la fin du 19ème siècle un couple, Jules Magnin et Pauline Jacot, fait l’acquisition d’un petit immeuble au cœur de La Chaux-de-Fonds. Ils y installent au rez-de-chaussée un atelier de mécanique horlogère. Un atelier dans lequel ensuite plusieurs générations vont se succéder. Jusqu’à quand exactement? Difficile de le dire mais sans doute que vers les années 1970 le dernier mécanicien-horloger de cette discrète dynastie familiale ferma la porte de l’atelier et n’y reviendra plus.
L’atelier oublié ne sera redécouvert qu’en 2011, au moment du décès d’un des derniers représentants de la famille.
La cage de l’immeuble est encore dans son jus. Sur les murs peints en faux marbre jauni, une inscription est peinte en noir: CUISINES, soulignée d’une flèche qui indique la cave. On nous expliquera plus tard que durant la guerre y étaient installées des cuisines populaires. Tout à côté, une porte de bois démunie d’inscription donne sur les lieux oubliés.
Quand on découvre alors l’atelier et ses diverses pièces, on reste stupéfait. Hormis la fine poussière, c’est comme si le propriétaire était allé faire un petit tour à l’extérieur avant de revenir bientôt. Tout est là, disposé à sa place, machines innombrables, presses, tours, burins, collections de limes, outils de toutes sortes et de toutes formes, matières premières, instruments, balance, jusqu’à la machine à écrire et aux notes encore punaisées à la paroi.

Dans un angle est installé un moteur central qui, par un système d’engrenages, de poulies, de courroies de cuir qui circulent au plafond et contre les parois, entraînait l’ensemble des rouages et faisait tourner à volonté les machines. On imagine alors sans peine le bruit cliquetant que devait faire l’atelier en pleine action.
Qu’y fabriquait-on au juste? Selon les mots même de Régis Hugenin, le conservateur du Musée International de l’Horlogerie de La Chaux-de-Fonds, qui en a la garde, «ce n’est pas toujours facile de le dire, tellement d’activités s’y sont succédées: la fabrication d’outillages horlogers, par exemple pour les ressorts, de tours, de perceuses, de limes, de machines… il y avait une petite fonderie et l’atelier faisait aussi office de bureau officiel des poids et mesures. C’est l’ensemble qui est intéressant, pas tant les objets pris un à un.»
Car c’est sa banalité même, pourrait-on dire – des ateliers indépendants de ce type étaient légion à l’époque – qui l’a sauvé de l’oubli. Aucun trésor ne s’y trouve caché. Mais c’est son état intact, complet, rarissime, qui a décidé la Ville de La Chaux-de-Fonds de le préserver en son entier, tel qu’il a été redécouvert. Tout en y accomplissant, sans rien bouleverser, un méticuleux travail d’archéologie horlogère. Pour la mémoire du futur.
Un véritable et émouvant voyage dans le temps.