equignet, fleuron de l’industrie horlogère française fondé en 1973, a connu une histoire mouvementée lors de la dernière décennie. Au bord de la faillite, la manufacture de haute horlogerie de Morteau a été sauvée in extremis grâce à un management buyout par quatre de ses employés en 2017. Ceux-ci ont réussi à remonter la pente jusqu’au rachat l’an passé par le fonds d’investissement français Enowe, bien décidé à redonner son lustre d’antan à ce qu’il qualifie de «pépite de l’horlogerie».
Longtemps isolée dans ce terreau historique de l’horlogerie française durement frappé par la désindustrialisation et la délocalisation, la société à la fleur de lys fondée par Emile Pequignet incarne la résistance de la production locale, celle d’une région qui n’entend plus être le simple fournisseur du voisin helvétique.
Employant aujourd’hui une vingtaine de salariés, Pequignet s’illustre notamment par la production de son propre mouvement, d’abord le Calibre Royal (en versions automatique puis manuelle), suivi par le Calibre Initial, un mouvement automatique trois aiguilles doté de 65 heures de réserve de marche qui a commencé à intégrer ses modèles en décembre 2021 et est voué à équiper d’autres sociétés françaises.
- Produite à 100 exemplaires, la Pequignet Attitude Or est dotée du nouveau mouvement Initial.
Il faut placer le rachat de Pequignet par Enowe dans le contexte plus large d’une renaissance ambitieuse de l’horlogerie française, portée par un courant actuel très favorable à l’artisanat local, alors que le patrimoine horloger de l’arc jurassien franco-suisse a été reconnu par l’UNESCO en décembre 2020.
Le défi reste la dépendance de l’horlogerie hexagonale à des mouvements étrangers – suisses, japonais ou encore chinois – ainsi que pour certains composants-clé.
De fait, les initiatives se multiplient pour replacer les marques françaises sur la carte mondiale de l’horlogerie: outre Pequignet, des marques comme Lip, Michel Herbelin, Dodane, Yema, Humbert-Droz, March Lab, Hegid, Semper & Adhuc ou Utinam entendent promouvoir la fabrication française, chacune à sa manière et dans sa gamme. Mais le problème reste la dépendance de l’horlogerie hexagonale à des mouvements étrangers – suisses, japonais ou encore chinois – ainsi que pour certains composants-clé. La renaissance envisagée ne se concrétisera donc qu’en se réappropriant l’outil industriel et les savoir-faire perdus.
- Hugues Souparis est à la tête du fonds d’investissement français Enowe, qui a racheté la manufacture de Morteau en 2021.
Le fondateur d’Enowe, Hugues Souparis, un entrepreneur de 66 ans qui a créé une société leader dans les technologies de lutte anti-contrefaçon, en est bien conscient: s’il investit aujourd’hui dans Pequignet, labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant depuis 2014, c’est qu’il croit fermement à la revitalisation de l’horlogerie Made in France. «Je ne reprends pas une société en perte, mais en pleine croissance», souligne-t-il. Entretien.
«Je ne reprends pas une société en perte, mais en pleine croissance. Nous mettons en place une stratégie de fond pour assurer l’avenir de Pequignet.»
Europa Star: Pourquoi avoir investi dans Pequignet?
Hugues Souparis: Ce rachat pose la première pierre d’une nouvelle stratégie de notre fonds, visant à promouvoir les «maisons d’excellence» françaises créant des produits haut de gamme. Il ne s’agit pas tant d’investissement financier pur que patrimonial, œuvrant à revitaliser des entreprises historiques. Nous ciblons trois domaines d’investissement pour cette activité: ce qui se mange, ce qui se boit et ce qui se porte! Mais à deux conditions: une capacité d’exportation et de vente en ligne. Cela exclut par exemple les denrées périssables. En revanche, le chocolat, les spiritueux, les montres ou les accessoires haut de gamme font très clairement partie de ce périmètre.
- Pequignet Rue Royale Date et lune, argenté façon guilloché
Comment s’est noué le dialogue avec les dirigeants de Pequignet?
Les discussions ont commencé début 2021, par l’intermédiaire d’un de mes collègues, Nicolas Desmoulin, lui-même passionné d’horlogerie. La marque n’était pas à «vendre» à proprement parler, mais le courant est bien passé et nous nous sommes retrouvés autour d’un projet commun d’accélération de la croissance de Pequignet. Ils avaient su parer au plus urgent dans une situation délicate depuis 2017; à présent, nous apportons notre expertise et nos ressources pour développer une stratégie de long terme pour la marque, incorporant notamment le marketing et le digital.
Quelle était la situation de la marque quand vous l’avez reprise?
En pleine croissance! A vrai dire, nous ne nous attendions pas à la voir en si bonne santé au vu des circonstances. Pequignet a enregistré une hausse de ses ventes de 50% en 2021. Le deuxième semestre en particulier a été euphorique. La marque est rentable et sa notoriété a bien augmenté, en particulier depuis que les équipes ont commencé à travailler sur les réseaux sociaux. Le modèle Royal Saphir a été très remarqué et la première série limitée en or rose du modèle Attitude équipé du Calibre Initial a connu un bon démarrage. Ce sont des modèles haut de gamme, à plus 9’000 euros, qui ont aidé à la croissance du chiffre d’affaires. Cela dit, nous sommes tout à fait conscients d’un certain nombre de lacunes qui demeurent, c’est pourquoi nous mettons en place une stratégie de fond pour assurer l’avenir de la marque.
«Pequignet a la particularité d’être présente sur deux créneaux: d’un côté, comme d’autres marques françaises, elle offre des modèles équipés de mouvements suisses; de l’autre, c’est une manufacture qui produit ses propres calibres.»
- Pequignet Royal Saphir Bleue
En quoi consiste cette stratégie?
Je pourrai vous en dire davantage dans les prochains mois, car nous menons un audit complet de la marque et les réflexions sont multiples. J’ai envie d’aller vite, par nature, mais nous nous donnons le temps de suivre les bonnes étapes. Pequignet a la particularité d’être présente sur deux créneaux: d’un côté, comme d’autres marques françaises, elle offre des modèles équipés de mouvements suisses; de l’autre, c’est une manufacture qui produit ses propres calibres. Le travail consiste à mieux définir l’ADN de la marque – de cette réflexion vont aboutir des designs plus affirmés et une stratégie de distribution précise.
Pequignet a eu un développement fantastique des années 1980 aux années 2000 et nous allons revenir à des inspirations de cette période, tout en valorisant le travail qui a été fait autour de la manufacture ces douze dernières années. Nous allons mettre en avant ce double patrimoine. Je suis très confiant quant au potentiel de la marque, qui bénéficie d’une vraie cote d’estime en France et est déjà bien connue de tout le réseau de détaillants.
Vous investissez avec un accent particulier sur deux éléments: la capacité d’exportation et le e-commerce. Ce sont des pistes…
Bien qu’elle n’ait pas mis l’accent sur l’exportation jusqu’à présent, Pequignet exporte déjà aujourd’hui environ 30% de sa production, vers deux marchés-clés en particulier: le Japon et le Benelux. Cela donne une indication du potentiel international de la marque. Pour les montres de manufacture, des marchés comme la Corée du Sud ou les Emirats arabes unis sont certainement très intéressants. Avec le label de création française, la Chine offre aussi de belles perspectives pour notre marque. En ce qui concerne le e-commerce, il se situe aujourd’hui à 5% du chiffre d’affaires et ce taux va rapidement augmenter. Je crois fermement à la convergence du digital et du physique.
- Le nouveau Calibre Initial
Le Calibre Initial est une étape importante du développement récent de Pequignet. Quelles sont vos ambitions avec ce nouveau mouvement?
La raison de la conception de ce nouveau calibre était de maîtriser un «moteur» plus simple que le Calibre Royal haut de gamme, qui est onéreux à assembler et dont le prix de revient ne permet pas vraiment la livraison à des tiers. Aves ses propres produits, Pequignet est une marque qui offre un ratio qualité-prix exceptionnel, tous les professionnels vous le diront. Mais la création de ce nouveau calibre permet une diversification de l’activité de Pequignet comme motoriste pour d’autres marques françaises. En cela, c’est un développement important pour toute l’industrie nationale, qui s’approvisionne aujourd’hui en mouvements étrangers.
«La création de ce nouveau calibre permet une diversification de l’activité de Pequignet comme motoriste pour d’autres marques françaises.»
Mais existe-t-il une demande pour ce mouvement et êtes-vous assez compétitifs? Le Made in France est un label assez «souple», les autres marques françaises pourraient se contenter de la situation actuelle…
Oui, nous avons déjà enregistré des commandes provenant de deux autres marques, qui seront livrées à l’automne. Beaucoup de marques françaises sont intéressées à une production plus locale et plus originale. Le Calibre Initial permet d’approvisionner des sociétés actives dans un créneau allant de 2’500 à 5’000 euros. Le défi de la «réindustrialisation» est important: aujourd’hui, certains composants critiques ne sont produits qu’en Suisse, or nous sommes en train de nous réapproprier ces savoir-faire en collaborant avec des sociétés françaises qui disposent des machines-outils et du matériel requis mais plus de l’expertise nécessaire. Certaines pièces actuellement sous-traitées en Suisse seront ramenées en France dès les prochains mois. Sur le Calibre Royal, 75% des composants sont produits en France et 25% en Suisse. Il nous faut reconquérir l’intégralité de ce savoir-faire!
- Le siège de Pequignet à Morteau
Votre rachat de Pequignet signale-t-il le début de la constitution d’un groupe horloger pour parvenir à cette réindustrialisation de l’horlogerie française?
Je ne peux rien confirmer à ce stade, mais d’autres investissements sont à l’étude. Une intégration verticale pourrait être intéressante, notamment pour équiper Pequignet en machines-outils. En effet, nous commandons les composants et les assemblons, mais nous pourrions aller plus loin dans la maîtrise de l’outil industriel avec la production de nos propres composants. A terme, nous voulons apporter de l’innovation pure dans le domaine horloger, avec des créations toujours plus audacieuses.
«Le défi de la «réindustrialisation» est important: certaines pièces actuellement sous-traitées en Suisse seront ramenées en France dès les prochains mois.»