Swatch Group


Entretien avec Sylvain Dolla, CEO de Hamilton

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août 2018


Entretien avec Sylvain Dolla, CEO de Hamilton

A l’heure où le néo-vintage bat son plein, peu de marques peuvent se prévaloir d’un passé aussi glorieux qu’Hamilton, la marque américaine par excellence avant de s’hybrider à la Suisse via son rachat par le Swatch Group. L’ancienne montre portée par les GI durant le Débarquement comme par Elvis Presley durant ses shows cherche maintenant à retrouver une position de force sur son marché originel.

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a première montre électrique, la première montre à affichage digital, Hollywood, Elvis Presley, les pilotes américains... Hamilton était longtemps l’«idole des jeunes» aux Etats-Unis. Aujourd’hui, on voit sur tous les segments – y compris chez vous – une forme de néo-vintage. Est-ce que vous en profitez?

J’essaie de ne pas être «obsédé» par cette tendance, ce serait dangereux. En ce qui concerne Hamilton, nous avons toujours réalisé des réinterprétations de montres du passé, tout en présentant de nouveaux designs forts. Nous sommes une marque américaine, donc nous devons faire les choses un peu à contre-courant.

Par exemple, cette année, nous lançons un modèle Khaki d’un diamètre de 50mm, avec un caractère fort, sans être bling-bling. On ne peut pas dire que ce soit du minimalisme néo-vintage! Et en parallèle, nous avons présenté une réinterprétation d’une montre produite pour l’armée américaine dans les années 60, la Khaki Field Mechanical à remontage manuel, qui connaît un fort début.

Cette montre mécanique coûte moins de 500 dollars, avec un esprit vintage... Le meilleur moyen de séduire les nouvelles générations?

C’est une évidence: nous souhaitons que les gens qui achètent leur première montre mécanique, pour un mariage, leurs fiançailles ou un autre événement important pensent d’abord à nous. Mais comme vous le souligniez en préambule, cela a toujours été une catégorie de personnes à laquelle nous avons essayé de plaire. Ce n’est pas une tendance du moment.

KHAKI FIELD MECHANICAL
KHAKI FIELD MECHANICAL

Mais pourquoi un jeune achèterait-il un modèle Ventura neuf, alors qu’il peut en trouver un à prix réduit et avec une histoire personnelle sur un site de deuxième main? Cette nouvelle concurrence digitale ne vous effraie-t-elle pas?

Personnellement, je suis content quand je vois des gens acheter des pièces du passé. Cela veut dire que vous trouvez chez eux une forte affinité pour l’horlogerie. C’est le signe d’un marché sain, qui suscite de l’intérêt et attire de nouveaux collectionneurs. Des aficionados qui demain pourront s’intéresser aux nouvelles versions de la Ventura ou de la Khaki Field...

Pour une marque comme vous, sur un créneau entre 500 et 1’500 dollars, quel est aujourd’hui le point de vente «idéal»?

Je dirais... le «omni-channel»! Aujourd’hui je pense que cela serait une erreur de tout concentrer sur le e-commerce. Les clients ont des modes d’achat très variés. D’un côté, nous avons été l’une des premières marques horlogères pratiquant le e-commerce aux Etats-Unis, depuis plus de cinq ans, avant de lancer des sites marchands en France, au Royaume-Uni, en Allemagne et prochainement au Japon. Et parallèlement nous avons investi comme jamais dans nos boutiques en propre. L’automne passé, nous avons lancé au Japon – notre marché numéro un – une nouvelle boutique dans un style loft newyorkais avec des matériaux en bois et en briques. Ce concept est en train d’être décliné partout dans le monde, y compris en Suisse à Interlaken.

Comment travailler de manière complémentaire et non «destructrice» entre le online et le offline, entre vos boutiques en propre et celles de vos partenaires?

Ce qui m’a le plus surpris, c’est que vous travaillez différemment vos collections entre internet et les boutiques physiques. Un exemple: en France, nous sommes représentés par 190 points de vente très qualitatifs. Chacun présente entre 40 et 60 références. Or, nous en présentons 200 sur notre site marchand français. Cela veut dire que si un détaillant filtre – légitimement – les modèles qui seront proposés dans sa boutique, le client aura toujours la possibilité de trouver nos modèles en ligne. Par exemple, le modèle Khaki Field Mechanical n’a pas été distribué au début dans les points de vente physique en France. Mais elle est devenue numéro un sur le site marchand français... Idéalement, dans un monde omni-channel, nous aimerions cependant que les clients puissent voir les 200 références en ligne et en boutique.

VENTURA XXL AUTO
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Quelles actions avez-vous prises par rapport à votre réseau de vente physique, en lançant vos sites de e-commerce? Avez-vous réduit le nombre de détaillants?

Cela dépend des pays. Aux Etats-Unis, nous avons réduit notre présence à 450 points de vente mais cette réduction n’était pas liée au e-commerce. En France, nous sommes restés à 190 points de vente très qualitatifs. En Italie, où nous comptons plus de 600 points de vente, nous avons également conservé notre réseau et les ventes ont continué à croître chez nos détaillants.

C’est systématiquement dans les zones les plus urbaines, là où nous comptons le plus de points de vente physiques, que nous enregistrons le plus de ventes en ligne

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Quelles réactions a entraîné votre offensive sur le e-commerce, alors que les sites marchands de marque étaient encore peu développés il y a cinq ans?

Les réactions les plus «sensibles» ont plutôt eu lieu à l’interne... Mais il faut arrêter avec ce sentiment de panique face à internet. Le e-commerce reste minoritaire. Même aux Etats-Unis, les ventes en ligne ne représentent qu’entre 5% et 12% du chiffre d’affaires. Certains utilisent le e-commerce pour s’assurer de la provenance des montres. Une chose est sûr: c’est davantage le profil – hyperconnecté ou non – qui joue, par rapport à d’autres facteurs comme l’éloignement géographique du point de vente le plus proche. C’est systématiquement dans les zones les plus urbaines, là où nous comptons le plus de points de vente physiques, que nous enregistrons le plus de ventes en ligne.

JAZZMASTER THINLINE AUTO
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Il y a soixante ans, vous étiez une marque leader et «mainstream» aux Etats-Unis. Aujourd’hui, vos deux plus grands marchés sont le Japon et l’Italie... Pensez-vous être en mesure de revenir en force sur votre marché originel?

Nous avons doublé notre chiffre d’affaires aux Etats-Unis en cinq ans. Selon moi, il y a deux pays où Hamilton peut vraiment trouver une croissance à deux chiffres sur plusieurs années: la Chine et les Etats-Unis.

Et la montre connectée?

Personnellement, je n’y jamais cru pour les marques traditionnelles. Par contre, amener de l’«intelligence» dans certaines montres de pilotes via une forme de digitalisation, là, nous sommes ouverts.