seiko dès les années 1975. Dans le même temps, l’ingénieur horloger Yoshikazu Akahane employé par Seiko développait le principe d’un échappement contemporain hybride exploitant le quartz mais sans présence de pile ou de batterie. Le mécanisme baptisé Spring Drive a été développé en 1976 et lancé officiellement en version automatique en 2004.


Les aventuriers du temps

Echappement hybride Spring Drive

  • Date d’invention: 1976 par Yoshikazu Akahane, ingénieur pour Seiko.
  • Portée de l’invention: ce type de calibre cent pour cent mécanique est doté d’un régulateur tri-synchro, un processeur régulant la rotation du balancier en le ralentissant électro-mécaniquement. Il a nécessité 28 ans de recherches en continu.
  • Fonctionnement: le balancier en tournant génère de l’électricité qui permet d’exciter un cristal de quartz calibré qui, couplé à un processeur, régule la rotation du balancier en le ralentissant ou en le libérant électro-mécaniquement afin qu’il effectue très exactement 28’800 rotations par heure.
  • Il offre aujourd’hui la garantie d’une précision pratiquement dix fois supérieure à celle d’un mouvement mécanique traditionnel, de l’ordre de 15 secondes d’avance ou de retard par mois. Et la nouvelle génération est donnée pour une avance ou un retard de l’ordre de 20 secondes par an.

Changer de message

Dans le même temps, le marché des montres classiques ne résistait pas à la déferlante de modèles à petit prix et à la mode. Les marques traditionnelles suisses et françaises disparaissaient les unes après les autres de n’avoir pas su rebondir au bon moment… Mais le pouvaient-elles?

La fin des années 1970 et le début des années 1980 a marqué le vrai tournant dans le métier. En 1982, dans le Jura, les emplois horlogers avaient été divisés par deux par rapport à 1972. Pourtant, dans les ateliers d’ETA, une petite révolution se préparait, tirée d’un constat que Jacques Muller, l’ingénieur en chef de la société, aurait faite durant l’été 1980, mais qui était en réalité la somme d’études faites sur le marché et la mise en place d’une concurrence au marché asiatique. L’idée partagée avec Elmar Mock et Ernst Tomke, le patron de la société ETA, était toute simple: proposer une montre à quartz analogique qui soit abordable (une cinquantaine de francs suisses), versatile pour ne pas dire ludique, étanche voire… jetable!

Nicolas George Hayek, Jacques Muller, Elmer Mock, Ernst Tomke
Nicolas George Hayek, Jacques Muller, Elmer Mock, Ernst Tomke

Il fallait rebondir et concurrencer les Japonais sur leur terrain en proposant des solutions adaptées au marché alors au plus bas, aux nouvelles générations dans l’attente de quelque chose de révolutionnaire. En parallèle, l’entreprise présentait le calibre à quartz ultraplat «Delirium». Ce dernier devait ouvrir la voie à la reprise industrielle comme l’a fait la montre Tissot grâce à une idée aujourd’hui largement utilisée dans l’industrie de la montre fine: utiliser le fond de boîtier comme un élément constitutif du mouvement et rationaliser la production en limitant les coûts et les composants.

Sortie en 1982 sur le marché américain, la Swatch devait être l’élément de base de la relance de l’horlogerie suisse, qui souffrait d’une crise qu’elle n’arrivait pas à gérer de façon traditionnelle. C’est aussi là qu’intervient Nicolas Georges Hayek. Cet entrepreneur d’origine libanaise devenu suisse fut chargé dans les années 1980 de faire un audit de l’industrie horlogère suisse alors incapable de faire face à la concurrence asiatique. Le bilan qu’il devait faire du métier était alarmant: il décidait de faire fusionner la SSIH, qui détenait Omega et Tissot, et ASUAG, un groupe qui réunissait Longines, Rado ainsi que le fabricant de calibre ETA SA.

C’est durant ce regroupement qu’il trouve chez ETA SA la solution pour relancer l’industrie horlogère suisse grâce au travail alors en cours sur la Swatch (la contraction de Suisse et de Watch ou la réunion des mots Second et Watch). En tout état de cause, le produit doté d’un boîtier en plastique injecté et simple à fabriquer, sans doute inspiré par la Tissot Astrolon ou Idea 2000 qui, en 1971 avait 10 ans d’avance et qui disposait de pratiquement tout ce qui a fait le succès de la Swatch, devait redynamiser la profession. Il devait également redonner le goût à une jeune génération de collectionner des montres ludiques, dotées d’un design classique et d’une lecture analogique.

Philippe Stern, Günter Blümlein, Jean-Claude Biver
Philippe Stern, Günter Blümlein, Jean-Claude Biver

Mais à l’autre bout du segment de prix, la relance de l’horlogerie est également le fait d’entrepreneurs visionnaires comme Günter Blümlein (IWC et A. Lange & Söhne dans les années 1990) Philippe Stern (propriétaire de Patek Philippe) et Jean-Claude Biver qui, en réunissant un patrimoine horloger important et en menant des initiatives culturelles ambitieuses, ont contribué à redonner envie aux collectionneurs de se pencher sur les montres-bracelets mécaniques, permettant de revitaliser et exporter le prestige des montres suisses dans le monde entier, vecteurs d’un puissant message émotionnel, et incitant les marques à en reprendre petit à petit la production dès le milieu des années 1980. Les ventes aux enchères thématiques dédiées à l’horlogerie, organisées par le Dr. Helmut Crott en Allemagne ou par Osvaldo Patrizzi chez Antiquorum, soutiennent ce renouveau, qu se verra confirmé par l’entrée et l’investissement de grands groupes de luxe en horlogerie (Richemont, LVMH). Il faut aussi mentionner la montre joaillière qui place l’horlogerie sur un autre territoire d’expression (Piaget, Van Cleef & Arpels, Chopard).

 Dr Helmut Crott, Osvaldo Patrizzi
Dr Helmut Crott, Osvaldo Patrizzi

Les passeurs d’une tradition

Durant les années où la crise sévissait, quelques irréductibles horlogers tenaient bons et décidaient, faute d’engagements dans des marques alors bien mal en point, de restaurer des montres de collection et pour certains d’en créer de nouvelles pour répondre aux attentes de quelques collectionneurs fortunés.

Parmi ces artisans bien décidés à sauvegarder le savoir-faire d’un métier que certains ont cru voir pratiquement disparaître, il y a les précurseurs et des apprentis qui, portés par l’émulation de ces irréductibles maîtres, se sont lancés à leur tour. Aussi étonnant que cela soit, en 1975, parmi les grands émulateurs de ce métier que personne n’imaginait renaître aussi fortement figuraient à nouveau des… anglo-saxons!

George Daniels, Derek Pratt
George Daniels, Derek Pratt

Impossible de citer tous les acteurs de ce renouveau, mais assurément il faut compter les Anglais Derek Pratt et George Daniels. Ce dernier est des deux le plus connu car il a fait œuvre pédagogique en publiant des livres valorisant le métier et contribuant à émuler une nouvelle génération d’artisans. En outre, il a proposé un nouvel échappement baptisé Co-Axial qu’Omega lui a racheté pour l’installer dans ses mouvements dix ans après l’avoir retravaillé.


Les aventuriers du temps

échappement co-axial

  • Date d’invention: 1974-75 par George Daniels.
  • Portée de l’invention: nouveau concept d’échappement de montre, à mi-chemin entre système à ancre et celui à détente, il permet de donner au balancier une meilleur impulsion, réduit les frottements et ne nécessite qu’un très faible huilage des organes d’échappement, réduisant les entretiens.
  • Poids: constitué de la roue d’échappement, de l’ancre co-axiale et du balancier, soit 0,3 gramme environ.
  • Matières employées: acier et rubis.
  • Exploitation en partenariat avec le bureau d’étude d’Omega pour une production en série. Durée de l’étude avant mise en fabrication: 10 ans.

En Suisse, des horlogers farouchement indépendants comme Vincent Calabrese, Svend Andersen, Daniel Roth, Philippe Dufour ou Antoine Preziuso – tout comme Gerd-Rüdiger Lang ou Bernhard Lederer en Allemagne – ont redynamisé le métier en proposant des créations originales réalisées de façon artisanale. L’Académie Horlogère des Créateurs Indépendants (lire notre article dédié dans ce numéro) lancée en 1985 regroupe nombre de ces résistants de la belle horlogerie mécanique en une ère dominée par l’électronique.

Svend Andersen, Philippe Dufour, Vincent Calabrese, Daniel Roth, Gerd-Rüdiger Lang, Bernhard Lederer, Antoine Preziuso
Svend Andersen, Philippe Dufour, Vincent Calabrese, Daniel Roth, Gerd-Rüdiger Lang, Bernhard Lederer, Antoine Preziuso

En parallèle et pour entretenir une demande en produits horlogers rares, Pascal Courteault, industriel propriétaire des montres Leroy et des automobiles Voisin, s’associait à François-Paul Journe (fondateur de la manufacture F.P. Journe) et Denis Flageollet (fondateur de la manufacture De Bethune) pour fonder THA (Technologie Horlogère Appliquée) en 1989. Cette société, spécialisée dans la fabrication de garde-temps d’exception et de calibres à complications pour un public averti ou des marques de prestige, devait offrir un tremplin à quelques artisans devenus des figures du métier renaissant. De cette nouvelle génération, on peut citer Franck Muller, Vianney Halter ou encore Thomas Baumgartner.

François-Paul Journe, Denis Flageollet, Vianney Halter, Franck Muller
François-Paul Journe, Denis Flageollet, Vianney Halter, Franck Muller

D’autres, plus discrets ont travaillé dans le secteur de la restauration comme Michel Parmigiani avant que la famille Sandoz l’encourage à lancer sa marque dans les années 1990. Parmi les figures ayant participé au renouveau du métier on peut citer des visionnaires comme l’ingénieur Ludwig Oechslin qui a proposé des développements originaux et futuristes pour la marque Ulysse Nardin. A leur façon les horlogers Dominique Renaud et Giulio Papi ont également contribué à donner un élan à ce métier. Tout comme Maximilian Büsser en initiant la série des Opus quand il était le patron de la division horlogère d’Harry Winston, avant de fonder sa marque expérimentale MB&F, qui participe à la «déconstruction» de l’horlogerie pour mieux la réinventer en proposant une vision renouvelée ultra-contemporaine.

Dominique Renaud, Ludwig Oechslin, Michel Parmigiani, Maximilian Büsser
Dominique Renaud, Ludwig Oechslin, Michel Parmigiani, Maximilian Büsser

Aujourd’hui, de nouveaux maîtres servent de catalyseurs à la passion d’une nouvelle génération d’horlogers. On pense à Felix Baumgartner et Martin Frei qui, en fondant Urwerk, ont préfiguré la tendance de ce que l’on appelle depuis l’an 2000, la nouvelle horlogerie, tout comme Robert Greubel et Stephen Forsey dans l’innovation mécanique. Et parmi ces électrons libres, Richard Mille aux côtés de Dominique Guenat a fait la démonstration que, dans ce métier, tout est possible même l’inimaginable. Bref et sans presenter tous les créateurs de nouvelle génération, on aura compris que, de Kari Voutilainen à Rexhep Rexhepi en passant par Roger W. Smith, la scène indépendante connaît un nouvel âge d’or. La renaissance de noms historiques, d’Universal Genève à Czapek & Cie, Favre Leuba ou Nivada Grenchen, témoigne également d’un regain d’intérêt pour le patrimoine horloger.

Martin Frei, Felix Baumgartner, Robert Greubel, Stephen Forsey
Martin Frei, Felix Baumgartner, Robert Greubel, Stephen Forsey

Gageons donc que cette belle émulation perdure. Elle s’est maintenue face à l’arrivée des montres connectées, qui auraient pu faire se reproduire la crise que le métier a connu durant les décennies 1970-1980. Seulement, le marché a évolué et les enjeux pour la montre mécanique ne sont plus les mêmes. Son salut tient sans doute à ce qu’elle est passée d’objet usuel à bijou. Redevenue instrument d’apparat, elle retrouve sa fonction première qui a été la plus longue de sa longue histoire: être un bien positionnel, un outil ayant le pouvoir formidable de transmettre le message que son propriétaire souhaite donner de lui aux autres. Une «montre».

Richard Mille, Dominique Guenat, Kari Voutilainen, Roger W. Smith, Rexhep Rexhepi
Richard Mille, Dominique Guenat, Kari Voutilainen, Roger W. Smith, Rexhep Rexhepi