Sous-traitance horlogère


LA «GUERRE FROIDE» DES MOUVEMENTS

SUIVIE DE « QUI FAIT QUOI? QUI PENSE QUOI? »



LA «GUERRE FROIDE» DES MOUVEMENTS

Toute crise agit comme révélateur et précipite ou cristallise, dans le sens chimique du terme, une situation jusqu’alors en germe. C’est particulièrement vrai dans le secteur-clé des mouvements mécaniques. La crise horlogère actuelle – une crise systémique, pensons-nous, et non pas seulement conjoncturelle – révèle au plein jour une grave problématique: l’actuelle surcapacité de production dans le secteur des mouvements. Comment en est-on arrivé là et qui sont les principaux acteurs de cette scène? Quelles évolutions attendre? Europa Star a enquêté.

« Qui fait quoi? Qui pense quoi? »

VAUCHER MANUFACTURE, REPLI SUR LE HAUT DE GAMME

Entretien avec Jean-Daniel Dubois, directeur, Vaucher Manufacture

L’industrialisation était à nouveau devenue le Graal. Dès 1996, Pierre Landolt, à la tête de la Fondation de Famille Sandoz, avait dessiné les contours de l’ensemble industriel autonome qu’il entendait construire. Et qu’il a construit. Autour de la marque Parmigiani Fleurier, un réseau de production industrielle complet maîtrise aujourd’hui toute la verticalité de la production. Jusqu’aux cuirs que lui gage Hermès, qui y produit ses propres mouvements en étant adossée à 25% à Vaucher Manufacture.

Jean-Daniel Dubois:

«Notre force reste que nous pouvons concevoir 98% des composants dans les différents pôles de notre groupe, pour des marques très créatives qui peuvent ainsi se concentrer sur la commercialisation des montres. Mais aujourd’hui, nous faisons face à un problème systémique: nos capacités de production sont supérieures aux capacité d’absorption du marché.

LA «GUERRE FROIDE» DES MOUVEMENTS
En proposant cinq calibres principaux, dans des prix démarrant à 800 francs, nous jouons dans un autre registre que les autres fabricants de calibres. Nous proposons des quantités plus faibles, de l’exclusivité. La difficulté est de faire comprendre aux clients pourquoi nos mouvements trois aiguilles coûtent quatre fois plus cher que ceux de nos concurrents. Mais c’est comme avoir le choix entre rouler en Rolls Royce ou en Fiat. Nous ne pourrons jamais rivaliser en termes de quantités et de prix avec ETA ou maintenant Ronda. Souplesse, personnalisation, sur-mesure, petites séries, nous devons aller encore plus sur des mouvements d’exception, de l’extra-plat, des tourbillons...

Nous avons produit 20’000 mouvements en 2015 et environ 12’000 mouvements en 2016. Nous revenons au plus haut de gamme, dont le cœur se situe à 1’000-1’500 francs, et visons à être dans les chiffres noirs d’ici 2019.

C’est la vente qui est le point le plus critique aujourd’hui. Parvenir à se «libérer» de la part industrielle! Or, il y a beaucoup trop d’offre de mouvements sur le marché, c’est en train de devenir un vrai problème. Ronda correspond à l’entrée de gamme de Sellita et ETA, et ont un ADN fort dans le mouvement. Nous ne visons pas les mêmes volumes, nous sommes peut-être complémentaires dans l’originalité de nos démarches, en amont et en aval d’ETA. Nous devons à tout prix nous démarquer. Nous devrons adapter nos structures à un marché de niche, sans concurrence de prix... Toute l’Asie arrive avec du Swiss made à 60%! Attention au nivellement par le bas, on a vu ce qui s’est passé dans le quartz avec des mouvements qui coûtent aujourd’hui deux francs...

Un partenaire comme Richard Mille correspond bien à nos ambitions actuelles. Notre mission, c’est l’originalité. En ce qui concerne Parmigiani Fleurier, un projet comme le Senfine arrive d’ailleurs au bon moment pour le proclamer.»


ETERNA MOVEMENT, DANS LE MILIEU DE GAMME

Entretien avec Samir Merdanovic, directeur, Eterna Movement Company (EMC)

Après 155 ans de profond ancrage helvétique, Eterna est passée en 2011 aux mains du puissant groupe chinois China Haidian (rebaptisé depuis Citychamp, c’est à la fois un fabricant, avec notamment les marques Ebhor et Rossini qui pèseraient plus de 40% du marché intérieur chinois, et un distributeur de première importance). Symboliquement, cette « prise » est importante car Eterna est un acteur historique dans le domaine des mouvements mécaniques. Depuis lors, une entité spécifique, Eterna Movements, a été créée afin de pouvoir livre à des tiers, bien que Citychamp absorbe environ 40% de la production pour des marques comme Eterna et Corum.

Samir Merdanovic:

«Nous ne nous comparons ni à ETA ni à Sellita. En terme de gamme, il faudrait nous placer entre ETA et Vaucher Manufacture. Nous ne faisons pas du volume mais proposons de la bonne qualité à un bon prix.

Les finitions sont standard mais il ne s’agit pas d’un clone ETA, ni copie ni même compatible avec ETA.

LA «GUERRE FROIDE» DES MOUVEMENTS
Notre gamme commence avec un mouvement trois aiguilles manuel à 200 francs, automatique à 250 francs, complétés par des modules GMT ou phase de lune à 250-300 francs. Ou encore un chrono automatique flyback avec date et réserve de marche de 60h à 500 francs. Par exemple, nous fournissons les chronos squelette à Corum. Ce qui nous manque encore, ce sont des mouvements Dame mais des projets sont en cours.

L’an passé, nous avons livré entre 4’000 et 5’000 pièces par an et nous entendons doubler à nouveau notre production, voire davantage, cette année. Notre bestseller est le calibre 3914 avec GMT à 6 heures.

Je tiens à dire que si les Chinois n’avaient pas investi en Suisse, il y a fort à parier qu’Eterna n’existerait plus aujourd’hui! Ils ont aussi beaucoup investi dans le développement d’EMC. On peut les remercier car ce sont eux qui «portent» actuellement une partie des marques suisses... Certes, nous ne sommes pas encore rentables, mais nous visons l’équilibre d’ici un an et demi. En 2015, nous avons eu un bilan négatif de 1,8 million de francs. C’est une phase d’investissement contrôlé. Le processus prend du temps!

Notre effectif est remonté à 40 personnes, et nous proposons des éditions mises à jour de mouvements, dans des dimensions contemporaines. On peut mettre 5 ou 6 de nos mouvements différents dans une même boîte, c’est un point très important pour le SAV.

L’industrie horlogère, on le sait, est dans une situation difficile. Mais c’est le meilleur moment d’investir et de gagner de nouveaux clients. Nous suivons notre plan.»