Le marché secondaire


«Nous sommes des gestionnaires de portefeuille horloger»

ENTRETIEN

English
novembre 2022


«Nous sommes des gestionnaires de portefeuille horloger»

Lors du premier salon Re-Luxury, dédié au luxe d’occasion, qui s’est tenu à Genève en novembre dernier, nous avons rencontré Patrik Hoffmann, le vice-président exécutif de la division suisse de WatchBox pour décrypter l’évolution du marché de la seconde main de luxe.

W

atchBox, la première plateforme mondiale de montres d’occasion et de collection, a fait partie des entreprises pionnières qui ont décidé de participer au premier salon Re-Luxury dédié au marché de l’occasion de luxe, organisé par Fabienne Lupo, qui s’est tenu à Genève du 4 au 7 novembre 2022.

À cette occasion, la plateforme a pu présenter une exposition de montres rares signées F.P.Journe et De Bethune (une marque rachetée par WatchBox l’an dernier, ndlr), deux signatures qui ont largement contribué à façonner le visage de la Haute Horlogerie au XXIème siècle. Cette exposition itinérante, intitulée Two Decades of Complexity & Beauty, a été conçue comme une rétrospective qui rend hommage aux contributions de François-Paul Journe et de Denis Flageollet au monde de l’horlogerie, avec une collection sélectionnée et disponible à la vente.

«Nous sommes des gestionnaires de portefeuille horloger»

Promouvoir le travail des horlogers indépendants, notamment à travers la valorisation de leur cote sur le marché secondaire, est une mission que s’est donnée WatchBox depuis la création de l’entreprise en 2017. Avec cette rétrospective, elle célèbre les collections de deux maîtres parmi les plus talentueux. Nous en avons profité pour rencontrer Patrik Hoffmann, le vice-président exécutif de la division suisse de l’entreprise.

Patrik Hoffmann, vice-président exécutif de la division suisse de WatchBox
Patrik Hoffmann, vice-président exécutif de la division suisse de WatchBox

Europa Star: Qu’est-ce qui vous a convaincu de participer au nouveau salon que constitue Re-Luxury?

Patrik Hoffmann: Je viens du marché primaire (Ulysse Nardin et Oris, ndlr) et je connais Fabienne Lupo depuis longtemps. Elle est d’abord venue nous voir car elle voulait comprendre en profondeur ce qu’est WatchBox. Elle avait une idée en tête et est ensuite revenue vers nous avec le concept de l’événement Re-Luxury. L’adéquation entre notre entreprise et ce salon est évidente. Pour moi, le consommateur final est la personne la plus importante et c’est le cas avec ce salon. Re-Luxury est compatible avec la mission d’ESG (Environnemental, Social et Gouvernance). Il fait mouche. C’était une évidence de participer à ce projet. Nous avons combiné notre présence à Re-Luxury avec le lancement de notre exposition itinérante sur De Bethune et F.P.Journe et Fabienne Lupo nous a donné une scène. La rétrospective que nous avons dévoilée, personne ne l’avait jamais vue.

De fait, Re-Luxury semble être une plateforme parfaite pour les montres «pre-owned»...

Nous pensons que le mot «pre-owned» n’est plus le terme correct. Ce que nous faisons à WatchBox, c’est du haut de gamme et du luxe, et la bonne expression devrait être «pièce de collection». Nous essayons même de changer le mot en interne et la façon dont nous nous exprimons: nous ne vendons pas des montres d’occasion mais des montres de collection. Quelqu’un qui achète une Porsche vintage ne dit pas: «J’ai acheté une voiture d’occasion». Il dit: «J’ai acheté une voiture de collection». Toutes les montres F.P.Journe et De Bethune dans notre exposition sont des montres de collection.

«Quelqu’un qui achète une Porsche vintage ne dit pas: «J’ai acheté une voiture d’occasion». Il dit: «J’ai acheté une voiture de collection».»

Le monde horloger a besoin de visionnaires comme François-Paul Journe et Denis Flageollet. Ils sont venus avec une mission et une vision et ils ont toujours le consommateur final à l’esprit. Fabienne Lupo fait participer le consommateur final. C’est lui qui décidera si ce salon est le début de quelque chose de plus grand à terme. Et je pense que c’est le cas.

«Nous sommes des gestionnaires de portefeuille horloger»

Pensez-vous que Re-Luxury puisse s’exporter dans d’autres régions du monde?

Je l’espère. Ce qui se passe avec les objets de collection est un mouvement mondial et WatchBox est une véritable entreprise mondiale. Nous pensons que l’on ne peut réussir que si l’on pense globalement et c’est notre mission. Genève est le bon endroit pour commencer avec cette exposition itinérante.

Comment expliquez-vous l’explosion de la demande pour les montres de collection?

Ce qui est intéressant, c’est que nous avons toutes sortes de clients. Certains d’entre eux achètent certaines marques et certains modèles parce qu’ils peuvent les obtenir à ce qu’ils considèrent un bon prix. Il y a des clients qui viennent chez nous parce qu’ils savent qu’ils peuvent acquérir quelque chose qui n’existe plus: soit parce que c’est une édition limitée, soit parce que c’est une pièce qu’ils aiment mais qui n’est pas disponible sur le marché primaire. Ils peuvent théoriquement tout trouver chez WatchBox. La troisième catégorie de clients est celle qui achète des montres dont la valeur d’occasion est bien supérieure à la valeur au détail, soit les véritables pièces de collection. Dans le monde d’aujourd’hui, c’est cool d’acheter un objet de luxe d’occasion. Nous parlons toujours des millenials et de la génération Z, qui ont renforcé ce mouvement, mais nous en faisons également partie!

«Nous sommes des gestionnaires de portefeuille horloger»

La crise, la guerre, la chute de la Bourse et des crypto-monnaies, peut-être même les vols violents, semblent cependant avoir eu un impact sur les ventes. Comment voyez-vous l’évolution du marché secondaire?

Ce qui se passe n’est pas un secret: ces deux derniers mois, il y a eu un réajustement du marché. Ce que nous faisons chez WatchBox est tout à fait comparable au marché boursier. Les personnes qui travaillent avec les consommateurs finaux sont comme des gestionnaires de portefeuille. Je peux affirmer que de l’air est sorti de la bulle, mais aucune n’a éclaté. Il y a eu une normalisation du marché et je pense que c’était attendu, nous allons faire face à cela et le consommateur final fera de même.

J’aime citer l’industrie automobile: les ventes de voitures neuves en Suisse sont d’environ 350’000 unités par an. Les ventes de voitures d’occasion représentent plus du double. Le marché de l’horlogerie est très comparable à celui de l’automobile et je suis sûr qu’il en sera de même en termes de chiffres. Le potentiel est énorme. Ce n’est pas quelque chose que nous poussons: c’est une demande réelle du consommateur final.

«Ce que nous faisons chez WatchBox est tout à fait comparable au marché boursier. Les personnes qui travaillent avec les consommateurs finaux sont comme des gestionnaires de portefeuille.»

Une évolution plus lente?

Les modèles de collection étaient vendus 3 ou 4 fois plus cher que le prix de détail. Aujourd’hui, ces pièces sont encore vendues 2 ou 2,5 fois plus cher que le prix de détail. Si l’on regarde la situation à long terme, la tendance est toujours là et le marché général est toujours en croissance. Nous n’avons pas peur.

«Nous sommes des gestionnaires de portefeuille horloger»

Quelles sont les principales tendances qui se dessinent?

Les jeunes générations aiment les objets d’occasion. Ils ont une vraie conscience de l’économie, de la durabilité, de la circularité, mais aussi des marques. Je pense que les clients d’aujourd’hui sont de plus en plus axés sur la marque: ils veulent savoir ce qui se cache derrière une marque. Lorsque la génération Z et les millenials achètent des actions en Bourse, ils veulent savoir ce qu’il y a derrière les actions qu’ils acquièrent. Et lorsqu’ils achètent une montre, ils veulent savoir quelle personne se cache derrière la marque. Ils font beaucoup plus de recherches aujourd’hui et je pense que ce sera la tendance pour l’avenir. Cela influencera ce que les manufactures créeront dans le futur.

Le fait que certaines grandes marques pratiquent une politique de pénurie a-t-il un fort impact sur les ventes du marché secondaire?

Oui, absolument. Sur le marché secondaire, nous pouvons nous procurer ces pièces et les vendre. J’ai passé 30 ans de ma vie sur le marché primaire où il y a des prix de détail. Chez WatchBox, lorsque nous discutons avec nos vendeurs et nos acheteurs, ils ne parlent jamais de prix. Ils connaissent la valeur, le prix auquel nous vendons la montre, mais ils ne savent même pas ce qu’est ou ce qu’était le prix d’origine. Sur le marché boursier, lorsque vous achetez une action, vous ne connaissez pas la valeur nominale. Warren Buffett avait l’habitude de dire: «Le prix est ce que vous payez, la valeur est ce que vous obtenez.» Et tout ce qui entoure WatchBox est une question de valeur.

«Je pense que les clients d’aujourd’hui sont de plus en plus axés sur la marque: ils veulent savoir ce qui se cache derrière une marque.»

Quelles sont les marques qui ont le plus progressé ces deux dernières années?

Si vous vous êtes promené sur notre stand, vous avez eu votre réponse à travers notre exposition…

Que faites-vous pour rassurer le consommateur en termes d’expertise et de certification?

Je pense que le plus important facteur de confiance que nous puissions transmettre provient du fait que nous ne sommes pas une plateforme où nous mettons en relation l’acheteur et le vendeur. Nous achetons toutes les pièces: nous les sélectionnons, nous les entretenons et ensuite nous les vendons. C’est notre responsabilité. Bien sûr, nous avons notre certification interne, mais au bout du compte, l’important est que nous investissions notre argent dans le produit lui-même avant de le revendre.