Sous-traitance horlogère


Hirsch: les nouveaux défis dans le bracelet de montre

ENTRETIEN

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juin 2021


Hirsch: les nouveaux défis dans le bracelet de montre

Figurant parmi les principaux fournisseurs de bracelets de l’industrie horlogère, la société autrichienne Hirsch vit une transition générationnelle. Entre innovation numérique, écologie et pandémie, les deux frères désormais aux commandes, Matthäus et Nikolaus Hirsch, nous partagent les défis qui les attendent dans l’univers du bracelet.

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tablie à Klagenfurt, dans le sud de l’Autriche, Hirsch fait figure de multinationale du bracelet de montre, avec plus de 800 employés dans le monde et un chiffre d’affaires de 75 millions d’euros. Elle fournit en bracelets quelque 16’000 détaillants spécialisés, compte son propre réseau de boutique «In Time» représentant environ 150 magasins en Europe et équipe de nombreuses marques horlogères suisses.

L’entreprise autrichienne est surtout reconnue pour son innovation. Si la famille Hirsch est active depuis plusieurs siècles dans le travail du cuir localement, c’est le «patriarche» Hans Hirsch qui a donné une dimension internationale à cette tradition familiale, grâce à son invention d’une nouvelle technique de pli du bracelet sans couture en 1955, le «Rembordé Hirsch».

Puis les innovations se succèdent, dont la présentation des bracelets directement sur le comptoir et non plus dans les tiroirs dès détaillants dès 1961, la première certification ISO pour un fabricant de bracelets de montre en 1995, l’introduction de micropuces connectées en 2002, un premier bracelet en aloe vera en 2009 ou encore la combinaison du cuir et du caoutchouc dans la collection Performance dès 2014.

Hirsch équipe de ses bracelets tant des montres traditionnelles que le nouveau marché des montres connectées.
Hirsch équipe de ses bracelets tant des montres traditionnelles que le nouveau marché des montres connectées.

La nouvelle génération, constituée des deux frères Nikolaus et Matthäus Hirsch, a rejoint l’équipe dirigeante en 2019. La transition avec leur père Robert Hirsch est bien lancée. Parmi leurs défis, la transformation numérique de l’industrie du bracelet, la transformation écologique avec de nouveaux matériaux renouvelables non animaux, mais aussi de nouveaux produits équipés de bracelets, comme les montres connectées (Hirsch a d’ailleurs développé un adaptateur de ses bracelets à l’Apple Watch). Nous avons rencontré les deux frères pour évoquer ces défis.

Etablie à Klagenfurt, dans le sud de l’Autriche, Hirsch fait figure de multinationale du bracelet de montre, avec plus de 800 employés dans le monde et un chiffre d’affaires de 75 millions d’euros.

Europa Star: Quels ont été les événements les plus marquants de l’histoire de votre société?

Matthäus Hirsch: Il faut remonter au 18ème siècle pour retrouver le début de la tradition du travail du cuir dans notre famille. L’un de nos ancêtres, Johannes Franz Hirsch, né en 1765, a le premier ouvert un atelier de cuir en Basse-Autriche. C’était une petite tannerie produisant du cuir pour les chaussures et les selles. Mais l’entreprise telle qu’elle existe aujourd’hui a été fondée en 1945 par notre arrière-grand-père Hans Hirsch à Klagenfurt, dans le sud de l’Autriche. Il a commencé, depuis sa table de cuisine, à produire des bracelets de montre qu’il fabriquait à partir de cuir qu’il récupérait de restes de chaussures. Il a démarré avec un couteau de poche et une machine à coudre pour seuls outils. Mais c’était un véritable inventeur, un ingénieur passionné qui a multiplié les innovations!

Matthäus et Nikolaus Hirsch
Matthäus et Nikolaus Hirsch

Pouvez-vous nous en citer quelques-unes?

Nikolaus Hirsch: Son invention la plus marquante, qui s’est révélée déterminante pour le succès de notre société, a été la technique spéciale du «rembordé» qu’il a introduite en 1955. Il s’agit d’un moyen permettant de lier sans couture le cuir supérieur et la doublure du bracelet en cuir de la montre. On obtient ainsi des bords adoucis qui améliorent la qualité et la durabilité du bracelet. Cette méthode a été brevetée et porte même le nom du «Rembordé Hirsch», c’est aujourd’hui un standard dans l’industrie.

Hirsch: les nouveaux défis dans le bracelet de montre

Comment s’est développée la société à partir de ce tournant?

Matthäus Hirsch: Au fil des ans, il a réussi à séduire à la fois les marques horlogères et les détaillants, posant les bases de la marque grand public que nous sommes aujourd’hui. L’exportation de nos bracelets a commencé à s’étendre progressivement vers plus de 80 pays. À l’époque, les bracelets de montre étaient fabriqués à partir d’une seule pièce de cuir et ne contenaient pas beaucoup de technologie. Il a su infuser un nouveau savoir-faire à cette industrie.

Quels sont vos marchés principaux?

Nikolaus Hirsch: Notre marché principal est l’Europe, où se trouvent la plupart des clients, mais nous sommes également bien positionnés en Asie et sommes actifs globalement.

Aujourd’hui, le bracelet est une industrie mondialisée dont la production se fait majoritairement en Asie. Conservez-vous une production en Europe?

Nikolaus Hirsch: Oui, bien sûr! Nous réalisons toujours une grande quantité de bracelets en Autriche. Seuls les modèles d’entrée de gamme sont fabriqués en Chine. Et notre objectif est de revenir un jour à une production intégralement réalisée en Autriche, ce qui semble de plus en plus réaliste grâce aux nouvelles technologies dont nous disposons.

«Notre objectif est de revenir un jour à une production intégralement réalisée en Autriche, ce qui semble de plus en plus réaliste grâce aux nouvelles technologies dont nous disposons.»

Hirsch: les nouveaux défis dans le bracelet de montre

En tant que nouvelle génération à la tête de la société familiale, à quels défis faites-vous face?

Nikolaus Hirsch: Nous pouvons certainement encore nous améliorer sur le plan de la communication numérique, à la fois interne et externe. Plus globalement, il s’agit d’amener de nouvelles pratiques plus modernes à une société traditionnelle. Il est parfois difficile de s’adapter à des changements qui sont toujours plus rapides dans notre monde, mais cela apporte tellement de nouvelles opportunités…

Envisagez-vous aussi de vendre vos bracelets en ligne?

Matthäus Hirsch: En réalité, nous vendons déjà nos bracelets à travers notre propre boutique en ligne, que nous avons lancée juste avant la pandémie. Nous les vendons aussi via notre plateforme B2B destinée à nos clients professionnels.

Nouveau bracelet en matière non animale de la collection Nature
Nouveau bracelet en matière non animale de la collection Nature

Hirsch est particulièrement reconnue pour les nombreuses innovations qu’elle a brevetées au cours de son histoire. Quels sont les plus prometteuses aujourd’hui?

Matthäus Hirsch: Nous avons notamment mis en place y a trois ans un premier robot permettant la classification automatisée des produits. Nous avons aussi beaucoup travaillé à la meilleure récolte et analyse logicielle de données afin d’être beaucoup plus flexible vis-à-vis de la demande. Depuis l’an passé, nous avons aussi instauré un nouveau portail permettant à nos clients de pouvoir commander des séries plus petites. Toutes ces innovations nous permettent de produire mieux et de travailler pour le haut de gamme, tout en produisant davantage grâce à l’automatisation. Aujourd’hui, nous travaillons autant pour un marché de grands volumes, par exemple celui des montres connectées, que pour le domaine du luxe, dont les marques suisses.

«Aujourd’hui, nous travaillons autant pour un marché de grands volumes, par exemple celui des montres connectées, que pour le domaine du luxe, dont les marques suisses.»

L’automatisation a cependant ses limites…

Nikolaus Hirsch: En effet, vous aurez toujours besoin d’une touche humaine. Nous ne pourrions automatiser entièrement notre production. C’est un sujet très important, dont nous discutons constamment avec nos partenaires et nos clients. Chaque étape a besoin d’être contrôlée, c’est aussi cela qui donne la beauté du produit, le côté plus «artisanal». Il faut savoir sortir des sentiers battus et penser à la meilleure façon dont le bracelet est décortiqué pour trouver le meilleur équilibre entre automatisation et artisanat.

Autre sujet de débat: une production de bracelets plus écologique. On voit de plus en plus de marques adopter des bracelets dans des matériaux recyclés ou de nouveaux matériaux organiques.

Nikolaus Hirsch: C’est un sujet qui prend aujourd’hui une grande ampleur, mais nous avons toujours voulu produire d’une manière durable: après tout, notre arrière-grand-père commencé en réutilisant les chutes de cuir et en les découpant pour former le rembourrage du bracelet. D’autre part, nous essayons toujours de penser à de nouveaux matériaux organiques d’origine non animale. En 2016, nous avons lancé notre premier produit sans cuir. Nous avons maintenant mis en place notre propre production de matériaux, par exemple à partir de feuilles de vigne dans la nouvelle collection Nature.

Qui sont vos plus grands clients: les marques horlogères, les détaillants ou les particuliers ?

Nikolaus Hirsch: En fait, tous! Chaque catégorie de client représente aujourd’hui environ un tiers de notre chiffre d’affaires. Cela nous permet d’être plus flexibles et de tester de nouveaux matériaux et de nouvelles idées sur de plus petites quantités, avant de les introduire à plus large échellle dans l’industrie horlogère.

«Nous avons maintenant mis en place notre propre production de matériaux, par exemple à partir de feuilles de vigne et de feuilles d’hévéa dans la nouvelle collection Nature. »

Vu votre connaissance du travail du cuir, envisagez-vous d’étendre vos activités au-delà des bracelets, par exemple en maroquinerie?

Matthäus Hirsch: Nous avons déjà vendu des innovations à des entreprises actives dans d’autres secteurs mais en ce qui concerne notre production, nous souhaitons nous en tenir à ce que nous connaissons le mieux, c’est-à-dire les bracelets de montres. Il y a encore beaucoup d’innovations à apporter, que ce soit sur le produit ou le service client. Un bon exemple de cet esprit d’innovation: dès les années 1970, nous intégré des puces électroniques dans des bracelets pour nos employés, afin d’accéder à certains services internes. Puis, il y a quelques années, nous avons introduit des bracelets grand public équipés de puces NFC. Nous essayons d’être en avance sur notre temps.

Hirsch: les nouveaux défis dans le bracelet de montre

Quel a été l’impact de la crise pandémique sur votre société? Les volumes de montres produites et vendues dans le monde ont chuté…

Nikolaus Hirsch: C’était une période très difficile. L’industrie horlogère a été frappée de plein fouet et cela n’a pas été différent pour nous. Notre chiffre d’affaires dépend beaucoup des détaillants, qui ont dû fermer leur boutique pendant plusieurs mois. La demande des marques suisses a également diminué. Nous avons dû réfléchir à la manière de nous remettre sur les rails. Cela est passé par de nouvelles manière de garder le contact avec les clients, principalement via les réseaux sociaux comme nous ne pouvions pas voyager. Rester visible était la chose la plus importante. Maintenant, nous sommes sortis du pire. Depuis cette année, nous nous sentons beaucoup mieux.

L’industrie horlogère suisse produit toujours moins mais monte en gamme. Cela concerne aussi le bracelet sans doute…

Nikolaus Hirsch: Oui, nous le ressentons aussi dans notre propre structure de prix. Mais vous devez éduquer le consommateur pour qu’il comprenne le tarif des bracelets et la qualité reconnue de la production Hirsch. Nous essayons de garder des premiers prix commençant à moins de 20 euros pièce. La tendance que nous identifions clairement, c’est que les clients finaux sont prêts à dépenser plus pour la qualité de ce qu’ils portent. Ils sont toujours plus matures et éduqués, y compris sur le bracelet.

«Les clients finaux sont prêts à dépenser plus pour la qualité de ce qu’ils portent. Ils sont toujours plus matures et éduqués, y compris sur le bracelet.»