n 2012, Europa Star annonçait ainsi la prise de contrôle de La Joux-Perret par Citizen: «Alors que tous les regards étaient ces derniers temps obsessionnellement tournés vers la Chine et que le moindre investissement chinois dans l’horlogerie suisse était scruté à la loupe, la nouvelle, annoncée peu avant Baselworld, a pris toute la communauté horlogère suisse par surprise: le groupe japonais Citizen venait de racheter Manufacture La Joux-Perret! Ou plus exactement la holding Prothor qui, outre la manufacture de mouvements et modules La Joux-Perret, englobe aussi le fabricant de composants Prototec et la marque de haut de gamme Arnold & Son. La transaction avoisinerait les 65 millions de francs, pour un chiffre d’affaires total d’environ 40 millions de francs, réalisés avec 150 personnes.»
Une décennie plus tard, qu’en est-il de la manufacture La Joux-Perret? A en croire son nouveau CEO, Jean-Claude Eggen, entré en fonction en 2020 «en plein Covid», nous précise-t-il, la situation à son arrivée n’était pas florissante. « La manufacture était presque à l’arrêt, le carnet de commandes quasiment vide, ne représentant que trois à quatre mois de chiffre d’affaires… Que faire, nous sommes-nous demandés?»
Petit retour en arrière. Bien avant Citizen, en 2001, Frédéric Wenger associé à d’autres investisseurs avait racheté la manufacture de mouvements Jaquet SA, dont le propriétaire d’alors, Jean-Pierre Jaquet, qui était resté opérationnel dans la nouvelle société, a connu «de gros déboires judiciaires personnels dès 2003». Les nouveaux investisseurs reprirent alors tout en main, développèrent la société, déménagèrent dans de nouveaux locaux et connurent une croissance constante.
Mais en 2012, certains investisseurs veulent se retirer et La Joux-Perret cherche à s’associer à un groupe afin d’assurer la pérennité de l’entreprise.
Citizen fit la meilleure offre, laissant La Joux-Perret libre de livrer ses calibres à toutes marques désireuses. Après le rachat par Citizen, Frédéric Wenger resta aux commandes de l’entreprise. A l’époque, en 2012 donc, il nous affirmait produire quelque «50’000 mouvements et modules par an, qui vont de transformations relativement simples sur base de 2892, 7750 ou compatibles aux constructions bien plus complexes comme un chronographe intégré à rattrapante». L’entreprise produit aussi un calibre extra-plat et deux gammes de tourbillon «aux finitions superlativement traditionnelles».
Mais en 2020, quand arrive aux commandes Jean-Claude Eggen (18 ans en horlogerie, dont 12 chez Swatch Group à Bangkok, en France et en Suisse), la situation s’est fortement détériorée et la manufacture n’est plus que l’ombre d’elle-même. Les effectifs ont fondu et sont tombés à 90 personnes. «Il y avait le tourbillon, quelques mouvements manufacture et un chronographe – en 15 versions – sur base Sellita ou ETA, qui connaissait des problèmes de SAV. »
Eggen décide de tout reprendre en main. Et vigoureusement. La sortie du Covid et le regain d’intérêt envers la montre mécanique de bonne facture vont l’y aider.
La réserve de marche, un argument-clé
Depuis 2012, le paysage du secteur suisse des mouvements a bien changé. Le retrait d’ETA est parachevé et de nouveaux acteurs, puissants, sont entrés en lice ou se sont sérieusement renforcés, parmi lesquels Sellita ou, plus récemment, Kenissi contrôlé par Tudor, Breitling et Chanel.
La première décision de Jean-Claude Eggen est de mettre l’accent sur son mouvement de base, le G100, un automatique 3 aiguilles date, compatible avec l’ETA 2824 et le SW200 de Sellita. L’essentiel de son effort et de sa stratégie va porter sur l’amélioration considérable de la réserve de marche car, à ses yeux, c’est là où se joue une part essentielle de la concurrence: avec le G100, il va la porter à un inédit 68 heures, à un prix à peu près comparable à celui de ses concurrents SW200 de Sellita et 2824 d’ETA.
- Mouvement G100 3 aiguilles, Automatique, Date, 4Hz, 68 heures de réserve de marche.
Il en propose différentes versions, depuis la version standard sans décoration, jusqu’à la version la plus soignée avec côtes de Genève, biseau diamanté, vis bleuies et masse décorée. Une offensive qui va lui permettre de gagner de nouvelles parts de marché.
Le calibre G200 que La Joux-Perret s’apprête à sortir va encore plus loin, offrant une réserve de marche de 70h et une précision record de +1 /- 3 seconde/jour. Son prix, dans les 350 francs suisses, le rapproche de celui des calibres de Kenissi.
- L100 Chrono, automatique, Date, 60 heures de réserve de marche
En ce qui concerne les chronographes, comme la ligne des L100 automatiques nouvellement développés en interne, ils sont aujourd’hui intégrés, à roue à colonnes et offrent une réserve de marche de 60 heures. Compatibles en dimensions avec les ETA 7750 et SW500A, ils existent aussi en différentes variantes, de la plus standard dépourvue de décoration à la version TOP avec côtes de Genève, biseau diamanté, vis et roue à colonnes bleues, pont barillet perlé et aciers traits tirés. Bi-compax, tri-compax, avec ou sans quantièmes, GMT voire version manuelle bi-rétrograde… l’offre est importante et compte une douzaine de versions différentes, sans compter les niveaux d’exécution.
«Nous ne faisons pas de politique»
Les équipes sont aujourd’hui remontées à un effectif de 130 personnes – et la manufacture cherche encore du personnel, de plus en plus difficile à trouver, ceci dit, en cette période d’embouteillage du secteur mécanique.
Jean-Claude Eggen l’affirme: «Aujourd’hui, nous fabriquons 20 fois plus qu’en 2019. J’ai un carnet de commandes plein jusqu’au milieu de 2024. Hier, j’ai déjà reçu une commande pour 2025. En avril-mai de cette année, nous avons fait 226% de plus que l’année précédente à la même époque.»
Sa clientèle? «Nous avons un grand avantage, c’est que nous nous adressons à toute l’horlogerie. Les grandes marques pour nos tourbillons manufacture, les PME du haut de gamme pour nos chronographes, les PME moyen de gamme pour nos mouvements standards, et, je tiens à le souligner, un grand groupe comme LVMH pour le quartz, et notamment TAG Heuer pour notre nouveau mouvement à énergie solaire, développé avec Citizen, qui équipe l’Aquaracer Professional 200 Solargraph. Un mouvement très intéressant.»
- D100 (ancien Peseux), manuel, 3 Hz, 50 heures de réserve de marche.
Et d’insister: «Par ailleurs, nous ne faisons pas de politique: à même niveau de qualité, le prix est le même pour tous.»
Les compétences de la manufacture couvrent l’essentiel de la production: ébauches des ponts et platines, étampage, décolletage, taillage, finitions, sablages, polissage, décoration, y compris anglage main, pré-montage, graissage, montage… Mais aussi le département qui s’occupe du développement des mouvements mécaniques et quartz, des protos, des contrôles et du laboratoire. Sans oublier une équipe de design interne qui développe les modèles d’Arnold & Son et Angelus (qui, par ailleurs, connaissent elles aussi une importante croissance).
Encore en phase d’investissement, tant en CNC que dans le polissage, voire dans l’organisation, dans la stabilisation des processus, La Joux-Perret met en avant non seulement son excellent rapport qualité-prix mais aussi sa fiabilité, sa beauté d’exécution et sa souplesse créative.
- Tourbillon Manufacture La Joux-Perret propose différentes versions de son Tourbillon Manufacture: volant, squelette, haute horlogerie. Ces mouvements sont disponibles soit en l’état, soit en version squeletée ou encore entièrement personnalisés, tant par les finitions que par les matériaux utilisés.
Témoignage récent de cette nouvelle ambition: la collaboration avec l’entreprise française Humbert-Droz à qui La Joux-Perret livre tous les composants du mouvement G100 qui est ensuite intégralement monté et assemblé, y compris le collage du spiral, en France, à destination prioritaire du marché français et de ses nombreuses marques émergentes, dont la déjà renommée March Lab. Une offensive remarquée.