’histoire de Yema résume à elle seule tous les aléas subis par l’industrie horlogère française. Créée et établie à Besançon en 1948, en pleine reconstruction de l’appareil productif français dévasté par la guerre, la marque devient le plus grand exportateur de montres françaises durant les années 1960-1970. Comme le rappelle Henry-John Belmont, fils du fondateur de la marque (et qui deviendra par la suite le directeur de Jaeger-LeCoultre), «en quelques années toute une génération d’industriels francs-comtois et savoyards parvinrent à relancer la fabrication de l’ensemble de la montre, mouvement et habillage (…) avec un niveau de qualité et de prix capable de concurrencer les montres suisses».
Mais alors que tout semblait aller pour le mieux, l’arrivée de la technologie quartz allait mettre à bas ces efforts. «Le rêve se transforma vite en défi, continue Henry-John Belmont, car la montre à quartz entra rapidement en concurrence au niveau des prix avec la montre mécanique et devint un cauchemar lorsque ces industriels s’aperçurent que cette technologie n’était pas à leur portée dans ces nouveaux créneaux de prix.»
Comme souvent en France, l’affaire prit un tour politique, poussant à des accords, des fusions, des associations mais qui aboutit à la fin à la prise de contrôle d’une partie importante des marques françaises par Hattori (Seiko).
- Les Calibres Maison YEMA2000 et YEMA3000 sont une évolution récente du premier calibre MBP1000 sorti en 2011. Ces Calibres Maison Grade Standard proposent un rapport qualité-prix extrêmement compétitif.
Sans rentrer ici dans tous les détails de cette saga, Hattori finit par jeter l’éponge et au début des années 2000 Yema redevint indépendante, sans pour autant parvenir à surmonter les nombreuses difficultés rencontrées par la marque. En 2008, au bord de la cession d’activités, elle est reprise par le groupe Ambre (Yonger & Bresson, Catena, Yema), de la famille Bôle, dont l’ambition est de se positionner comme une «maison horlogère indépendante, avec des ateliers et des horlogers basés en France, équipée de son propre mouvement mécanique maison».
Tournant générationnel
Dès 2011 sortent les premières montres Yema équipées du calibre automatique MBP1000 (Mouvement Bôle Pascal), ainsi nommé car il a été développé par Pascal Bôle pour le groupe Ambre. Le MBP1000 est un mouvement «standard à un prix compétitif», dont les composants proviennent à la fois de France, de Suisse et d’Asie et qui en dix ans va s’écouler à plus de 250’000 unités.
Mais le véritable tournant va advenir dès 2018 avec l’arrivée à la direction de Yema de la nouvelle génération. Christopher Bôle, représentant de la troisième génération des Bôle, s’attelle à un repositionnement stratégique et commercial de la marque. En bon représentant de la génération des millenials, il est sensible à l’esprit vintage, relance des modèles iconiques des années glorieuses de la marque et est conscient de la nécessité de développer de nouveaux mouvements mécaniques qui participent à la transformation de la maison en véritable manufacture indépendante.
- Olivier mory, le concepteur du calibre micro-rotor de Yema observe les réactions de Nicolas Bailly, responsable technique & qualité de la maison.
En 2020 apparaît donc la seconde génération de calibres «maison», les YEMA 2000 et 3000, qui vont permettre «des gains fondamentaux en termes de précision et de durabilité».
Ces deux calibres sont encore essentiellement une évolution du premier calibre MBP1000. Leur précision est améliorée notamment grâce à la modification de la raquetterie afin de fiabiliser et de faciliter les réglages du balancier spiral dans toutes les positions, de le rendre plus solide et moins sensible aux chocs. Un inverseur de masse a été ajouté pour un meilleur remontage dans les deux sens. Les tolérances du saut de date ont été améliorées pour qu’il soit plus franc et plus précis, une complication GMT permettant l’affichage d’un deuxième fuseau horaire à aiguille indépendante a été conçue. Autant de détails sensibles.
Les calibres YEMA 2000 et 3000 n’équipent environ que 30’000 montres par an dont le prix moyen est de 1’200 à 1’300 euros et, à ce volume, ne seraient pas réalisables intégralement à l’interne tout en conservant leur compétitivité. Pour y parvenir, ils sont réalisés en association avec des fournisseurs de composants français, suisses et étrangers. Recherche et développement, conception, prototypage et assemblage final se déroulent quant à eux dans les ateliers de Yema.
Vers le calibre Manufacture
Mais l’ambition de Yema va au-delà de ces premiers pas. Elle est désormais de pouvoir proposer un véritable calibre Manufacture, ce qui implique la «réinternalisation» progressive de la fabrication de la plupart des composants au sein même des ateliers de l’entreprise.
Avec cet objectif en vue, d’importants investissements ont été engagés – la somme de 2 millions d’euros a été consacrée à ce développement – dans l’agrandissement et la modernisation des ateliers, de nouveaux équipements en CNC, de nouvelles lignes de production. Par ailleurs ont été renforcées les équipes de R&D, notamment par le recrutement d’horlogers indépendants dont Patrick Augereau, horloger constructeur ayant passé 19 années de sa carrière chez Audemars Piguet pour qui il a notamment mis au point l’échappement sans huile qui équipe les calibres AP depuis 2006, et le jeune et brillant Olivier Mory (lire son portrait dans Europa Star 1/23). Cet «horloger partenaire», lesté d’une solide expérience industrielle (notamment auprès de Sellita), a mis au point le Calibre Manufacture Morteau CMM.20.
Le Calibre CMM.20
Dévoilé fin 2022 et mis en production cette année, le Calibre CMM.20 a pour caractéristique essentielle d’être alimenté en énergie par micro-rotor. «Ce calibre est la première étape du plan stratégique de Yema visant à devenir une manufacture verticalement intégrée et à préserver notre statut d’horloger indépendant», nous explique-t-on. Aujourd’hui, à l’exception des organes réglants, tous les composants sont fabriqués «directement par nos équipes dans nos ateliers de Morteau».
La micro-masse oscillante monobloc est constituée d’un alliage de tungstène haute densité au poids relativement élevé pour ses dimensions afin de permettre un remontage optimisé qui offre une réserve de marche de plus de 60 heures. Son balancier est en glucydur, un alliage non magnétique et à faible dilatation thermique. Résistant à la corrosion, aux champs magnétiques et offrant une grande résistance à la déformation, il offre une grande stabilité. Ses performances («franco-suisses») lui confèrent une précision optimale de -3/+7 secondes/jour.
- Le nouveau Calibre CMM.20, à micro-rotor, dans une exécution très contemporaine qui magnifie la beauté graphique de son architecture dépouillée.
Calibre trois aiguilles ultra-fin et d’une architecture très contemporaine, traité bleu, vert ou noir (en ALD, un traitement thermique sous vide), il affiche une épaisseur de seulement 3,70 mm (26% plus fin que l’ETA 2824).
«Ce calibre à micro-rotor représente un pas important vers notre indépendance manufacturière et nous offre une crédibilité supplémentaire sur le marché, notamment dans le cadre de la revalorisation du Made in France – pour l’instant il est à 80% français et à 20% suisse –, de plus tous nos partenaires et fournisseurs se trouvent dans un rayon de 72 kilomètres autour de Morteau, nous expliquent Pascal et Christopher Bôle. L’arc jurassien franco-suisse est de plus en plus intégré et imbriqué, comme un seul grand territoire horloger. Par ailleurs, ce nouveau calibre marque aussi un jalon dans notre montée en gamme.»
Dès cette année, le CMM.20 va équiper certains modèles de Yema mais il est aussi disponible à la vente à de tierces marques. Les premiers souffles d’un vent nouveau.
LE CALIBRE 3 AIGUILLES CMM.10
S’appuyant sur les méthodes de fabrication et de production mises en œuvre pour le micro-rotor CMM.20, le CMM.10 Manufacture se caractérise par une plus grande précision, une meilleure résistance aux chocs et une réserve de marche de plus de 70 heures, garantissant un chronométrage stable et précis. Les premières séries devraient être lancées dès le premier trimestre 2024.