Sous-traitance horlogère


LA «GUERRE FROIDE» DES MOUVEMENTS

SUIVIE DE « QUI FAIT QUOI? QUI PENSE QUOI? »



LA «GUERRE FROIDE» DES MOUVEMENTS

Toute crise agit comme révélateur et précipite ou cristallise, dans le sens chimique du terme, une situation jusqu’alors en germe. C’est particulièrement vrai dans le secteur-clé des mouvements mécaniques. La crise horlogère actuelle – une crise systémique, pensons-nous, et non pas seulement conjoncturelle – révèle au plein jour une grave problématique: l’actuelle surcapacité de production dans le secteur des mouvements. Comment en est-on arrivé là et qui sont les principaux acteurs de cette scène? Quelles évolutions attendre? Europa Star a enquêté.

« Qui fait quoi? Qui pense quoi? »

ETA: D’INCONTOURNABLES STANDARDS

ETA doit son nom à… Eterna. ETA est en effet issue de la première véritable fabrique d’ébauches créée en 1856, devenue en 1906 l’Eterna Werke, Gebrüder Schild & Co, une entreprise qui vendait montres sous le nom d’Eterna et mouvements sous le nom d’Eta. En 1924, l’entreprise se dédouble juridiquement en Eterna SA et Eta SA qui devient une filiale d’Ebauches SA où elle va rapidement jouer un rôle central. Dès 1978, toutes les différentes filiales d’Ebauches SA se regroupent sous un même nom qui deviendra ETA SA en 1985, suite à la constitution dès 1983 par Nicolas Hayek du groupe SMH, première dénomination de ce qui deviendra l’hégémonique Swatch Group. Dans un contexte où plus personne ne croyait encore au futur de la montre mécanique, ETA, sans pour autant négliger le quartz bien au contraire, a poursuivi une forte politique de recherche et développement, d’industrialisation et d’automatisation qui l’on conduit à occuper une place très largement dominante dans le secteur.

LA «GUERRE FROIDE» DES MOUVEMENTS

La firme ne donne aucun chiffre, mais on peut estimer sa production annuelle de mouvements mécaniques à 5 à 6 millions d’unités. L’entreprise sœur Nivarox-FAR, productrice des fameux spiraux, jouit quant à elle d’une position quasi-monopolistique. C’est seulement au cours de ces dernières années que certains concurrents ont commencé à poindre leur nez, mais sans pouvoir véritablement rivaliser ni en quantité ni en constance d’approvisionnement.

Les principaux calibres-stars proposés par ETA, produits en dizaines voire en centaines de milliers d’unités depuis de nombreuses années, sont considérés comme autant de standards incontournables : précis, fiables, éprouvés, réparables dans le monde entier par des dizaines de milliers d’horlogers qui les connaissent souvent par cœur, ils offrent un rapport/qualité prix quasiment imbattable. Ils ont ainsi accompagné, voire été essentiels à l’essor de l’horlogerie mécanique helvétique – et d’ailleurs -.

Le plus répandu des calibres ETA est le fameux 2824-2, un mouvement dit « de base », automatique avec heure, minutes, seconde au centre de la ligne Mecaline. Il bat, plus ou moins modifié, décoré, «customisé», dans un nombre incalculable de montres de toutes marques.

Autre «star» qui a contribué à l’essor des montres chronographe, le Valjoux 7750 qui, avec ses 240 composants (soit 10% de moins que son concurrent d’alors le El Primero de Zenith) a permis la «démocratisation» du chronographe. Modifiable, ce «tracteur» aussi fourni une base pour composer des chronographes de haut de gamme, avec roue à colonnes.


RONDA: LES AMBITIONS DU MECANO

Entretien avec Erich Mosset, CEO Ronda Group

Fondée en 1946 par William Mosset, père de l’actuel CEO Erich Mosset, Ronda s’est originellement consacrée à la fabrication de composants d’échange pour calibres mécaniques, puis dès 1952 a produit sous licence des calibres pour le motoriste PRAC (disparu depuis) avant de recevoir l’autorisation, alors indispensable, de produire ses propres calibres mécaniques dès 1961 (d’abord mouvements Roskopf puis à ancre suisse). En 1974, Ronda sort un des tout premiers mouvements à quartz suisse puis abandonne progressivement le mouvement mécanique pour se consacrer uniquement au mouvement à quartz dont il devient progressivement le plus important fabricant suisse indépendant, reconnu pour la qualité de ses produits.

LA «GUERRE FROIDE» DES MOUVEMENTS
Mecano R150

Aujourd’hui, le groupe Ronda, installé en Suisse et en Thaïlande, et fort de 1’800 personnes (dont 700 en Suisse), produit 20 millions de mouvements quartz par an, répartis entre mouvements Swiss made et mouvements Swiss parts produits en Thaïlande (Ronda ne divulgue pas la part respective de ces deux productions).

A Baselworld 2016, Ronda a fait sensation en annonçant vouloir attaquer le segment mécanique avec la sortie d’un nouveau mouvement de base, le Mecano R150. Une annonce qui intervient précisément au moment où le marché semble saturé. Mauvais timing?

Erich Mosset:

LA «GUERRE FROIDE» DES MOUVEMENTS
Erich Mosset
«Oui, le moment est difficile, inutile de le nier, mais notre stratégie, définie dès 2011, est de long terme et ne peut donc pas être liée à une situation exceptionnelle, qu’elle le soit positivement, comme au moment de la grosse bulle chinoise, ou négativement comme aujourd’hui. Nous sommes très sereins par rapport à la situation actuelle car toute notre stratégie et nos plans sont basés sur un marché normal, un marché «moyen», ce qu’il redeviendra automatiquement tôt ou tard.

Nous sommes sereins également parce que nous vivons, et vivons bien, depuis plus de 30 ans sur le quartz, que nous détenons une position unique dans ce secteur qui nous a permis d’investir en fonds propres 25 millions de CHF dans le développement du projet Mecano. Nous n’en attendons pas de retour sur investissement rapide et sommes libres de développer notre offre mécanique à notre rythme. Pour nous, c’est un marché additionnel.

Nous ne dépendons par ailleurs de personne, en rien du Swatch Group, et produisons nous-mêmes l’essentiel des composants du Mecano, y compris certains éléments des assortiments, mais à l’exception du spiral. L’écrasante majorité de ces composants, nous les produisons en Suisse, une part minime en Thaïlande, et assemblons nos mouvements en Suisse. Mecano est uniquement proposé en Swiss made et la nouvelle loi Swissness qui entre en force en 2017 nous convient parfaitement.

Notre totale indépendance nous permet d’être à l’écoute et au service exclusif de nos clients, en leur garantissant une continuité et une sécurité d’approvisionnement. C’est de ces clients, suisses et étrangers, pour la plupart indépendants, qu’est venue l’impulsion pour que nous nous relancions dans la mécanique. Au plus fort de la bulle chinoise, ils nous avaient dit être prêts à acheter des équivalents au 2824 d’ETA (un calibre 11 ½’’’, automatique, trois aiguilles et quantième) pour 100.- CHF. Mais notre stratégie ne pouvait pas, comme je l’ai dit, se baser sur une situation exceptionnelle dont on pouvait déjà anticiper le reflux. Nous voulions d’emblée parvenir à un prix qui soit tout à fait compétitif.

Notre Mecano Calibre R150 est un 11 ½’’’ automatique sur roulements à billes, à trois aiguilles et quantième, que nous proposons à un prix légèrement supérieur à 60.- CHF (pour des commandes de quelques milliers d’exemplaires). Sa construction, conçue dès le départ en vue de son industrialisation, est entièrement originale. Il n’est donc en rien un clone d’ETA mais est ETA-compatible en termes d’emboîtage. Nos objectifs à moyen terme avec ce mouvement sont de parvenir à une production de plusieurs centaines de milliers de calibres d’ici à quelques années. Mais, dans l’immédiat notre premier objectif est d’ordre qualitatif. Nous l’avons testé à de très nombreuses reprises, il est fiable, robuste, bien terminé. Nous sommes prêts et sa livraison va démarrer début 2017.

Le Ronda Mecano – Cal. R150 marque notre entrée sur le marché mécanique. Il était logique de commencer avec un trois aiguilles automatique. Nous avons bien sûr nos idées quant à son développement, avec des modules mais aussi avec des constructions spécifiques, mais nous n’avons pas l’intention de nous précipiter. Je le répète, nous sommes avant tout à l’écoute de nos clients, avec lesquels nous entretenons de très forts liens. Je suis personnellement très confiant quant au futur de la montre mécanique. C’est une «vraie montre», un produit émotionnel, qui fascine et continuera de fasciner et ce pas seulement dans le haut de gamme et dans le luxe. Nous nous positionnons dans le moyen de gamme, au-dessus de 1’000.- CHF. D’ailleurs vous constaterez qu’au-dessus de 1’500.- CHF à 2’000.- CHF, il n’y a pas grand chose dans l’offre de montres pour hommes qui ne soit pas mécanique.»