Le marché horloger français


Avec son mouvement manufacture, Lip répare l’histoire

mai 2025


Avec son mouvement manufacture, Lip répare l'histoire

La marque française a non seulement sorti son premier mouvement manufacture depuis plusieurs décennies, mais elle a aussi présenté trois nouvelles collections d’un coup, toutes équipées de ce nouveau calibre R26. Des lancements qui reflètent le travail de fond mené par la famille Bérard pour redonner à Lip la place qu’elle mérite dans le paysage horloger contemporain.

C’

est sur le circuit automobile légendaire du Castellet, dans le sud de la France, que Lip a présenté son calibre R26, ainsi que les trois nouvelles collections «air, terre et mer» que le mouvement équipe: Type 14, Annapurna et Nautic 666. Loin peut-être de son cœur historique de Besançon, où la marque est née en 1867, mais très proche de la symbolique tricolore qu’elle incarne, puisque Lip y recevait presse et détaillants en tant que partenaire et chronométreur officiel du Grand Prix de France Historique.

On pourrait tout aussi bien décerner ce prix à Lip elle-même. Reprise en main par la famille Bérard il y a une décennie, la marque a été solidement ramenée en Franche-Comté (relire notre article dédié ici): le mouvement manufacture dévoilé cette année représente une forme d’aboutissement pour ce retour de la production de Lip à Besançon.

On peut reconnaître Fred Lip (première image) ainsi que la fabrique de la marque à Besançon dans cette archive Europa Star datant de 1952.
On peut reconnaître Fred Lip (première image) ainsi que la fabrique de la marque à Besançon dans cette archive Europa Star datant de 1952.
©Archives Europa Star

Avec plus de 100 collaborateurs, la marque est le plus grand employeur de l’horlogerie française. Un titre historique là aussi, pour une marque qui a pu compter jusqu’à 1’500 employés à son apogée dans les années 1960.

C'est au circuit du Castellet, à l'occasion du Grand Prix de France Historique dont Lip est chronométreur officiel, que la marque a présenté son nouveau calibre R26 équipant trois nouvelles lignes. Elle y a aussi présenté un modèle dédié à l'événement, un Chronographe Rallye Méca-Quartz aux couleurs du Grand Prix.
C’est au circuit du Castellet, à l’occasion du Grand Prix de France Historique dont Lip est chronométreur officiel, que la marque a présenté son nouveau calibre R26 équipant trois nouvelles lignes. Elle y a aussi présenté un modèle dédié à l’événement, un Chronographe Rallye Méca-Quartz aux couleurs du Grand Prix.

Avec son mouvement manufacture, Lip répare l'histoire

R pour «rond» et 26 pour 26 mm (soit 11 lignes ½ pour 5,92 mm d’épaisseur): trois ans de développement ont abouti à ce calibre à remontage automatique dont 70% du prix de revient est issu de la région de Besançon. Parmi ses particularités figurent un pont de rouage et une masse oscillante siglés LIP: le logo apparaît au gré des mouvements, rendant l’effet visuel au dos de la montre particulièrement original et ludique (voir la vidéo ci-dessous).

Avant la présentation de ce calibre, les mouvements quartz représentaient quelque 60% des volumes de la marque, dont le prix moyen s’établit aujourd’hui entre 200 et 500 euros. La présentation du R26 incarne les ambitions de Lip et ce prix moyen devrait substantiellement augmenter, avec de nouvelles lignes à mouvement manufacture qui s’établissent autour de la barre des 1’000 euros.

Une approche pragmatique du mouvement

Pierre-Alain Bérard, le directeur général de Lip, revient sur la genèse de ce nouveau mouvement: «Tout est parti d’une rencontre il y a trois ans avec des professeurs de l’École nationale supérieure de mécanique et des microtechniques (SupMicroTech) à Besançon, avec qui nous avons développé le R26. Recréer un mouvement à partir de zéro n’était pas possible en France, nous aurions eu besoin de trop de composants suisses. En revanche, il était envisageable de se baser sur une architecture de mouvement déjà connue et réputée pour acheter des composants standardisés auprès de partenaires en Franche-Comté.»

Sur le R26, Lip a intégré son logo dans la structure fonctionnelle de la masse oscillant. Ce décor mobile, aussi ludique qu'hypnotique, a été imaginé par un ingénieur maison. Nécessitant un ajustement parfait, il est usiné de façon micrométrique par des machines de haute précision pour qu'une fois le R26 assemblé, le logo apparaisse comme par enchantement au gré des mouvements de la masse oscillante.
Sur le R26, Lip a intégré son logo dans la structure fonctionnelle de la masse oscillant. Ce décor mobile, aussi ludique qu’hypnotique, a été imaginé par un ingénieur maison. Nécessitant un ajustement parfait, il est usiné de façon micrométrique par des machines de haute précision pour qu’une fois le R26 assemblé, le logo apparaisse comme par enchantement au gré des mouvements de la masse oscillante.

Au moins 50% du prix de revient des pièces devait être français, avec un cahier des charges ainsi constitué: composer un calibre fiable, sur les standards du marché, un «tracteur» trois-aiguilles-date rond de 26 mm qui pourra servir de plateforme pour le développement de plusieurs collections. L’assemblage est réalisé dans les ateliers de la marque. «Nous ne sommes pas partis sur des grandes complications avec des composants onéreux et complexes à usiner, mais nous avons réussi à imprimer notre style en particulier avec l’intégration du logo dans la structure du rotor», précise Pierre-Alain Bérard. Le résultat est le premier mouvement manufacture Lip depuis plus d’un demi-siècle et l’époque de son dirigeant légendaire Fred Lip.

Relance dans la montre d’aviation

La marque ne fait pas les choses à moitié, puisque le calibre R26, appelé à s’inscrire dans une logique industrielle ambitieuse, équipe pas moins de trois nouvelles collections. Parmi celles-ci, la Type 14 est la «première prise de parole de la marque contemporaine sur l’aviation». Cette montre en acier brossé ou traité PVD noir de 41 mm de diamètre est équipée d’une lunette tournante interne bidirectionnelle, manipulable par la couronne dédiée.

La Type 14 est habillée d’un cadran noir texturé façon tarmac d’aéroport. Pour la manufacture bisontine, il s’agit d’une reconquête de son propre héritage, puisque Lip proposait à l’aube des années 1930 la montre d’aéronef Type 14, un robuste instrument de bord qui devait équiper les chasseurs français de l’époque.

Habillée d'un cadran noir texturé façon tarmac d'aéroport, la nouvelle Type 14 est motorisée par le calibre R26, premier mouvement mécanique à remontage automatique de manufacture Lip.
Habillée d’un cadran noir texturé façon tarmac d’aéroport, la nouvelle Type 14 est motorisée par le calibre R26, premier mouvement mécanique à remontage automatique de manufacture Lip.

Avec son mouvement manufacture, Lip répare l'histoire

La nouvelle version de la Nautic 666 fait elle aussi écho au patrimoine de Lip: initialement développée pour le marché nord-américain à la toute fin des années 1960, la montre de plongée a très vite été baptisée «Devil Diver» en raison des chiffres 666 portés sur son cadran, qui correspondent en pieds américains à la profondeur maximale susceptible d’être atteinte par ce garde-temps (200 mètres).

La Nautic 666, montre de plongée inspirée d'un modèle lancé à la fin des années 1960, est destinée à occuper le segment nautique de la collection Lip mouvement de manufacture.
La Nautic 666, montre de plongée inspirée d’un modèle lancé à la fin des années 1960, est destinée à occuper le segment nautique de la collection Lip mouvement de manufacture.

A l’époque, Fred Lip, coutumier des coups d’éclat, avait osé apposer cette information technique au cadran de la Nautic 3 alors que les marques concurrentes se l’interdisaient par superstition. La version contemporaine est parée d’un boîtier de 39 mm de diamètre en acier inoxydable 316L et équipée d’une lunette tournante unidirectionnelle de plongée avec insert en aluminium anodisé noir, bleu ou gris.

D'un diamètre de 39 mm, l'Annapurna rend hommage au premier sommet de plus de 8'000 mètres conquis par l'homme en 1950.
D’un diamètre de 39 mm, l’Annapurna rend hommage au premier sommet de plus de 8’000 mètres conquis par l’homme en 1950.

La montre Annapurna a quant à elle été conçue pour occuper le segment «terrestre» parmi les modèles équipés du mouvement de manufacture. En l’honneur du premier sommet à plus de 8’000 mètres atteint par l’être humain – par les Français Maurice Herzog et Louis Lachenal – Fred Lip avait décidé de nommer ainsi l’une de ses collections lancées en 1951. Cette pièce devait être finalement renommée Himalaya, une fois le sommet de l’Everest conquis par Sir Hillary en 1953.

La nouvelle collection reprend ce nom d’origine, appliquant un design d’inspiration vintage sur un cadran noir ou argenté avec une double finition soleillée à l’intérieur et sablée sur le tour de chiffres, surmonté d’aiguilles d’heures et de minutes ajourées. Étanche jusqu’à 50 mètres, elle rend hommage à l’âge d’or de la montre mécanique, une période où la manufacture produisait un dixième des garde-temps français et arrivait à la septième place des plus puissantes entreprises horlogères mondiales.

Nouvelle génération décomplexée

Retour au présent: comme pour d’autres enseignes françaises, la perception de la marque diffère aujourd’hui sensiblement entre son marché domestique et l’extérieur. D’un côté la France, où une production quartz plus abordable domine; de l’autre le Japon, son second marché, porté par une fascination pour l’Hexagone et une appréciation de designs plus fins et de mouvements mécaniques plus élaborés (lire à ce propos notre article sur Pequignet, représentant français dans la Haute Horlogerie qui compte les mêmes deux marchés principaux).

Avec son mouvement manufacture, Lip répare l'histoire

Les trois lignes présentées avec ce nouveau calibre doivent ainsi servir à mieux équilibrer la perception globale de Lip, à un niveau de sophistication plus élevé, tout en conquérant de nouveaux marchés: Etats-Unis, mais aussi les grandes économies européennes voisines de la France – Allemagne, Italie et Espagne en priorité. Aujourd’hui, la marque est représentée dans 800 points de vente en France et 200 à l’international. La clientèle féminine représente 40% de son chiffe d’affaires.

Avec son mouvement manufacture, Lip répare l'histoire

«Historiquement, la France était le deuxième plus grand producteur horloger derrière la Suisse, reprend Pierre-Alain Bérard. Aujourd’hui, il y a un vrai renouveau entre des marques anciennes qui reviennent sur le devant de la scène et une nouvelle génération d’entrepreneurs, avec la volonté de faire ici une belle horlogerie, sans émigrer en Suisse.» Le dirigeant, quadragénaire, semble combiner ces deux profils: il fait partie d’une nouvelle génération décomplexée, tout en écrivant le destin d’un nom prestigieux du patrimoine horloger français.

Faire vivre un patrimoine immense, sans s’éparpiller

Le groupe familial Société de Montres de Besançon (SMB Horlogerie), fondé en 1978, peut compter sur une diversification de ses activités: à côté de Lip, il opère des licences pour des montres de marques françaises et internationales - avec 1,2 millon de montres vendues chaque année, c’est le numéro un de sa catégorie en France. On admire d’autant plus sa capacité à conserver et cultiver ses talents à proximité d’une frontière suisse qui attire forcément: «Nous misons beaucoup sur la formation à l’interne et la montée en compétences, précise l’entrepreneur. Nous trouvons les talents nécessaires à notre développement ici (l’école d’horlogerie de Morteau en est un réservoir important, lire notre article dédié, ndlr).»

Les nouveaux calibres R26 sont dotés d'une réserve de marche de 42 heures en pleine charge et le groupe de régulation oscille à 21'600 alternances par heure (3 Hertz). Tous sont réglés individuellement afin d'avoir une précision journalière dans des tolérances comprises entre -5 et +10 secondes.
Les nouveaux calibres R26 sont dotés d’une réserve de marche de 42 heures en pleine charge et le groupe de régulation oscille à 21’600 alternances par heure (3 Hertz). Tous sont réglés individuellement afin d’avoir une précision journalière dans des tolérances comprises entre -5 et +10 secondes.

Les vis de pont de balancier, de masse oscillante et du pont de rouage sont faites sur mesure avec des têtes de forme hexagonale pour souligner de façon subliminale ses origines françaises, de sa conception à sa production.
Les vis de pont de balancier, de masse oscillante et du pont de rouage sont faites sur mesure avec des têtes de forme hexagonale pour souligner de façon subliminale ses origines françaises, de sa conception à sa production.

Muni de ce nouveau mouvement manufacture et de ces nouvelles collections, quels sont les défis les plus importants pour celui qui tient désormais le destin de Lip entre ses mains? «Le premier est l’internationalisation de la marque. Le deuxième est de poursuivre notre R&D, sur la base du R26, afin de présenter d’autres développements manufacture. Mais il s’agit aussi de bien savoir se canaliser, stratégiquement: la tentation serait grande de trop vouloir en faire, au vu de l’extraordinaire patrimoine de la marque. Il faut savoir le faire vivre sans partir dans tous les sens. Pour l’instant, nous nous sommes concentrés sur le patrimoine des années 1950 à 1970. Je rêverais d’ailleurs de faire revivre la Lip Stop…»

La Mach 2000 dessinée par Roger Tallon (et relancée par Lip) dans Europa Star en 1986
La Mach 2000 dessinée par Roger Tallon (et relancée par Lip) dans Europa Star en 1986
©Archives Europa Star

Cette montre, produite entre 1968 et 1971, dite aussi «Parcomètre», se distingue par son minuteur de 60 minutes positionné à 12h pour calculer son temps de stationnement, ce qui donne à son cadran un fort caractère visuel. Lip a déjà fait revivre quelques-uns de ses designs les plus puissants, comme la Mach 2000 dessinée par Roger Tallon en 1974, ou la T18 produite de 1935 à la fin des années 1950, au boîtier rectangulaire et codes d’inspiration Art déco, devenue le bestseller de la marque.

Avec son mouvement manufacture, Lip répare l'histoire

Lip fêtera ses 160 ans en 2027: «Petit à petit, nous reconstituons une collection de pièces historiques», explique Pierre-Alain Bérard, qui en profite pour saluer son père qui lui laisse les rênes pour la renaissance de la marque bisontine depuis plus de trois ans, sans aucun investisseur externe. Un musée Lip verra-t-il le jour dans la cité horlogère qui l’a vu naître? L’entrepreneur se dit séduit par l’idée. Ce sera aussi l’occasion de remettre en lumière Fred Lip, son caractère explosif et ses coups d’éclat (lire notre article ici), un personnage comme on n’en fait plus… qui ne détonnerait pas dans un film! Le musée, le film? Comme Pierre-Alain Bérard l’a sagement exprimé, il faut savoir se canaliser. Mais avec ces récents développements, les perspectives sont certainement enthousiasmantes pour Lip.

Avec son mouvement manufacture, Lip répare l'histoire
©Archives Europa Star

Archives Europa Star de 1960, alors que Lip était à son apogée: 9 usines, 1'500 employés et même l'annonce d'une nouvelle production depuis Genève. Aujourd'hui, après un chemin de croix suivant la désindustrialsation du secteur en France, Lip a retrouvé des couleurs grâce aux efforts de la famille Bérard, la reliant à son dynamisme historique.
Archives Europa Star de 1960, alors que Lip était à son apogée: 9 usines, 1’500 employés et même l’annonce d’une nouvelle production depuis Genève. Aujourd’hui, après un chemin de croix suivant la désindustrialsation du secteur en France, Lip a retrouvé des couleurs grâce aux efforts de la famille Bérard, la reliant à son dynamisme historique.
©Archives Europa Star