Résilience: l’horlogerie face à la pandémie


La stratégie de la niche de Manuel Emch

DOSSIER FUTUR

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janvier 2020


La stratégie de la niche de Manuel Emch

Dans son parcours, Manuel Emch a fait revivre, pendant 9 ans, la marque Jaquet Droz en tant que PDG et directeur artistique. Pendant ses années au Swatch Group, il a aussi été membre de la direction élargie du groupe et de la direction de Swatch. Il a ensuite redynamisé pendant 7 ans RJ-Romain Jérôme pour en faire une marque disruptive. Il est désormais consultant indépendant auprès de diverses marques, notamment Louis Erard (Comment Louis Erard opère sa mue).

A

propos de la grande polarisation entre d’un côté les «booming four» et de l’autre Apple.

«Que reste-t-il aux acteurs qui se situent entre ce marteau et cet enclume? Quel espace entre les «booming four», soit Rolex, Patek Philippe, Audemars Piguet, Richard Mille, quelques marques du moyen de gamme et à l’autre pôle Apple? Aux USA, pour la première fois, le digital a dépassé l’analogique, le soft a dépassé le hard. Ça avance à marche forcée.

Mais que les Suisses ne se plaignent pas. Ceux qui auraient pu faire face il y a dix ans ne l’ont pas fait – je pense avant tout à Swatch -, et maintenant il est trop tard. Est-ce un manque de vision? De la suffisance? Ironiquement, Swatch qui a déjà sauvé l’horlogerie suisse une première fois en créant un concept en rupture et en avance sur son temps n’a pas réitéré le geste. Elle n’a pas su innover et elle est donc une des grandes perdantes.»

La stratégie de la niche de Manuel Emch

Sur la prise de risque

«Il manque à l’horlogerie suisse une culture de la prise de risque. Une culture non pas managériale mais entrepreneuriale. Le train Apple est passé. Se battre sur une technologie sans en avoir ni les compétences ni les outils technologiques est perdu d’avance. Ce n’est pas une vision pessimiste mais tout simplement réaliste. La bataille est terminée, il convient de se remettre en question profondément. Il faut oser des choses différentes. Il faut faire des choix et prendre des risques. Dans le segment moyen, et bien au-delà, toutes les marques qui n’ont pas un positionnement clair et assumé sont perdantes. Comme me le disait un de mes mentors, ‘Pour construire, il faut d’abord déconstruire’. »

Sur le délitement du tissu horloger

«La période est difficile et, sans doute et à regret, il y aura des dégâts dans l’emploi – pas tout de suite mas ça va progressivement s’éroder -, la formation, mais aussi le tissu industriel, donc la créativité elle-même. Et sans elle, impossible de s’en sortir. Le risque est grand d’une perte ainsi des savoir- faire. Mais le pire serait de s’y résigner. Il faut repenser tout le modèle, penser de manière iconoclaste car demain, la polarisation va encore grandir. Nous sommes face, bien au-delà de la seule horlogerie, à une large transition impossible à parer.»

L’horlogerie est-elle passée de mode ?

«Dire de l’horlogerie qu’elle est passée de mode est exagéré. La poursuite de ses succès repose sur un constat: la montre mécanique n’est plus seulement un instrument mais un accessoire. Un accessoire statutaire et émotionnel qui dit beaucoup sur vous et raconte des histoires. Et puis, dans un monde technologique aux évolutions si rapides, l’homme se sent déstabilisé. L’objet anachronique qu’est la montre traditionnelle, «faite main», a quelque chose de rassurant, apporte une forme de stabilité dans un monde mouvant à grande vitesse. Elle est un produit émotionnel. Et, preuve supplémentaire qu’elle continue à attirer fortement, il suffit de voir le nombre d’initiatives, de lancements de nouvelles marques, notamment via un Kickstarter. Il y aura beaucoup d’échecs, mais il y a de la place pour la vision, l’innovation, la créativité. A condition d’être honnête, transparent et courageux.»

Sur le succès du vintage et du pre-owned

«L’horlogerie suisse a longtemps été sourde et la porte d’accès aux nouvelles montres est devenue de plus en plus inatteignable pour beaucoup. D’un côté on a créé du désir et de l’autre on a mis l’objet hors de portée. Alors, le client a trouvé une solution dans le vintage où il pouvait trouver des montres historiques, émotionnelles, fiables techniquement, à des prix bien moins chers tout en représentant un investissement.

Les marques y ont vu une opportunité de revenu important, et ont monté leurs départements preowned poursaisir ce marché. C’est un peu paradoxal car ce sont souvent ces mêmes marques qui ont provoqué cette situation.»

Les marques y ont vu une opportunité de revenu important, et ont monté leurs départements preowned poursaisir ce marché.

A propos de la strategie de la niche

«Les grands groupes sont désormais pilotés par des logiques avant tout financières. Il n’y a plus de asset de vision, de courage et de confrontation. J’ai tout appris d’un vrai entrepreneur, qui bousculait les conventions, avait de l’audace, qui osait (ndlr Nicolas G. Hayek). Le futur de la créativité repose désormais entre les mains des petites structures. Elle passe par des propositions qui ne cherchent pas le plus petit commun dénominateur pour tenter de plaire au plus grand nombre mais qui se distinguent par leur créativité et leur audace. Il n’existe pas de formule miracle du succès. Il faut prendre le risque d’oser, d’innover. Avoir un regard iconoclaste. Se différencier. Ne pas avoir peur de la niche, bien au contraire. Tout ce qui restera dans l’entre-deux, tout ce qui est de l’eau tiède est condamné. Alors, vive la niche. Vive la différence.»

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