Artisanat


Ce que sait la main

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juin 2025


Ce que sait la main

«L’horlogerie? Un monde où l’on ne sait si le cerveau guide la main ou si c’est elle qui le guide. (…) Exercices, entraînement, entraînement encore jusqu’à ce que l’outil ne soit plus que le prolongement de la main, jusqu’à sentir la matière à travers lui et acquérir ce que les joueurs de tennis appellent «le toucher de balle».

«U

ne fois acquise la maîtrise du geste, sa connaissance et son ressenti s’inscrivent jusqu’au plus profond de nous. La répétabilité et l’enchaînement sûrs des gestes développent avec la matière une relation intime. Nous sommes en constant défi avec sa fragilité, sa résistance et sa puissance. Grâce à l’apprentissage, il est possible de ressentir et de prévoir ses propres limites. Après tout, nous ne sommes faits que d’énergie, d’électrons, de protons, de neutrons combattant indéfiniment pour trouver leur place, un vaste jeu de chaises musicales, une débauche d’énergie à la recherche d’équilibre. Le contact d’un outil avec la matière fragilise cet équilibre au risque de le détruire. Que ce soit avec les délicates brucelles en assemblant une pièce d’une grande fragilité ou avec le marteau de forge contre le métal chauffé au rouge, nous déformons la matière au risque de dépasser ses limites et d’entraîner sa rupture. Des moyens existent pour calculer et prévoir la déformation des pièces mais lorsqu’il s’agit du geste, cette prévision doit être inscrite en nous à tel point que c’est dans la main que cette sensibilité réflexe doit prendre forme, le temps de réaction de notre cerveau étant beaucoup trop long pour réagir à la réponse immédiate de la matière en travail. Imprévisible, la matière revêt tant de formes, réagit de tant de manières différentes que la main pour être seule maîtresse à bord doit à la fois capter et transmettre en se désolidarisant en partie du reste du corps afin de ne recevoir qu’une énergie favorable et d’en exclure toute tension.»

Texte extrait de l’ouvrage Alchimie Horlogère