orsque Xavier Castelli, le père de Louis, reçoit pour son soixante-dixième anniversaire un écrin rotatif SwissKubik, l’objet retient immédiatement son attention. Séduit par le petit cube suisse, il s’intéresse à la marque et en parle à son fils pour savoir si une reprise pourrait l’intéresser. C’est lui qui initie l’idée et qui joue le rôle moteur dans le projet.
À cette période, rien ne prédestine son fils Louis à l’horlogerie: ce Parisien, formé dans de grandes entreprises, passé par L’Oréal, les États-Unis puis ENI, travaille alors dans les secteurs du gaz et de l’électricité.
Ensemble, père et fils commencent à examiner l’opportunité. Quelques semaines plus tard, un dossier portant le nom SwissKubik parvient entre leurs mains. La marque, fondée à Rivaz en 2007 par Philippe Subilia, jouit déjà d’une excellente réputation auprès des collectionneurs et de plusieurs maisons horlogères, mais cherche à se redynamiser.
Xavier et Louis Castelli rencontrent Philippe Subilia en février 2017. L’entrevue fait office de déclencheur. Quelques mois plus tard, et après un travail mené en binôme père fils, Louis déménage avec sa famille à Genève pour concrétiser l’opération.
Son initiation à l’horlogerie se fait à travers la fonction même du remontoir. Car SwissKubik n’est pas un acteur parmi d’autres: la marque est l’une des plus respectées du marché pour la sobriété de son design, sa rigueur mécanique et son autonomie exceptionnelle. Elle a popularisé l’idée du «cube», une forme immédiatement reconnaissable, légère, compacte, et suffisamment minimaliste pour se fondre dans n’importe quel intérieur. Le moteur SwissKubik, réputé silencieux et extrêmement peu magnétique, a toujours fait partie des références du secteur.
Cette première acquisition ne restera pourtant pas seule. La même année, un banquier présente à Xavier et Louis Castelli un second dossier, encore plus emblématique: Scatola del Tempo. Fondée en 1987 en Italie par l’entrepreneur Sandro Colarietti, la maison est considérée comme l’inventeur même du watch winder.
Les premiers remontoirs offerts par Patek Philippe à leurs clients sortaient de ses ateliers. Pendant des décennies, Scatola del Tempo incarne le luxe artisanal du secteur: cuirs précieux, soie, Alcantara, bois rares, finitions manuelles, pièces réalisées comme des objets de maroquinerie plutôt que comme des accessoires techniques. Elle occupe une place singulière, presque mythologique, dans la culture horlogère italienne, russe et américaine. La marque dirigée par Cristiana Colarieti, fille de Sandro Colarieti, rejoint le portefeuille de la famille Castelli en décembre 2017. Elix Group, leur holding familiale, prend alors la forme d’un petit conglomérat du luxe, cohérent, agile et ambitieux.
Le travail, ensuite, est considérable. Lorsque Louis Castelli reprend SwissKubik, la marque produit environ 15’000 pièces par an. Il faut nettoyer la distribution, restructurer les gammes, clarifier l’identité, rétablir le lien avec les marques horlogères qui utilisaient autrefois ses produits pour leurs coffrets spéciaux: Piaget, Audemars Piguet, Vacheron Constantin, Rolex ou encore certaines maisons indépendantes.
SwissKubik retrouve son positionnement naturel: un produit suisse, technique, compact, doté d’un moteur optimisé et extrêmement fiable, fabriqué en Suisse avec un cahier des charges proche de celui des composants horlogers eux-mêmes. Sous l’impulsion d’Elix Group, les volumes montent à 25’000 unités annuelles. Le retour sur les marchés se fait pays par pays: Suisse et France d’abord, puis Benelux, États-Unis, Italie.
Scatola del Tempo suit une trajectoire différente. Plus statutaire, plus luxueuse, presque plus sentimentale, elle conserve un lien profond avec les matériaux nobles, les artisans de cuir, les ateliers de soierie hérités de la famille Colarietti, les ébénistes capables de produire une valise comme un objet d’art. Là où SwissKubik affirme le minimalisme fonctionnel suisse, Scatola del Tempo revendique la sensualité italienne. Là où l’un optimise l’autonomie, l’autre sublime la matière. Certains modèles Scatola del Tempo se vendent plusieurs milliers de francs, souvent en sur-mesure. La marque a une place à part dans l’imaginaire des collectionneurs; elle évoque presque un âge d’or de la culture horlogère.
Pour Louis Castelli, l’acquisition simultanée des deux maisons ouvre un champ d’innovation inattendu. Le moteur SwissKubik, longtemps confié à Portescap, est entièrement redéveloppé au Tessin. Plus silencieux, moins magnétique, plus autonome - passant de trois à cinq ans - il est conçu exclusivement pour Elix Group par Faulhaber. L’électronique est confiée à Gigatec, avec un contrôle minutieux des vibrations, du bruit, du couple, des variations de vitesse. Les Masterbox intègrent une connexion Bluetooth, permettant de régler cycles et rotations via une application dédiée. L’ensemble reste fidèle à l’esprit SwissKubik: un objet petit, robuste, précis, minimaliste, irréprochable.
Scatola del Tempo se concentre, elle, sur ce qu’elle fait mieux que tout le monde le bespoke, les matériaux nobles, les pièces très haut de gamme, les collaborations artistiques. Là où SwissKubik explore les matériaux techniques - aluminium, ABS aéronautique, carbone - Scatola del Tempo travaille le cuir, la soie, l’exotique, le bois, les finitions à la main, parfois pour une seule pièce. Les deux maisons ne se concurrencent pas ; elles se complètent comme deux facettes d’une même vision. Cette vision ne se limite pas au produit. Louis Castelli insiste sur un élément fondamental: la pédagogie.
Selon ses études internes, seuls 2% des propriétaires de montres comprennent réellement l’utilité d’un remontoir. La majorité ignore même le terme “watch winder”. Le défi n’est donc pas d’augmenter la demande, mais de l’éveiller. Expliquer le fonctionnement d’un mouvement automatique, montrer ce qui se passe dans la boîte de montre, décrire l’impact de l’arrêt prolongé sur les complications: voilà le préalable à toute vente. Elix Group mise sur le digital, sur les visites d’ateliers, sur des influenceurs crédibles capables de transmettre la passion plutôt que de se limiter à l’esthétique.
Le marché, lui, est saturé de copies à bas coût, venues de plateformes généralistes comme Temu, Amazon ou Alibaba. Louis Castelli refuse catégoriquement d’y apparaître: un produit de luxe ne peut être omniprésent. Il doit être choisi, compris, désiré. L’accessoire ne doit jamais dévaluer la montre.
Dans un contexte économique plus difficile, le groupe avance avec patience. Il a renforcé ses équipes, intégré Atelier Alphega à Mulhouse pour maîtriser le bois, envisage une montée en gamme, développe un projet d’écrin à remontage manuel, réfléchit à intégrer des capteurs biomécaniques capables d’analyser l’amplitude d’un mouvement comme le ferait un stéthoscope horloger. Les marques horlogères manifestent un intérêt croissant pour des applications en marque blanche, qui permettraient de réunir dans une même interface la collection du client, les recommandations officielles des manufactures, et des données utiles sur le cycle de vie des montres.
L’histoire, finalement, dépasse la simple fabrication d’écrins. Elle renoue avec l’origine même d’Elix Group: une entreprise familiale née dans la machine-outil, où la précision mécanique et la durée étaient des valeurs fondatrices. Scatola del Tempo, de son côté, incarne les racines italiennes de la famille Castelli. Les deux marques fusionnent aujourd’hui dans une ambition unique: moderniser un accessoire souvent mal compris, le sortir de son rôle purement utilitaire, le faire entrer dans la sphère du design, de la décoration, de la maroquinerie et du luxe technologique.
Car l’enjeu n’est pas de convaincre n’importe qui; l’enjeu est d’être présent au moment exact où le passionné en aura besoin. On n’achète pas un remontoir par hasard. On l’achète lorsqu’on comprend la mécanique qu’il protège. Lorsque la montre devient un compagnon. Lorsque l’objet devient naturellement indispensable.
C’est là que SwissKubik et Scatola del Tempo s’imposent. Dans ce moment précis où la passion horlogère devient un art de vivre. Et c’est là, aussi, que s’inscrit Louis Castelli: dans cette nouvelle génération d’entrepreneurs qui considèrent que l’accessoire doit être aussi noble, aussi précis et aussi intemporel que la montre qu’il accueille.


