Détaillants


Détaillants: la course pour la suprématie internationale

SUPER RETAIL

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avril 2022


Détaillants: la course pour la suprématie internationale

Un nombre croissant de détaillants sont en train de sortir de leur marché d’origine et s’implantent avec succès sous d’autres cieux. Une consolidation, doublée d’une mondialisation du commerce de détail, aux causes multiples. Pour bien comprendre les ressorts de la création de ces «super détaillants», passés de la représentation locale à une domination régionale voire internationale, nous avons interrogé une série d’entre eux.

A

près la seule «course à la Chine» qui a dominé l’agenda de cette dernière décennie, une nouvelle course s’est engagée entre un nombre croissant de détaillants nationaux ou régionaux, physiques ou numériques, qui cherchent à s’étendre au-delà de leur marché d’origine via ouvertures et rachats. Jusqu’à devenir de véritables «super détaillants» aux points d’ancrage multiples.

Des exemples récents, l’illustrent, comme la percée américaine du détaillant britannique Watches of Switzerland, l’implantation de WatchBox au Moyen-Orient en partenariat avec Ahmed Seddiqi & Sons, le rachat de Sincere par Cortina à Singapour ou encore l’expansion du réseau de Chow Tai Fook en Chine continentale.

«Les Etats-Unis ou l’Europe restent des immenses marchés sous-exploités, aux promesses nombreuses», nous confie ainsi Brian Duffy, le patron du groupe britannique.

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En réalité, ce sont plusieurs courses qui sont menées en parallèle, dont:

• La course aux parts de marché, alors que les détaillants traditionnels subissent une pression croissante des nouveaux acteurs du marché secondaires et des maisons de ventes aux enchères – notamment sur des références introuvables sur le marché primaire.

• La course aux inventaires, alors que certains modèles de grandes maisons (Rolex, Patek Philippe, Audemars Piguet, Richard Mille) et d’artisans indépendants (F.P.Journe, Philippe Dufour, Voutilainen, MB&F, H. Moser & Cie, De Bethune, Akrivia) atteignent des cotes exceptionnelles.

• La course aux clients locaux, alors que l’interruption du tourisme d’achat redonne toute sa place à la clientèle locale.

• La course aux contenus et aux interactions avec une nouvelle génération de collectionneurs très active apparue durant la pandémie, se positionnant non seulement sur les modèles les plus prisés mais aussi sur la culture horlogère au sens large.

• La course à la visibilité en ligne, alors que les distinctions entre montres d’occasion et montres neuves s’estompent au profit de la notion de «montre de collection» sur ce terrain de chasse véritablement mondialisé.

• La course aux partenariats avec les plus grandes maisons, notamment pour l’ouverture de boutique mono-marque ou pour la gestion de modèles sur le marché secondaire.

Plutôt qu’une «lutte à mort» entre marques et grands détaillants, on semble ainsi plutôt se diriger vers l’approfondissement des partenariats entre ceux-ci, avec pour corollaire la création de super détaillants intercontinentaux.

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La coopération après l’affrontement?

On pouvait s’attendre, pré-pandémie, à ce que les marques ou groupes confirment leur volonté de devenir eux-mêmes des détaillants, aux dépends des acteurs traditionnels. Les difficultés sur certains marchés spécifiques comme Hong Kong, puis l’irruption de la pandémie, ont mis en exergue les défis liés à cette extension de leur domaine d’action (même si Richemont demeure certainement le plus grand détaillant horloger du monde).

Plutôt qu’une «lutte à mort» entre marques et grands détaillants, on semble ainsi plutôt se diriger vers l’approfondissement des partenariats entre ceux-ci, avec pour corollaire la création de super détaillants intercontinentaux. Ce qui se traduit notamment par la multiplication des ouvertures de boutiques mono-marques en franchise et les nombreux rachats de plus petits détaillants par ces nouveaux géants. Ce modèle de coopération est aussi un héritage de la pandémie, véritable «crash test» des forces et faiblesses de chacun.

Ce modèle de coopération est aussi un héritage de la pandémie, véritable «crash test» des forces et faiblesses de chacun.

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Le succès en Bourse

Le consultant Thierry Huron (The Mercury Project) relevait récemment qu’en 2021, les performances boursières de la plupart de ces super détaillants dépassaient celles des groupes et marques d’horlogerie.

Pour le consultant, les détaillants à succès ont trouvé leur voie en capitalisant, entre autres, sur le succès de leurs stratégies de transformation numérique, la distribution des marques horlogères indépendantes et non cotées de premier plan, ainsi que des marques indépendantes plus petites. Ils bénéficient aussi de liquidités solides leur permettant d’investir massivement, notamment en ligne.

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Le consultant précise: «C’est l’une des raisons pour lesquelles de nombreux détaillants ont fortement surperformé le gain de valeur des plus grandes marques de montres et de bijoux cotées en bourse, telles que Swatch Group et Fossil Group, qui n’ont progressé que de 15,5 % et 19,2 % respectivement. Même le groupe Richemont, avec son gain spectaculaire de +71%, a été dépassé par Emperor Watch & Jewellery, Oriental Watch, Cortina, The Hour Glass ou Watches of Switzerland. Bien que la plupart de ces détaillants distribuent les marques de Richemont, ils ont réalisé des performances supérieures.»

À l’instar de Signet Jewelers, qui a retrouvé son record de 2015 avec une hausse de 216% depuis le 1er janvier 2021, ou de Watches of Switzerland et The Hour Glass qui ont tous deux atteint des sommets historiques, les cours des actions de la plupart des détaillants spécialisés en horlogerie et bijouterie cotés en Bourse ont enregistré des gains presque continus tout au long de l’année.

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Une clientèle locale enrichie

Quelle que soit leur localisation, en Europe, aux États-Unis ou en Asie, les détaillants ont été soutenus par une reprise économique spectaculaire, alimentée par des mesures de relance budgétaire et monétaire sans précédent qui ont favorisé l’explosion de la demande de montres et de bijoux de luxe.

«Des États-Unis au Japon et à l’Europe, les économies réalisées par les consommateurs aisés parmi les Millenials et la génération Z, grâce à la réduction des dépenses en voyages, divertissements et services pendant les fermetures, ont contribué à stimuler cette demande, souligne Thierry Huron. Plus récemment, en Chine, cette tendance semble également être amplifiée par les investisseurs chinois qui préfèrent désormais les montres de luxe à l’immobilier.»

Sur un marché qui demeure très atomisé, avec une multitude de détaillants locaux, le consultant prédit une poursuite de la concentration et des investissements massifs en ligne, plusieurs acteurs traditionnels ayant mis à profit la période de la pandémie pour rattraper leur retard en la matière.

«Plus que jamais, la taille compte dans les négociations entre détaillants et marques sur un marché en totale reconfiguration.»

Equilibrer le rapport de forces

«Les récents rachats ne me surprennent pas du tout, confie pour sa part Oliver R. Müller, à la tête du cabinet de conseil LuxeConsult. Plus que jamais, la taille compte dans les négociations entre détaillants et marques sur un marché en totale reconfiguration. Et aujourd’hui, dans ce rapport de force, très peu de marques pourraient se permettre de ne pas collaborer avec des détaillants comme Watches of Switzerland ou Bucherer.»

L’expert voit l’avenir du de la distribution horlogère comme «un maillage intelligent» calibré par chaque marque entre e-commerce, boutiques monomarques et points de ventes multimarques. Avec une certitude: le nombre de ces derniers va encore diminuer. «On va assister à une réduction dramatique du nombre de points de vente, avec la création de champions qui vont avaler de plus petits acteurs.»

Il est révolu, le temps où les boutiques pouvaient s’aligner dans une ville comme Hong Kong, proposant les mêmes produits des mêmes marques… Tout, aujourd’hui, est affaire de valeur ajoutée et d’exclusivité. Et plus rien n’est certain pour les détaillants indépendants: un partenariat historique peut être balayé en quelques minutes. D’où l’importance d’une taille critique pour parler d’égal à égal avec les marques.

«Si vous ne faites plus la preuve de votre valeur ajoutée et de la croissance que vous pouvez amener aux partenaires, les plus importants d’entre eux vont partir. Et vous finirez par fermer… ou être racheté.»

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La formule magique

Il faut dire que chaque marque cherche son bon dosage en matière de distribution. Et ce qui a fonctionné pour un horloger ne va pas forcément marcher pour l’autre – une erreur que l’on observe fréquemment dans les stratégies communes de groupe, où la stratégie monomarque, par exemple, n’est pas appropriée à tous. Les visions sont multiples, comme l’illustrent les marques les plus prisées du marché, entre Rolex et Patek Philippe qui font encore confiance à un réseau de distributeurs externe, et Richard Mille et Audemars Piguet, qui ont opté pour une distribution verticalisée.

C’est là que les «super détaillants» tirent leur épingle du jeu: que ce soit le développement de boutiques monomarques, multimarques ou en ligne, ils ont les capacités et la taille critique pour s’allier aux plus grandes marques, tandis que les acteurs locaux ne peuvent plus rivaliser.

«Cela ne veut pas dire que le détaillant qui a un seul point de vente ou deux va nécessairement disparaître, souligne Oliver R. Müller. Les plus prestigieux d’entre eux, à l’instar d’un Beyer Chronometrie à Zurich, sont là pour le démontrer. Mais la réalité du marché est brutale: si vous ne faites plus la preuve de votre valeur ajoutée et de la croissance que vous pouvez amener aux partenaires, les plus importants d’entre eux vont partir. Et vous finirez par fermer… ou être racheté.»

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