l’origine, comme bien souvent, il y a un petit garçon, né en 1978, qui traîne dans l’atelier de son père, «horloger de village» dans la banlieue de Grenoble. Le petit Sylvain joue avec de vieux réveils, monte et démonte les fascinants mécanismes, hurle de joie quand il parvient à leur rendre vie et qu’ils se mettent à faire tic-tac. L’école générale ne l’intéresse guère, alors à quinze ans et demi il rentre à l’école d’horlogerie de Morteau et là, selon ses mots, «c’est la révélation». Il se rend compte que l’horlogerie, loin d’être confinée aux seuls jeux de ses rouages, est un univers très vaste, immense en fait. Un art, une culture. Elle offre l’espace pour y exercer toute sa créativité, comme le démontrent à la même époque des horlogers indépendants qu’il admire, à l’image de Philippe Dufour ou de Vianney Halter.
Il a 20 ans quand il sort de l’école de Morteau et durant les vingt ans qui suivent, il va aborder toutes les facettes du métier, en commençant par deux ans «d’industrie lourde», comme il le dit, chez Gilbert Petit-Jean, un assembleur de mouvements où il se spécialise dans le SAV.
- Sylvain Pinaud (Photo: Guillaume Perret)
Après une pause d’une année au cours de laquelle il part barouder à la découverte du monde, il entre chez Franck Muller et y restera onze ans. Il y apprendra «beaucoup de choses», y côtoiera de bons horlogers, à l’image notamment de Ludovic Ballouard, et touchera dès qu’il le peut à toutes les machines possibles et imaginables.
Mais l’étape suivante sera véritablement décisive. Après cette période genevoise, il va se mettre à travailler à Sainte-Croix auprès de Dominique Mouret, le fameux restaurateur d’horlogerie ancienne. «Là, je me suis enfin totalement immergé dans l’histoire de l’horlogerie mécanique, nous explique-t-il. Et j’y ai acquis une vraie et profonde culture horlogère dont je me suis imprégné. J’ai pu voir de l’intérieur comment travaillaient nos grands ancêtres en intervenant sur des pièces de Ferdinand Berthoud, d’Antide Janvier, d’Abraham-Louis Breguet… J’ai admiré leur sens des proportions, la beauté de leurs terminaisons, la délicatesse et la simplicité de leurs cadrans, l’aspect véritablement indémodable de leur esthétique et de leur approche technique.»
Dernière étape de cette formation, après cinq ans de restauration, il entre dans l’ancien atelier THA – véritable creuset du renouveau de la mécanique horlogère où ont œuvré François-Paul Journe, Denis Flageollet, Vianney Halter et d’autres, toujours à Sainte-Croix – racheté alors par Carl F. Bucherer. Il y travaille aux prototypes, notamment au mouvement automatique à masse périphérique, conçoit des planches additionnelles, fait de la fiabilisation, complétant ainsi son parcours d’horloger complet. Mais fin 2016 il quitte l’entreprise qui a décidé de déménager, reste à Sainte-Croix, loue un tout petit atelier, s’y installe seul et enfin devient indépendant.
Première montre: un chrono monopoussoir
Un de ses amis horlogers, Luc Monnet, lui parle du concours du Meilleur Ouvrier de France. «C’était là l’alibi parfait pour me mettre à concevoir et fabriquer ma première montre.» Ce sera le Chronographe Monopoussoir Artisanal qui lui permettra, grâce à son ingéniosité technique et au niveau exceptionnel de ses finitions – toutes les fonctions chronographiques sont terminées en poli-bloqué, ce qui est tout à fait inhabituel – de devenir lauréat de cette prestigieuse institution française. Pour financer cette aventure de façon totalement autonome, il s’installe en sous-traitant en mécanique horlogère. La montre terminée sera présentée lors du dernier salon Baselworld, tenu en 2019, au rayon «Incubateurs». Il n’en vendra pourtant qu’une seule.
- Sylvain Pinaud présente son Chronographe Monopoussoir Artisanal dans les colonnes d’Europa Star en juin 2019.
Grandir par cernes
Mais c’est méconnaître l’homme que de penser qu’il puisse aussi facilement baisser les bras. Communicatif, jovial, généreux, Sylvain Pinaud semble empli d’une véritable sève horlogère. Comme grandit patiemment un arbre, il avance par cernes successives, en prenant son temps mais avec une passion continue. Aujourd’hui, il a de quoi avoir le sourire encore plus large que d’habitude. «2022 a été une sacrée année pour moi, je dois l’avouer. Regardez, j’ai un nouvel atelier, plus grand, j’ai une nouvelle montre, j’ai reçu un prix, cela a été une année assez folle. En plus, on est trois personnes maintenant, deux horlogers et une décoratrice. Et on cherche un troisième horloger.»
La nouvelle montre de Sylvain Pinaud, l’Origine, a tout de suite tapé dans l’œil des collectionneurs et attisé leur curiosité. Un intérêt renforcé encore par le Prix de la Révélation Horlogère reçu lors du dernier GPHG. Aujourd’hui, six mois après sa sortie, le carnet de commande de Sylvain Pinaud commence à chauffer. Il faut désormais compter deux ans de délai, au rythme d’une douzaine de montres par an, pour en obtenir une. Pas de quoi l’effrayer, mais pas de quoi non plus le dévier de son propre chemin qu’il entend mener «à rythme d’artisan».
Le sens des proportions
A l’origine de l’Origine, il y a l’esthétique. Graphiquement, le choix de Sylvain Pinaud s’est porté sur une composition asymétrique du cadran qui englobe le régulateur placé en majesté à 6h. L’horloger va commencer par passer des heures à dessiner les croquis du visage de la montre, à peaufiner le moindre de ses détails jusqu’à trouver l’équilibre exact des formes, des lignes et des subtils jeux de couleurs de façon à créer une mise en scène dynamique. Un exemple, un seul, de cette finesse des détails, mais toute la montre est ainsi subtilement dessinée: la façon dont les gouttes des index des minutes se prolongent parfaitement dans la petite seconde.
- L’Origine. Boîtier acier, ponts et aiguille or rose. Prix: CHF 68’000
Cette recherche minutieuse des proportions les plus harmonieuses va de pair avec la qualité des finitions et l’intelligence, la luminosité de leurs rapports. De beaux et très fins sablages mêlant différents grains et réalisés à la main sur plaques de verre mettent en lumière les anglages et parfaits polis-bloqués des ponts et rouages visibles à 6h. Les cercles concentriques des heures, minutes et de la petite seconde s’entrelacent en toute clarté et pureté, survolés par d’élégantes aiguilles bleutées, réalisées à la main par ses soins.
Selon ses propres dires, Sylvain Pinaud, qui consacre avec ses deux collaborateurs plus de 50% de son temps à la décoration, a cherché à faire de l’Origine une montre «élégante et intemporelle». D’où l’importance primordiale qu’il attache à son design et à sa facture.
La technique suit le design
Ce n’est qu’une fois satisfait de l’esthétique de sa montre qu’il passe à la conception en 3D de son mouvement. Cette conception technique reste étroitement soumise à l’esthétique définie. Il va par exemple choisir et concevoir tel ou tel rouage spécifique qui puisse s’adapter parfaitement au design.
A l’exception des pierres, des vis et du spiral à courbe Phillips (Straumann), tous les composants du mouvement sont réalisés dans son propre atelier, y compris l’échappement à ancre suisse. Techniquement, pour l’Origine, son choix s’est porté sur un balancier à inertie variable de 13 mm de diamètre à 21’600 alt/h.
- Le dos de l’Origine est magnifiquement construit et fini.
«Un juste compromis pour parvenir à obtenir une réserve de marche de 56 heures tout en ayant une grande inertie. Autre point important à mes yeux, cette solution offre de la robustesse. Par ailleurs, le mouvement reste très simple à réparer, et le sera même dans 200 ans», conclut-il avec son large sourire. Quant à l’habillage, le cadran provient des ateliers de Kari Voutilainen et le boîtier est réalisé dans le Jura.
Quant on lui demande comment il envisage son futur d’horloger, Sylvain Pinaud sourit: «Pour l’instant, ce qui compte pour moi est d’être capable de livrer en temps voulu les pièces en commande. Et au-delà, mon but est tout simplement de continuer. Mais de continuer à mon rythme, le rythme raisonnable d’un artisan. Car mon objectif absolu est de conserver au maximum mon indépendance.»