n matière de bracelets, les dernières décennies ont été dominées par la Sainte Trinité que constituent le cuir, l’acier et le caoutchouc. Ce dernier étant parfois remplacé par le satin, évocateur de robes et de chaussons de danse, lorsqu’il s’agit d’accentuer le registre féminin d’une pièce. Rares sont les maisons qui ont fait preuve d’intérêt envers cette partie anatomique de la montre, quand le visage (le cadran) et le cœur (le mouvement) concentrent toute l’attention.
Aussi c’est avec un réel intérêt que l’on a découvert la version XS de la J12, habilement dévoilée par Chanel sous forme d’un set de pièces uniques jouant de l’attache souple ou rigide. Ici, la mini-montre se greffe sur une manchette précieuse, là sur un poignet de force façon gladiateur, une bague, et même une mitaine en cuir au fort accent Lagerfeldesque. Ces propositions réalisées avec les artisans de Paraffection, l’entité métiers d’art de Chanel, créent une habile collusion entre le territoire haute couture de la Maison et l’horlogerie du point de vue diachronique.
Quand le bracelet n’était pas au poignet
Comment en effet ne pas penser à ces exquis objets horlogers qui, avant que l’armlet n’épouse le poignet de la très célibataire Elisabeth I d’Angleterre, se portaient au doigt et partout où bon semblait. A partir du Consulat et de l’Empire, la mode raccourcit les manches et la montre orne le bras dénudé. C’est l’avènement des bracelets joailliers, de l’utilisation du tissu, reps ou soie moirée, tandis qu’Abraham Louis Breguet imagine en 1810 pour la Reine de Naples une montre à répétition montée sur un bracelet en cheveux entrelacés de fils d’or. Bientôt, le bracelet joue de la maille (extensible) ou de l’émail. Il arbore l’entrelacs façon serpent. Vers 1950, sa version «marquise» abolit de la plus jolie des façons la frontière entre montre objet et bijou. Avec la production de masse, le garde-temps devient fonctionnel et le bracelet créatif devient une exception réservée aux joailliers.
L’évolution que nous connaissons aujourd’hui dénue la montre de sa fonctionnalité première, mais lui en confère une nouvelle et non des moindres: exprimer un statut, une personnalité, une singularité. De jeunes marques l’ont bien compris, qui ont fait d’un simple bracelet tricolore en textile le palliatif – à moindre frais – d’un marché moribond. Il a donné le signal d’une décontraction certaine. Désormais le bracelet «s’éclate» pour mieux séduire une jeune clientèle. Le motif floral, tropical, végétal abonde (Laruze), l’imprimé Wax ou cachemire fructifie (Charlie Watch, Louis Pion), l’art s’invite à la fête (Komono x Magritte). Et la flanelle – plébiscitée par les stylistes mode pour la collection automne-hiver 2016/17 – joue déjà des coudes pour se faire une place aux côtés du bracelet nylon ou coton.
De Fossil à Poiray
Le bracelet a enfin droit à sa part de storytelling. Il en est ainsi de la collaboration entre Fossil et Me to We, jeune entreprise de produits socialement responsables. Elle a donné naissance à des bracelets fabriqués «à la main avec amour par des artisanes ou «Mamas» du Kenya qui utilisent des formes d’art transmises de mère en fille depuis des générations», selon la communication de la marque.
Même sublime et créateur de désirabilité, le bracelet ne peut pour autant venir seul au chevet d’une marque. On se souvient de l’émotion suscitée lors du dernier SIHH par Les Exceptionnelles, des bracelets conçus comme autant d’extension de la personnalité de trois femmes d’aujourd’hui dont ils accompagnaient les gestes de leurs longues franges. Ces variations sur le thème de la collection Promesse sont-elles vouées à rester lettre morte? Il n’a malheureusement pas été possible d’en savoir plus auprès de Baume & Mercier.
Chez Poiray à contrario, le bracelet s’inscrit dans une vraie stratégie. L’exercice est sans cesse renouvelé, bracelet acier et gouttes de laque ou ruban brodé et pompons façon cordon brésilien. Mieux, le carré de soie à nouer «comme on veut» au poignet se positionne en osmose avec une contreculture dans laquelle l’attitude remplace le style. La marque parisienne inspire sans imposer de diktat, tout en créant de l’espace pour l’expression personnelle. Le système de boucles de Ma Première, explique Manuel Mallen, co-directeur général de la Maison, permet de prendre la cravate de son amoureux ou un morceau de sa robe de mariée pour se confectionner un bracelet chargé de sens.
Une question demeure. Assimilée à un accessoire de mode, la montre pour femmes ne perd-elle pas de son âme et de l’intemporalité qui signe l’objet horloger? Pour éviter cet écueil, il serait souhaitable qu’une manufacture de Haute Horlogerie s’empare de cet espace pour y exercer son savoir-faire. Chez Vacheron Constantin, il nous a été répondu que, eu égard à la créativité de la Maison, on peut tout à fait imaginer que les métiers d’art puissent être déclinés sur le bracelet (des modèles féminins), comme ils l’ont été sur le cadran puis sur le boîtier. Affaire à suivre. Car la boucle est loin d’être bouclée.
* Merci à Dominique Fléchon, expert auprès de la Fondation de la Haute Horlogerie, pour son aimable contribution à la partie historique de cet article.
Chanel: quand le bracelet sublime la montre
D’ordinaire, le bracelet est considéré comme un «accessoire», simple prolongement de la montre. Avec sa nouvelle J12 XS, Chanel renverse la proposition. Ce qu’on remarque tout d’abord, c’est le bracelet ou, plus exactement, la manchette ou le bracelet de force sur lequel elle se présente. En elle-même, la J12 XS est, comme son nom l’indique, excessivement petite: 19 mm. Mais montée sur son bracelet de force ou sur sa manchette simple ou découpée en lanières, elle devient excessivement forte. A la fois excessivement féminine, et excessivement sportive. Comme le lui fait joliment dire Chanel, «je ne donne pas l’heure, je l’offre à ceux qui m’assument du regard». (PM)