Joaillerie et horlogerie


Van Cleef & Arpels, une philosophie de l’étonnement

ENTRETIEN

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juin 2022


Van Cleef & Arpels, une philosophie de l'étonnement

Nicolas Bos, le CEO de Van Cleef a été nommé à la tête du joaillier parisien en 2013. Au fil des ans, il a instauré au cœur de la maison une culture de la poésie et de l’enchantement. Rencontre.

L

ors du salon Watches & Wonders qui s’est tenu du 30 mars au 5 avril à Genève, un stand faisait l’unanimité: celui de Van Cleef & Arpels. Alors que la guerre en Ukraine venait d’éclater un mois plus tôt et que le moral de tous en était sérieusement affecté, le joaillier parisien a reçu ses visiteurs sur un stand enchanteur.

Un lieu où les automates avaient le pouvoir de transporter momentanément l’esprit dans un autre monde, un univers où règne le savoir-faire, la poésie, et la beauté et où l’heure se lit avec des fleurs. «L’étonnement, c’est le commencement de la philosophie»: cette citation d’Aristote pourrait bien s’appliquer à Van Cleef & Arpels.

Cela fait bientôt dix ans que Nicolas Bos a été nommé président et CEO de la maison et celle-ci rencontre un formidable succès. Rencontre.

Nicolas Bos, Président et CEO de Van Cleef & Arpels
Nicolas Bos, Président et CEO de Van Cleef & Arpels

Europa Star: Quelle est la place de la poésie dans le monde contemporain?

Nicolas Bos: En tant que forme littéraire, elle occupe de nouveau une place très importante. La poésie au sens traditionnel, avec son rythme et ses rimes, a rejoint des formes liées à la culture urbaine, à la chanson, au hip hop. C’est un art très vivant. D’ailleurs, Van Cleef & Arpels vient de monter un programme de poésie au Guggenheim à New York. Chaque année, le musée accueillera un poète qui va organiser toute l’année un programme dans des espaces dédiés: des lectures, des conférences, des rencontres. Il va accueillir de jeunes poètes. C’est assez symbolique de voir l’importance de la poésie dans le monde de la culture aujourd’hui.

«Van Cleef & Arpels vient de monter un [programme de poésie au Guggenheim à New York. Chaque année, le musée accueillera un poète qui organisera un programme de lectures, conférences et rencontres.»

Le cadran tridimensionnel de la Lady Arpels Heures Florales offre une restitution poétique du temps qui passe, grâce à l'ouverture et la fermeture de 12 corolles. Donner l'heure devient un spectacle, car les fleurs s'épanouissent et se referment, renouvelant le décor du cadran toutes les 60 minutes.
Le cadran tridimensionnel de la Lady Arpels Heures Florales offre une restitution poétique du temps qui passe, grâce à l’ouverture et la fermeture de 12 corolles. Donner l’heure devient un spectacle, car les fleurs s’épanouissent et se referment, renouvelant le décor du cadran toutes les 60 minutes.

Comment la poésie s’exprime-t-elle chez Van Cleef & Arpels?

La plupart de nos sources d’inspiration proviennent de la nature et des contes de fée, une approche poétique et pas très réaliste de la vie. Nous interprétons cette légèreté, ce mouvement, grâce à des savoir-faire très concrets et des matières denses, difficiles à travailler. Quand nous avons commencé à réfléchir sur la présence de la maison au sein du salon Watches & Wonders et, au-delà des pièces elles-mêmes, sur la décoration du stand, son architecture, nous avons eu envie de présenter un univers qui soit, surtout en ce moment, à la fois confortable rassurant, enveloppant et serein. Comme une parenthèse enchantée pour nos visiteurs.

Vos automates, la montre qui dit l’heure avec des fleurs, ou la danseuse papillon qui indique le temps qui passe avec ses ailes, sont des pièces qui émerveillent. Elles semblent tomber à pic dans une période dramatique. Essayez-vous de réenchanter l’époque avec ces objets?

Ce serait arrogant de penser que l’on peut réenchanter le monde, mais la maison aime s’inscrire dans le registre du merveilleux. On est plus dans l’esprit du romantisme du XIXe siècle – la célébration de la nature, de la beauté et de l’amour – qui nous inspire. Et même si le romantisme, en tant que mouvement littéraire, pouvait porter en lui un aspect sombre, à travers la poésie on s’extrait du temps et du quotidien pour retrouver ce qu’il y a de plus magique dans le monde. Beaucoup de nos créations, dans les domaines de l’horlogerie, de la joaillerie ou des arts décoratifs, relèvent de cet esprit. Je pense qu’il n’est pas besoin de se demander si l’on a besoin de poésie aujourd’hui.

«L’esprit du romantisme du XIXe siècle nous inspire: en tant que mouvement littéraire, il pouvait porter en lui un aspect sombre, mais à travers la poésie on s’extrait du temps et du quotidien pour retrouver ce qu’il y a de plus magique dans le monde.»

Haut de 30 centimètres, l'automate Rêveries de Berylline est le premier d'une série de pièces inspirées par la nature, réalisées en partenariat avec l'atelier François Junod. Ici, une fleur née dans un jardin imaginaire s'anime à la demande, ouvrant ses pétales pour dévoiler un colibri prêt à s'envoler.
Haut de 30 centimètres, l’automate Rêveries de Berylline est le premier d’une série de pièces inspirées par la nature, réalisées en partenariat avec l’atelier François Junod. Ici, une fleur née dans un jardin imaginaire s’anime à la demande, ouvrant ses pétales pour dévoiler un colibri prêt à s’envoler.

Le groupe Richemont ne donne pas les chiffres de ses différentes entreprises mais on sait que Cartier et Van Cleef & Arpels mènent le bal. Comment expliquez-vous les résultats de Van Cleef & Arpels?

Je pense que c’est un tout. Chaque maison a son identité et tant que celle-ci reste claire, attractive, transversale, cohérente, soutenue par des créations, des collections et des éléments de communication, c’est un gage de succès. Notre identité se situe dans une dimension narrative poétique. Elle est forte et pertinente. Si l’on parle plus concrètement des succès de ces dernières années, même dans des circonstances un peu difficiles, la maturité des maisons a joué un rôle. Les entreprises qui ont la chance d’être très internationales, bien implantées sur beaucoup de marchés différents, avec une histoire forte, ont moins subi les aléas que l’on a traversés ces dernières années parce qu’elles étaient moins dépendantes d’une clientèle, d’un marché, d’un pays. C’est plus compliqué pour des maisons implantées localement ou sans assise historique.

Van Cleef & Arpels est présente en Europe depuis un siècle, aux Etats-Unis depuis les années 1930 et au Japon depuis 50 ans. Ces ancrages font que, même pendant les périodes de repli du monde, les clients vont chercher à se tourner vers des marques qui ont une histoire qu’ils connaissent, qui les rassurent et qui font partie de leur paysage. Nous avons la chance de faire partie de ce groupe-là. Cela a été un accélérateur pendant la période difficile que l’on a connue ces dernières années et que l’on traverse encore. Les maisons qui traversent les écueils ont une identité assez forte, elles savent s’inscrire dans la modernité et ont une forte capacité, en termes de ressources, à réagir. Lorsque l’Europe marque un temps d’arrêt, elles sont présentes en Asie; s’il n’est pas possible d’organiser de lancement, elles peuvent mettre sur pied une exposition. Tout cela explique le succès de certaines maisons.

Née en 2013 et lauréate du Prix de la Complication Dame au GPHG la même année, la Lady Arpels Ballerine Enchantée reflète l'une des principales sources d'inspiration de la marque: la danse. Sur demande, le personnage indique les heures et les minutes en levant les bras.
Née en 2013 et lauréate du Prix de la Complication Dame au GPHG la même année, la Lady Arpels Ballerine Enchantée reflète l’une des principales sources d’inspiration de la marque: la danse. Sur demande, le personnage indique les heures et les minutes en levant les bras.

Seules 2 ou 3% des pierres précieuses vendues sur le marché sont considérées comme des pierres d’investissement. Lorsque Van Cleef & Arpels crée des bijoux, outre son apport créatif et son savoir-faire, est-ce que cette dimension est prise en compte ou est-ce que la beauté de l’objet prime?

BLa beauté est importante mais cette dimension entre en ligne de compte quand on parle de haute joaillerie, qu’il s’agisse d’une pierre de centre très identifiée ou d’un ensemble de pierres. Mais les bijoux en soi, que ce soit un collier Zip ou un serti mystérieux par exemple, qui sont des inventions de la maison, ont aussi une valeur d’investissement. La signature, l’esthétique, la technique, jouent un rôle dans la décision d’achat des clients et des collectionneurs. Ce sont des pièces qui vont garder une valeur et possiblement s’apprécier.

«Pendant les périodes de repli du monde, les clients vont chercher à se tourner vers des marques qui ont une histoire qu’ils connaissent, qui les rassurent et qui font partie de leur paysage.»

Quelle fut la plus grande leçon reçue dans votre carrière, le croche-pied que la vie vous a fait?

Cela va paraître prétentieux mais je pense que j’ai eu beaucoup de chance. Cela ne veut pas dire que nous n’ayons pas traversé des crises ou des difficultés quand le monde se ferme, comme par exemple lors de la faillite de Lehman Brothers ou le 11 septembre 2001. Il y a des moments où l’on pense à la fin de beaucoup de choses, mais je n’ai pas le souvenir d’épreuves que j’aurais dû surmonter chez Van Cleef & Arpels. Il faut aussi se souvenir que nous travaillons sur des temps longs dans cette maison, et de ce fait, les choses s’inscrivent dans la durée.

Pour créer une collection, il faut compter 3 à 5 années. Pour mettre au point notre premier automate, nous avons mis presque dix ans! A un ou deux moments je me suis quand même dit qu’on ne le sortirait jamais, et pour finir, le projet s’est réalisé. Pour se retrouver dans des situations d’échec, il faut travailler sur des rythmes assez courts, faire un mauvais choix, prendre une mauvaise décision, se retrouver dans de mauvaises circonstances et cela aura des conséquences négatives assez rapides et fortes. Nous, lorsque nous faisons des choses qui marchent un peu moins bien – cela nous est arrivé – nous redirigeons, nous faisons attention. C’est l’avantage d’avoir du temps…

Se distinguant par ses dimensions impressionnantes (50 cm de haut et 66,5 cm de diamètre), l'automate Planétarium présente le Soleil et plusieurs des planètes du système solaire visibles depuis la Terre. Chaque corps céleste se déplace à sa vitesse de rotation réelle, effectuant une orbite en 88 jours pour Mercure, 224 jours pour Vénus, 365 jours pour la Terre, 687 jours pour Mars, 11,86 ans pour Jupiter et 29,5 ans pour Saturne.
Se distinguant par ses dimensions impressionnantes (50 cm de haut et 66,5 cm de diamètre), l’automate Planétarium présente le Soleil et plusieurs des planètes du système solaire visibles depuis la Terre. Chaque corps céleste se déplace à sa vitesse de rotation réelle, effectuant une orbite en 88 jours pour Mercure, 224 jours pour Vénus, 365 jours pour la Terre, 687 jours pour Mars, 11,86 ans pour Jupiter et 29,5 ans pour Saturne.

Depuis une dizaine d’années, Van Cleef & Arpels a effectué un énorme travail pour mettre en avant les métiers d’art, avec notamment la création de l’Ecole des Arts Joailliers en 2013. Ressentez-vous un effet vertueux sur les vocations chez les plus jeunes pour ces métiers du savoir-faire?

Oui et c’est l’une de mes grandes satisfactions! L’un des effets positifs de vieillir, c’est que l’on commence à recevoir des candidatures de futurs joailliers ou artisans qui nous disent avoir découvert le métier grâce à des expositions que nous avons réalisées ou par des cours qu’ils ont suivi dans notre Ecole des Arts Joailliers. Ils étaient venus enfants suivre des classes qui leur étaient dédiées, ils avaient 8 ans, aujourd’hui ils en ont 18 et ils veulent faire de la joaillerie leur métier.

«Pour mettre au point notre premier automate, nous avons mis presque dix ans! C’est l’avantage d’avoir du temps…»

Vous avez été nommé CEO en 2013. Presque dix ans plus tard, comment regardez-vous le chemin parcouru?

C’est passé assez vite! Les années les plus compliquées furent celles du début de ma carrière chez Van Cleef & Arpels, lorsque je m’occupais du marketing et de la création et que nous essayions de trouver la bonne manière de continuer la construction de cette maison. Ces moments sont fondateurs. J’ai ensuite pris le relais de personnes formidables. Un jour je le transmettrai à mon tour à d’autres, mais j’espère que ce n’est pas pour tout de suite (rires.)