Joaillerie et horlogerie


Guillaume Chautru, le chasseur de trésors de Piaget

ENTRETIEN

English
septembre 2022


Guillaume Chautru, le chasseur de trésors de Piaget

Le gemmologue de Piaget est constamment en quête de pierres rares pour orner les bijoux de la maison. Un métier devenu de plus en plus exigeant: la demande des clients pour des gemmes exceptionnelles augmente, alors que la matière première n’est pas renouvelable. Avant de faire ce métier, il élevait des serpents. Rencontre haute en couleur.

G

uillaume Chautru a longtemps opéré dans l’ombre. C’est la règle d’ailleurs chez les chasseurs de pierres des grandes maisons. Avant de prendre en charge le département de gemmologie Piaget, qu’il dirige depuis six ans, il a longtemps œuvré chez Cartier. Et bien avant cela, il élevait des serpents. Les reptiles sont une passion chez cet homme, comme les fonds sous-marins. Ceci explique peut-être son goût particulier pour les gemmes aux couleurs changeantes.

La rencontre a eu lieu lors du salon Watches & Wonders, qui s’est tenu à Genève en avril dernier. Dans l’une des vitrines, un collier qui pouvait se porter de neuf manières différentes était orné d’un diamant jaune et d’un spinelle extraordinaire. Cette gemme commence seulement à intéresser les collectionneurs et le prix a drastiquement augmenté ces dernières années. Ces deux pierres ont chacune une histoire et Guillaume Chautru s’est fait un plaisir de les raconter.

Guillaume Chautru, responsable du département de gemmologie de Piaget
Guillaume Chautru, responsable du département de gemmologie de Piaget

En juillet dernier, Piaget présentait sa collection de haute joaillerie Solstice. Chaque pièce présentée était ornée d’une pierre de centre magnifique comme comme ce saphir ancien du Sri Lanka de 15,02 carats qui semble jaillir d’une écume de diamants, cette émeraude de Zambie de 9,10 carats ornant un collier comme une dentelle, ou encore ce saphir rose de Madagascar de 6,06 carats, pris dans un entrelacs de diamants. Autant de pierres découvertes par Guillaume Chautru. Rencontre.

Europa Star: Pourrait-on qualifier votre métier de «chasseur de trésors»?

Guillaume Chautru: Ce n’est pas faux. Je suis en quête de pierres rares, d’autant plus rares que nous avons aujourd’hui beaucoup de compétiteurs et les matières ne sont pas renouvelables. On en trouve de moins en moins, or le niveau d’exigence des clients est de plus en plus élevé: ils n’acceptent plus les inclusions dans les pierres de couleurs, par exemple, et cela implique que nous retaillions environ 90% de tout ce que l’on trouve.

Une courtière en pierres précieuses (lire ici) nous a expliqué que seulement 2% ou 3% des gemmes peuvent être considérées comme des pierres d’investissement. Vous confirmez?

Oui et même probablement moins, car il est un facteur que l’on ne prend pas suffisamment en compte lorsque l’on parle d’investissement: la liquidité. Une grande pierre est très difficile à vendre.

«Il est un facteur que l’on ne prend pas suffisamment en compte lorsque l’on parle d’investissement: la liquidité. Une grande pierre est très difficile à vendre.»

Sertissage du collier Flamboyant Nightfall serti d'un saphir rare du Sri Lanka d'environ 15,02 carats.
Sertissage du collier Flamboyant Nightfall serti d’un saphir rare du Sri Lanka d’environ 15,02 carats.

Quand vous cherchez des pierres de centre pour les bijoux Piaget, est-ce une priorité pour vous de choisir des pierres d’investissement?

Nous avons une gamme qui s’appelle Trésor et dont toutes les gemmes sont des pierres dites d’investissement, mais ce n’est pas notre première motivation. Ce que l’on recherche, ce sont les pierres les plus belles possibles, en termes de couleur, de pureté, et avec la meilleure taille possible. Nos critères de qualité sont tellement élevés que nos acquisitions deviennent automatiquement des pierres d’investissement.

Quel métier vouliez-vous faire quand vous étiez enfant?

Je ne m’en souviens pas, mais mon premier métier était éleveur de serpents. J’ai commencé quand j’avais quinze ans et j’ai fait cela pendant presque dix ans. Je sélectionnais les mâles et les femelles afin d’avoir des petits qui soient les plus colorés possibles. J’ai trois passions dans la vie: la plongée au tuba - j’adore nager au milieu des coraux et des poissons multicolores -, les reptiles et les gemmes. Or le point commun entre les trois, ce sont les couleurs: je suis finalement un vrai passionné de couleurs.

Les reptiles sont une passion chez cet homme, comme les fonds sous-marins. Ceci explique peut-être son goût particulier pour les gemmes aux couleurs changeantes.

Gouaché du collier Flamboyant Nightfall.
Gouaché du collier Flamboyant Nightfall.

Ce goût a-t-il une influence sur votre choix de pierres?

Tout à fait, mais je dois sélectionner des pierres non pas selon mes goûts mais en fonction de l’identité de la maison pour laquelle je travaille. Heureusement, Piaget est connu pour son esprit très festif.

En achetez-vous pour vous?

J’en ai beaucoup acheté lorsque j’étais à mon compte, mais uniquement pour les offrir. Je les retaillais et je les offrais.

Qu’est-ce qui vous a mené des serpents vers la gemmologie?

Les lieux où j’allais chercher les serpents, principalement en Asie du Sud Est, étaient des endroits où il y avait des mines. J’ai beaucoup côtoyé les gens qui y travaillaient et ils m’ont initié. J’ai passé du temps avec des tailleurs au Sri Lanka et en Birmanie et j’ai voulu apprendre. Je m’y suis mis à fond. Par la suite, j’ai suivi des études de gemmologie, j’ai appris la taille, j’ai été enseignant aussi. C’est ainsi que m’est venu l’attrait pour les pierres, grâce aux gens.

«Les lieux où j’allais chercher les serpents, principalement en Asie du Sud Est, étaient des endroits où il y avait des mines. J’ai beaucoup côtoyé les gens qui y travaillaient et ce sont eux qui m’ont initié.»

Avez-vous des gemmes préférées?

J’aime beaucoup les saphirs roses, parce que c’est la pierre la plus puissante que je connaisse, les Padparadscha pour l’équilibre de leur couleur et les saphirs à couleur changeante.

Collier Extraordinary Lights Necklace, collection haute joaillerie Limelight de Piaget. Ce collier avec son diamant fancy vivid yellow IF de 8,88 cts de forme coussin en pierre de centre, son saphir du Sri Lanka de 5,34 cts en forme de poire et son spinelle rare de Tanzanie de 3,61 cts peut se transformer de neuf façons différentes. Il peut donner lieu à huit colliers différents et un bracelet.
Collier Extraordinary Lights Necklace, collection haute joaillerie Limelight de Piaget. Ce collier avec son diamant fancy vivid yellow IF de 8,88 cts de forme coussin en pierre de centre, son saphir du Sri Lanka de 5,34 cts en forme de poire et son spinelle rare de Tanzanie de 3,61 cts peut se transformer de neuf façons différentes. Il peut donner lieu à huit colliers différents et un bracelet.

Le diamant jaune en pierre de centre qui orne le collier présenté lors de Watches & Wonders est très beau mais le spinelle qui l’accompagne possède une couleur particulière. Quelle est leur histoire?

Lorsque l’on crée un ensemble comprenant un collier, une bague et des boucles d’oreilles, je recherche d’abord la pierre de centre du collier. Pour être certain de trouver des pierres qui s’accordent, on part toujours de la plus compliquée. J’avais trouvé un diamant jaune d’un peu plus de 9 carats, mais il ne correspondait pas à mes critères: il avait une petite inclusion dans la culasse. Or quand j’ai calculé les angles pour la retailler et en densifier la couleur, je me suis rendu compte que l’inclusion disparaîtrait avec la taille. Piaget et le groupe Richemont m’ont fait confiance. Il a fallu que je convainque certains tailleurs qui la trouvaient très bien comme elle était. Le diamant faisait environ 9,05 carats; nous avons réussi à le transformer en un diamant Fancy Vivid Yellow Internally Flawless (sans inclusion, ndlr) de 8,88 carats. En enlevant 1/2 carat, et en faisant disparaître l’inclusion, nous avons ajouté 30% de valeur à la pierre!

Et le spinelle?

Chez Piaget, on travaille avec un seul type de spinelle tanzanien qui provient d’une petite mine n’ayant produit des pierres que pendant une semaine, il y a une vingtaine d’années. C’est la qualité ultime! Elles sont très reconnaissables: le cristal est très propre et il possède le meilleur des rouges. Pour réussir à s’en procurer, il faut retrouver les personnes qui ont eu des bruts à l’époque, savoir chez qui les pierres sont aujourd’hui, voir si ces gens veulent les vendre… En général, il s’agit de pierres brutes, ce qui nous intéresse car nous pouvons les retailler comme nous le voulons. Tous les spinelles que l’on achète chez Piaget proviennent de cette mine-là et c’est pour cela que nous en avons assez peu.

«Piaget travaille avec un seul type de spinelle tanzanien qui provient d’une petite mine n’ayant produit des pierres que pendant une semaine, il y a une vingtaine d’années. C’est la qualité ultime!»

Comment expliquez-vous que si peu de clients connaissent et apprécient les spinelles alors que c’est tout de même la pierre qui orne la couronne impériale d’apparat britannique, malgré son appellation de rubis du Prince noir?

C’est une question de temps. Le spinelle est un matériau extrêmement noble et suffisamment dur pour être utilisé en joaillerie: il a une dureté de 8 (le diamant a une dureté de 10, le saphir et le rubis 9 et l’émeraude entre 7,5 et 8, ndlr). C’est un oxyde de magnésium alors que le rubis est un oxyde d’aluminium. Il a un indice de réfraction très proche de celui du rubis. On a longtemps cru que le spinelle du Prince noir était un rubis car on les trouve dans les mêmes gisements et leurs propriétés physico-chimiques sont semblables. Or plus les clients les connaissent et les apprécient et plus leur prix augmente: depuis dix ans, il a explosé.

Partez-vous d’abord à la recherche de pierres et les dessins suivent vos découvertes ou il n’y a pas d’ordre?

Environ 80% des collections sont dessinées autour des pierres. Cela nous permet d’avoir une cadence de création assez fiable: quand nous avons les gemmes en notre possession, le plus dur est déjà fait.

Collier Precious Adornment avec son émeraude de Zambie non huilée de 9,21 carats, de taille émeraude qui a été créée par Piaget sur la base d'une émeraude de 16 carats emplie d'inclusions.
Collier Precious Adornment avec son émeraude de Zambie non huilée de 9,21 carats, de taille émeraude qui a été créée par Piaget sur la base d’une émeraude de 16 carats emplie d’inclusions.

Quelle fut votre plus belle découverte?

Une émeraude de 16 carats emplie d’inclusions et très peu huilée que j’ai retaillée l’année dernière. Elle était très compliquée à tailler. D’ailleurs, quand je l’ai achetée, mon équipe a cru que j’avais bu (rires). Le beau cristal qui était à l’intérieur était très compliqué à voir. Elle a été retaillée sept fois et il a fallu trois ans pour la terminer. De 16 carats, elle est passée à 9 carats, non huilée et sans inclusion. Aujourd’hui elle vaut 5 fois plus que le prix que je l’ai payée. J’ai de la chance que la marque me laisse faire car cela demande beaucoup de temps et il y a des risques: une émeraude se casse très facilement Mais le jeu valait largement la chandelle. Pour le client final, c’est une superbe affaire! Elle est d’ailleurs en train d’être vendue. Désormais, on ne pourra plus satisfaire pleinement un client qui a un haut degré d’exigence sans effectuer des retailles très profondes dans les pierres.

«De 16 carats, une émeraude que j’ai retaillée l’année dernière est passée à 9 carats, non huilée et sans inclusion. Aujourd’hui elle vaut 5 fois plus que le prix que je l’ai payée.»

Comment avez-vous vu cette pierre pure au milieu de toutes ces inclusions?

Je travaille toujours avec une lampe et je parcours la pierre dans des axes très spécifiques. Avec les émeraudes, ce qui est compliqué c’est que les inclusions sont tridirectionnelles. Il faut donc imaginer ce que sera la pierre taillée en prenant cet élément en compte. On doit avancer à tâtons. C’est surtout une question d’expérience. Comme on dit dans le métier, j’ai «mangé beaucoup de bruts» dans ma vie.

Dans votre métier, il y a de fortes chances qu’un jour ou l’autre on fasse une erreur. Est-ce que cela vous est arrivé?

Quand j’étais enseignant, je disais toujours à mes élèves que l’expertise est un métier où l’on met dix ans à se faire un nom et dix secondes pour le perdre. Il y a quelques années, j’étais à Chanthaburi, dans le sud de la Thaïlande, à la recherche de pierres. Je n’avais rien vu d’intéressant lorsqu’à la fin de la journée, un gros sac de spinelles violets, de qualité assez médiocre, est passé devant moi. Je me suis dit que je n’avais pas de spinelles à couleur changeante dans ma collection, pourquoi ne pas en chercher une? J’ai pris ma lampe à changement de couleur, j’ai regardé le contenu du sac et soudain j’ai découvert un spinelle de 5 carats qui avait un magnifique changement de couleur!

Le monsieur ne voulait pas me la céder: il voulait vendre tout le sac et moi je ne voulais qu’une seule pierre. Finalement il a cédé. A mon retour, je l’ai montrée à un ami et il m’a dit: «Ton saphir birman est incroyable!» J’étais convaincu d’avoir acheté un spinelle mais quand j’ai pris le binoculaire et que j’ai regardé la pierre, j’ai vu qu’en effet c’était un saphir. Ce qui m’avait induit en erreur, c’est qu’il avait des inclusions octaédriques, typiques des spinelles. Mais il arrive que l’on trouve de telles inclusions dans les saphirs birmans et parfois sri lankais. Et c’est ainsi que pour 50 dollars, j’ai acheté un magnifique saphir birman à changement de couleur de 5 carats. C’était une très belle erreur.

Voluptuous Ribbon Necklace, serti d'un saphir rose non chauffé de Madagascar de 6,06 carats de taille coussin
Voluptuous Ribbon Necklace, serti d’un saphir rose non chauffé de Madagascar de 6,06 carats de taille coussin

Quelle fut votre plus grande frustration, une pierre que vous n’avez pas pu acquérir par exemple?

Je me souviens d’un rubis poire de 9 carats, ce qui ne court pas les rues. Il était très allongé et nécessitait une retaille. Je voulais le raccourcir pour parvenir à un rubis de 8,88 carats mais cela aurait coûté beaucoup d’argent et le département marketing a dit non. La personne qui l’a acheté en a fait une pierre incroyable: aujourd’hui elle vaut le double de ce qu’elle a coûté.

Pourquoi ce chiffre de 8,88 carats?

C’est un chiffre qui porte bonheur en Asie. Quand je taille une pierre et que je m’approche de ce chiffre-là, j’essaie toujours de l’atteindre, car cela va inciter le client à l’acheter. Et je me dis aussi que si j’y parviens, cela me portera chance à moi aussi. Piaget possède une boutique à Macao où l’on trouve des diamants de 7,77 carats, pour les clients qui jouent au casino.

Quelle pierre rêvez-vous de découvrir?

Je suis fou des grenats à changement de couleur et le seul endroit où l’on a trouvé des grenats bleus (dans les années 1990, ndlr), c’est à Bekily dans le sud de Madagascar. C’est une pierre extrêmement masculine, qui passe d’un bleu cachemire très profond à un rouge quasiment comme un rubis birman. La mine n’en produit plus et mon rêve serait de trouver un jour ces pierres-là.

«Le seul endroit où l’on a trouvé des grenats bleus, c’est dans le sud de Madagascar (dans les années 1990, ndlr). La mine n’en produit plus et mon rêve serait de trouver un jour ces pierres-là.»