l fait partie du cercle rapproché de Marc A. Hayek, le représentant de la troisième génération de la puissante famille à la tête de Swatch Group, lui-même appelé à en présider les futures destinées.

Lionel a Marca, 55 ans, trente ans de loyaux services pour le groupe, a changé de manufacture à la Vallée de Joux: après deux décennies en charge des opérations de Blancpain, il a été nommé l’an passé à la tête de Breguet, cette «pépite» horlogère particulièrement chère aux yeux du fondateur du groupe Nicolas G. Hayek, qui avait mis toute son énergie à remettre cet illustre nom au firmament du secteur (son engagement pour rénover le Petit Trianon de Versailles ou encore la fidèle reproduction de la montre de Marie-Antoinette avec la Grande Complication n°1160 présentée à la foire de Bâle en 2008 marquent encore les mémoires).

Horloger de formation, Lionel a Marca dirige Breguet depuis l’an passé. Né en 1967, il a rejoint Swatch Group en 1992, d’abord au sein de la Manufacture Fréderic Piguet, déjà à la Vallée de Joux. Il a ensuite œuvré chez ETA puis chez Blancpain durant deux décennies.

«Je sais que Lionel a Marca mettra toute son énergie à poursuivre l’œuvre que mon grand-père a entreprise lors du rachat en 1999, tout en faisant perdurer l’esprit pionnier de son fondateur», a commenté Marc A. Hayek lors de cette nomination.

Le modèle Marine Hora Mundi, avec son double fuseau horaire à mémoire au changement instantané, est le lancement phare de Breguet au premier semestre 2022.

Le nouveau CEO a côtoyé tant le grand-père, au caractère bien trempé, que le petit-fils, plus réservé et passionné de plongée. A lui de faire le lien entre ce que Nicolas G. Hayek avait imaginé pour la marque et les nouvelles réalités du marché en 2022 et au-delà. Des temps très favorables à une certaine horlogerie patrimoniale mais aussi très portés sur un certain style sport-chic en acier, alors que Breguet est avant tout reconnue pour son épure et son grand classicisme.

Bien des marques du rang de Breguet ont d’ailleurs récemment mis l’accent sur ce qu’elles interprétaient comme leur version sport-chic: l’Overseas de Vacheron Constantin, l’Odysseus d’A. Lange & Söhne, ou encore l’Alpine Eagle de Chopard. On se rappelle aussi du bon écho reçu par l’Air Command de Blancpain, une réédition sortie en 2019. Le nouveau directeur va-t-il donner un tour plus sportif à Breguet? Eléments de réponses.

A Lionel a Marca de faire le lien entre ce que Nicolas G. Hayek avait imaginé pour la marque et les nouvelles réalités du marché en 2022 et au-delà.

Europa Star: Quel a été votre parcours avant de reprendre la direction de Breguet?

Lionel a Marca: Cette année marque mes 30 ans au sein de Swatch Group. J’y suis entré en 1992 par l’intermédiaire de Frédéric Piguet, en charge de la mise au point de leurs calibres au Noirmont. Ensuite je suis passé chez ETA, notamment pour la production de pièces à complications, puis au quality management du groupe. C’est lors d’un mandat chez Blancpain en 2002 que j’ai commencé à côtoyer Marc A. Hayek. J’ai fini par y rester 20 ans! Entre Frédéric Piguet, Blancpain et Breguet, j’ai donc bien «pratiqué» l’horlogerie de la Vallée de Joux ces dernières décennies... Et pourtant je suis moi-même originaire du Jura: j’ai en effet commencé par une formation d’horloger-rhabilleur à l’école technique de Porrentruy.

Votre lancement majeur de ce premier semestre est la Marine Hora Mundi. Pourquoi mettre l’accent sur ce modèle?

En tant que spécialiste du mouvement, je suis toujours en quête de la simplicité d’utilisation: rendre la complexité mécanique facile à utiliser et ludique. C’est ce que la fonction Hora Mundi, lancée pour la première fois en 2011, parvient à accomplir, avec son double fuseau horaire à mémoire au changement instantané. En l’intégrant de la ligne Classique à la ligne Marine, nous en faisons une montre à l’allure contemporaine.

Breguet adapte sa complication Hora Mundi à la collection Marine. D’un diamètre de 43,9 mm, le modèle intègre un double fuseau horaire à mémoire au changement instantané. Une prouesse technique rendue possible par la manipulation du poussoir et de la couronne. En effet, après avoir défini la première ville, l’heure et la date, il suffit au détenteur de la montre de régler uniquement la seconde ville. Le mécanisme du garde-temps calcule alors l’heure et la date de celle-ci par le biais d’un système de cames, de marteaux et d’un différentiel intégré. Ensuite, par simple pression du poussoir, il est possible de passer d’un bout à l’autre de la planète sans pour autant perturber la marche précise de la montre.

Verra-t-on un jour un modèle plus proche du style sport-acier à bracelet intégré qui semble tout dominer aujourd’hui, et que d’autres marques de Haute Horlogerie ont récemment mis en avant à leur manière pour toucher de nouveaux clients?

Nous sommes Breguet. Nous avons déjà six collections et n’allons pas en lancer de nouvelles: je préfère approfondir les lignes existantes. La réédition de la ligne Marine a justement été lancée en 2018 comme une collection contemporaine et sportive. Intégrer dans cette collection notre Hora Mundi, une complication comprenant un GMT à mémoire, trouve tout son sens. Le travail dimensionnel réalisé sur son cadran est très abouti: il a en effet nécessité la superposition de trois plaques. Sur la première, le motif guilloché main reprend le thème des vagues. Nous jouons sur la transparence entre les deux côtés de la seconde plaque – une glace saphir métallisée de 0.4mm – avec les méridiens dessus et les continents en dessous, ce qui génère l’effet de profondeur. Finalement, nous avons placé un réhaut extérieur qui fixe le tout. Y parvenir n’a pas été simple!

«La réédition de la ligne Marine a été lancée en 2018 comme une collection contemporaine et sportive. Intégrer dans cette collection notre Hora Mundi trouve tout son sens.»

Pour mieux comprendre votre vision de la marque, quels mots-clés associez-vous à l’identité de chacune des six collections?

La Classique, c’est l’essence de Breguet, la sobriété, la pureté. Une forme d’intemporalité aussi: une Classique produite il y a 25 ans doit rester pertinente aujourd’hui. Nous ne transigerons pas là-dessus. Vous reconnaîtrez toujours une Classique, elle est immuable.

La Marine est quant à elle un hommage à Abraham-Louis Breguet en tant qu’Horloger de la Marine mais elle ne se limite pas à l’univers de la mer: c’est une collection pour l’exploration, le voyage, la montagne... La Hora Mundi en est la dernière itération.

Pour les airs, il y a la Type XX, notre montre-pilote emblématique. Nous réfléchissons à des pistes de développement pour cette ligne essentielle de notre marque.

La Reine de Naples, introduite en 2002, représente la féminité absolue. Pas moins. Elle est aussi associée à de l’innovation: la technique d’aiguille flexible du modèle Saint-Valentin sorti l’an dernier (lire notre article) a nécessité plusieurs mois de travail. Cette aiguille brevetée démontre notre volonté d’innover au sein de l’ensemble de nos collections. Je souligne aussi que nous sommes une marque très équilibrée entre modèles masculins et féminins en termes de ventes.

Pour continuer dans les montres de forme, la ligne Heritage se reconnaît à son boîtier tonneau. C’est certainement la ligne qui comprend le moins de références. Nous allons pouvoir exprimer davantage son identité.

Enfin, la Tradition, lancée en 2005 et inspirée des anciennes montres à tact et de souscription, est – paradoxalement peut-être – la plus contemporaine de toutes. Car toutes les pièces de la collection offrent une vision du mouvement.

Abraham-Louis Breguet lie son destin à celui de la Marine française dès 1814 en devenant sur décret royal membre du «Bureau des longitudes» aux côtés d’académiciens tels que Delambre, Biot ou Laplace. L’un des rôles des membres du bureau est de gérer les problèmes liés à la détermination de la longitude en mer grâce à l’astronomie. Mais c’est un an plus tard que le roi Louis XVIII lui décernera l’un des titres les plus prestigieux: celui d’«Horloger de la Marine Royale». Dès lors, les flottes des plus grands explorateurs naviguèrent équipées d’un système de chronométrie signé Breguet.

©Europa Star 1954

La plupart de ces lignes ont été introduites sous la présidence de Nicolas G. Hayek. Plus d’une décennie après, est-ce qu’il ne faudrait pas revisiter cet héritage?

Au contraire, Breguet tire sa force de son histoire. En son temps, Abraham-Louis Breguet a posé les fondamentaux de l’horlogerie. Ce qu’a fait Nicolas G. Hayek, c’est renforcer ces fondamentaux pour notre époque en ressuscitant des métiers d’art rares, avec pour but de savoir tout faire à l’interne, dans une «manufacture» au plus pur sens du terme. Qui fait encore du guillochage maison aujourd’hui?

Nicolas G. Hayek présente la réédition de la montre Marie-Antoinette en 2008.

©Europa Star 2008

Cette notion de manufacture se vide de son sens à force d’être employée ad nauseam dans l’industrie. Il y a vingt ans, elle vous distinguait. N’êtes-vous pas excessivement humbles dans un monde de communication à outrance?

Ce qui nous distingue, c’est la sincérité de notre approche. Dans notre relation avec nos clients, nous rappelons toujours très précisément qui nous sommes et d’où nous venons. Nos racines sont solides. Nous ne sommes pas dans la mode mais dans le très long terme. S’il revenait à notre époque, un génie comme Abraham-Louis Breguet serait fasciné de voir son œuvre respectée tout en engrangeant des gains technologiques importants. En son temps, avec ses registres, il avait inventé le «CRM» avant tout le monde. Aujourd’hui, c’est émouvant de pouvoir retracer, dans les archives de la marque qui se trouvent à Paris, les garde-temps ayant appartenu à ses ancêtres. D’ailleurs, le tout premier acheteur d’une montre Breguet peut y insérer son nom, dans un registre comprenant notamment Winston Churchill. Nous nous inscrivons dans ce temps long. Et l’une des prochaines étapes importantes sera la célébration des 250 ans de la fondation de la maison Breguet en 2025.

«Nous ne sommes pas dans la mode mais dans le très long terme. Qui fait encore du guillochage maison aujourd’hui?»

Quelles sont vos priorités pour le développement global de Breguet en 2022 et au-delà?

Un marché-clé à développer est les Etats-Unis. Nous allons y cultiver davantage notre notoriété. Concernant le reste du monde nous avons la chance de bénéficier d’une excellente visibilité globale, ce qui est un véritable atout.

Comment gérez-vous votre patrimoine?

Nous conservons un nombre conséquent de pièces-clés de notre histoire que nous allons faire tourner dans le monde entier, post-Covid, selon les vœux de Marc A. Hayek. Et pour les 250 ans, attendez-vous à de belles choses dans notre musée à Paris. Mais il va falloir patienter encore un peu...

©Europa Star 2002

Vous ne participez plus aux grands salons mais organisez vos propres événements locaux. Quel impact sur le «time to market» des nouveautés que vous présentez?

Dès qu’une nouveauté est dévoilée, elle est désormais immédiatement disponible en boutique, partout dans le monde.

Y compris en ligne?

Nous y travaillons. Mais ce déploiement suscite encore beaucoup d’interrogations.

Le modèle est équipé du calibre 77F1 dont le balancier oscille à une fréquence de 4 Hz. Ce mouvement mécanique à remontage automatique est muni d’un échappement en silicium. Les modules additionnels brevetés sont le mécanisme à double fuseau horaire, l’affichage du second fuseau horaire, la roue de mémoire mécanique programmable et reprogrammable, ainsi que l’affichage jour/nuit par le biais d’une aiguille. La réserve de marche est de 55 heures.

Quelle répartition stratégique visez-vous entre boutiques et détaillants multimarques?

Nous respectons nos détaillants et voulons approfondir nos relations avec nos représentants historiques. Mais l’«expérience Breguet» dans nos boutiques est également cruciale. Aujourd’hui, nous opérons 36 boutiques en propre, nous avons des franchisés et sommes présents dans un réseau de 335 points de vente. Suite au Covid, beaucoup de discussions sont sur la table afin d’assurer la meilleure expérience possible à l’avenir.

L’une des autres actions décisives de Nicolas G. Hayek après la reprise de Breguet fut de reproduire la montre de poche n° 5 de 1794 qu’il avait lui-même acquise aux enchères.

©Europa Star 2005

Dans quelles conditions sortez-vous de la pandémie? La polarisation semble toujours plus marquée dans l’industrie...

2021 a été une très bonne année. Ce qui ressort notamment, c’est qu’il existe un vrai potentiel auprès de la clientèle locale, ce qui a pu être oublié avec la facilité de la vente touristique. Les marchés attendaient une complication dans la collection Marine. C’est ce que nous livrons avec la Hora Mundi. Tout se met en place autour d’une vraie réflexion sur notre futur, d’une vision des produits, de timings plus clairs, de boutiques avec des expériences clients poussées... L’image compte mais il faut savoir tenir ses promesses. Et dans 25 ans vous verrez que votre Breguet n’aura pas pris une ride!

«L’une des prochaines étapes importantes sera la célébration des 250 ans de la fondation de la maison Breguet en 2025.»