our cet acteur historique fondé en 1885, longtemps associé à la maîtrise des métaux précieux, ce changement de nom représente bien davantage qu’un simple rebranding: c’est la partie émergée d’une consolidation en profondeur, réunissant sous un même toit culturel et organisationnel des savoir-faire dispersés dans plusieurs entités, de Bienne à La Chaux-de-Fonds en passant par Boudry et Saignelégier.
À la tête du groupe depuis octobre 2022, Philipp von Büren conduit ce repositionnement d’ensemble. Formé à la finance, passé par Maurice Lacroix, DKSH ou encore l’industrie médicale, il entend faire de CMSA un sous-traitant suisse à la fois plus verticalisé, plus agile et plus lisible pour ses clients – tout en préservant l’esprit entrepreneurial et la richesse technologique accumulée depuis 140 ans. Rencontre.
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- Philipp von Büren, CEO de CMSA
Europa Star: Le changement de nom en CMSA marque une nouvelle phase pour le groupe. Que symbolise-t-il réellement?
Philipp von Büren: Ce changement n’est que la partie visible d’une transformation beaucoup plus profonde. Nous consolidons l’ensemble de nos compétences à travers toutes les sociétés du groupe afin d’offrir des solutions véritablement verticalisées. Jusqu’ici, chaque entité fonctionnait de manière assez indépendante. Désormais, un client qui travaille avec Boudry ou Saignelégier doit retrouver exactement les mêmes standards, la même organisation, les mêmes certifications, le même système SAP, la même gestion du cyberrisque. Le but est qu’un audit réalisé pour une entité vaille pour toutes. Cette cohérence était devenue indispensable face à des clients beaucoup plus grands et plus exigeants, qui veulent travailler avec un interlocuteur unique.
Comment articulez-vous verticalisation accrue et maintien d’une culture entrepreneuriale?
Beaucoup de grandes marques se polarisent aujourd’hui entre artisans très pointus et grands groupes. Nous voulons garder les deux: la stabilité et la durabilité d’un groupe industriel certifié et structuré, mais aussi l’agilité et l’innovation des petites équipes. Nous avons des unités très réduites et nous tenons à préserver cet esprit. L’horlogerie vit un passage entre artisanal et industriel: les volumes baissent, mais les exigences qualitatives augmentent. Il faut être capable d’être extrêmement spécialisé – sinon il est impossible d’atteindre les tolérances attendues – tout en ayant des bases suffisamment larges pour amortir des outils de production coûteux.
Cendres+Métaux est un groupe historique. Comment résumer son évolution depuis 1885?
Tout commence par le travail du métal et le recyclage des métaux précieux. Cela nous a amenés à l’affinage (que nous n’effectuons plus aujourd’hui), aux alliages horlogers et joailliers, puis au dentaire. Plus tard, l’expertise acquise dans le dentaire nous a permis d’entrer dans les medtechs, notamment grâce à des collaborations avec des grandes sociétés dentaires en Suisse et en Europe. Aujourd’hui, nous couvrons un éventail large: alliages, barres semi-finies, masses oscillantes, pièces d’habillage, décolletage, boîtiers, boucles et fermoirs, traitement de surface, gravure laser, et même des composants implantés dans les vaisseaux sanguins du cerveau. Cette transversalité fait partie de notre ADN.
Le groupe a connu de nombreuses acquisitions. Quelle est votre logique?
Nous ne faisons pas de M&A agressif. Les acquisitions sont généralement des opportunités liées à des successions ou à des complémentarités techniques. L’intégration de Queloz en 2018, par exemple, nous a permis de renforcer nos capacités dans l’habillage. Cronal en 2020 a été déterminant pour développer la gravure laser. Cornu en 2022 a consolidé les boucles, fermoirs et boîtes. Nous avons repris des actifs, des équipes, des savoir-faire uniques, parfois dans une démarche presque patrimoniale pour éviter qu’ils ne disparaissent. Notre actionnariat est très large – 330 actionnaires, aucun hégémonique – ce qui nous donne une grande stabilité et indépendance, mais aussi une responsabilité: nous devons intégrer uniquement ce qui a du sens industriel.
Vous rapatriez aussi plusieurs activités à La Chaux-de-Fonds…
L’idée est de regrouper sous un même toit trois sites à La Chaux-de-Fonds. Ce sera pour 2028. Ce regroupement est le symbole d’une consolidation interne: montrer aux collaborateurs qu’ils font partie du même groupe, et rendre notre offre plus lisible pour les clients. Aujourd’hui, il arrive régulièrement qu’un client existant découvre que nous réalisons des technologies dont il ignorait l’existence. Le regroupement répond aussi à un manque de place et d’efficacité de production: nous sommes près de 300 à Bienne, 110 à La Chaux-de-Fonds, 140 à Boudry, 60 à Saignelégier.
Les sous-traitants doivent faire face à une pression croissante sur les coûts, venant notamment de l’étranger. Comment y répondez-vous?
Le franc fort est un défi, sans doute le plus important depuis des années. Nos concurrents allemands ou français ont un avantage. Mais la Suisse demeure extrêmement attractive: savoir-faire et l’innovation, sécurité d’approvisionnement, maîtrise des procédés, qualité, proximité, taux d’intérêt bas, et un mouvement général de near-shoring. Nous restons une entreprise avec un ADN familial et nous voulons le maintenir. Cela dit, nous devons réfléchir à la manière de diminuer certains risques – par exemple dans la zone euro ou aux États-Unis – tout en conservant l’essentiel de nos activités ici. L’automatisation augmente, mais elle ne remplace pas encore la main humaine sur les petites séries.
L’innovation matériaux a toujours fait partie de votre force. Quels sont vos axes actuels?
L’un de nos grands axes, ce sont les alliages: ce que nous pouvons développer, améliorer, ou rendre plus facile à mettre en forme. Souvent, derrière les nouveaux alliages médiatiques, il y a beaucoup de marketing. Nous, nous cherchons la fonction et la performance. Nous disposons d’un laboratoire métallurgique très pointu et nous avons plus d’une centaine d’alliages actifs, notamment en platine où nous sommes très reconnus. Par ailleurs, nous avons des projets micro-CNC, de l’autocorrection machine et de nouveaux procédés de contrôle qualité intégrant l’IA. Et nous continuons à investir dans le traitement de surface, la galvano et la gravure laser, qui sont des métiers de précision extrêmes.
Quelles sont aujourd’hui vos parts entre horlogerie, medtech et industrie ?
L’horlogerie représente environ 60%, le medtech 25%, le reste l’industrie. Nous avons aussi nos propres produits dentaires, qui constituent environ 7%. Pour l’horlogerie, nous travaillons principalement avec de marques suisses, petits indépendants comme groupes majeurs. Environ 50% des volumes sont en métaux précieux. Ce segment est plus résilient, même si les volumes sont plus faibles.
Vous évoquez souvent la «valeur ajoutée» comme élément central de votre stratégie. Comment la définissez-vous ?
La valeur ajoutée, c’est ce que nos clients ne trouvent pas ailleurs au même niveau: des tolérances impossibles, la capacité de transformer des matériaux complexes en pièces finies, la maîtrise totale du cycle des métaux précieux, la combinaison unique alliage–usinage–traitement de surface. Nous vendons des solutions complètes, parfois des offres 360°, bien au-delà d’un simple composant.
Le marché horloger est confronté à un ralentissement. Comment l’anticipez-vous?
Les quantités baissent, les prix des montres montent, la montée en gamme s’accélère. Cela peut convenir à la marque, mais pour le sous-traitant qui a besoin de quantité, c’est difficile: nous devons continuer à investir dans des machines, dans la formation, dans l’innovation. Heureusement, de nombreuses marques soutiennent leur écosystème, qui stratégiquement ne veulent pas verticaliser plus de 50%. Cela nous laisse de la place, mais aujourd’hui le marché reste tendu avec parfois 30 à 40% de surcapacité chez certains métiers.
Après 140 ans d’histoire, comment voyez-vous les prochaines années de CMSA?
Nous sortons d’une phase très diversifiée. Aujourd’hui, nous recentrons clairement le groupe sur ses métiers fondamentaux: les matériaux, les alliages, la mise en forme, l’habillage, le décolletage et le traitement de surface. Nous intégrons intelligemment des savoir-faire complémentaires, mais sans jamais devenir un patchwork. Notre but n’est pas la taille pour la taille: c’est la stabilité, la transmission industrielle et la pérennité des métiers. La Suisse reste notre ancrage. Et si nous devons croître à l’étranger, ce sera dans des domaines que nous maîtrisons déjà et pour la diversification et stabilité. En 2023, nous avons un peu trop investi pour une demande artificielle, aujourd’hui nous stabilisons. Mais la trajectoire est claire: être un groupe solide, transparent, indépendant, capable d’offrir à la fois expertise profonde et largeur de solutions.


