Horlogerie et environnement


De l’«ego trip» à l’«éco trip»

ÉDITORIAL

English
octobre 2022


De l'«ego trip» à l'«éco trip»

Après la virevoltante «course aux tourbillons» des années 2000 et la «rétro-course au vintage» des années 2010, la décennie qui s’est ouverte s’annonce comme la «course à qui sera le plus vert». Mais une durabilité sincère ne commence-t-elle pas justement par une approche plus humble?

L

a période estivale a été chaude, voire bouillante à travers le monde – les records de température étant battus année après année, les phénomènes autrefois dits «extrêmes» s’installent progressivement comme le nouveau standard. L’implication humaine dans le réchauffement climatique est elle aussi attestée année après année. Un «point de non-retour» ayant été atteint, la question est de savoir à quel degré la planète se réchauffera: +1,5°, +2°, +3° d’ici la fin du siècle?

Pour certains, puisqu’il est déjà trop tard pour limiter les dégâts, il est temps d’envisager des solutions comme la géo-ingénierie: autant assumer l’impact humain sur le climat et faire preuve d’ingéniosité dans cette manipulation de la planète. Des scientifiques se penchent sur des solutions comme le largage de souffre dans l’atmosphère par les avions de ligne ou l’installation de miroirs géants en orbite.

Des scientifiques se penchent sur des solutions comme le largage de souffre dans l’atmosphère par les avions de ligne ou l’installation de miroirs géants en orbite.

L’industrie horlogère est elle aussi atteinte d’une vague de chaleur: jamais peut-être l’euphorie n’a été aussi forte pour ses produits, en particulier pour les modèles de collection. Travaillant sur la base de ressources rares, très dépendante de la géopolitique, l’industrie se doit de scruter avec la plus grande attention l’impact qu’aura ce réchauffement climatique sur son évolution de long terme.

Il n’est jamais trop tard pour agir et les initiatives dites «éco-responsables» se sont multipliées et accélérées ces dernières années – un peu tard diront les plus pessimistes (et les générations futures): fallait-il attendre le point de non-retour pour mettre en branle ce chantier? Après la virevoltante «course aux tourbillons» des années 2000 et la «rétro-course au vintage» des années 2010, la décennie qui s’est ouverte s’annonce comme la «course à qui sera le plus vert».

En 2019, l'horloger indépendant H. Moser & Cie, aujourd'hui certifié RJC, présentait sa «Nature Watch» comme un symbole de la fragilité de notre écosystème et un appel à agir ensemble. Composée de plantes suisses endémiques, cette montre hors du commun a vu le jour dans les jardins de la manufacture de la marque à Schaffhouse. En quelque sorte donc, la première montre véritablement organique, comme un clin d'œil 100% «Swiss Grown»: une pièce unique en acier agrémenté de succulentes, mousse, mini echeveria, cresson, tradescantia et oignons de semence, avec un cadran en pierre minérale naturelle et lichen des Alpes suisses et un bracelet en gazon. Précision importante: à arroser deux fois par jour!
En 2019, l’horloger indépendant H. Moser & Cie, aujourd’hui certifié RJC, présentait sa «Nature Watch» comme un symbole de la fragilité de notre écosystème et un appel à agir ensemble. Composée de plantes suisses endémiques, cette montre hors du commun a vu le jour dans les jardins de la manufacture de la marque à Schaffhouse. En quelque sorte donc, la première montre véritablement organique, comme un clin d’œil 100% «Swiss Grown»: une pièce unique en acier agrémenté de succulentes, mousse, mini echeveria, cresson, tradescantia et oignons de semence, avec un cadran en pierre minérale naturelle et lichen des Alpes suisses et un bracelet en gazon. Précision importante: à arroser deux fois par jour!

Mais une durabilité sincère ne commence-t-elle pas justement par une approche plus humble? C’est là l’un des travers de cette industrie, comme du luxe en général: la tentation à l’emphase tourne à plein. Difficile de distinguer les initiatives valeureuses lorsqu’elles sont accompagnées d’une communication boursouflée autour de réalisations souvent assez sommaires. On s’arroge bien sûr des titres ronflants, on se donne du «Chief Climate Change Awareness Officer», on engage de prestigieux ambassadeurs et on se met en scène sur de beaux fonds naturels. «Eco trip» ou «ego trip»?

Attention aux effets de manche. Le recours aux énergies renouvelables dans une Suisse tournant largement à l’énergie hydraulique n’est en soi pas un acte de bravoure fou. De même, la multiplication des certifications rend peu lisibles les réalisations, faisant parfois penser aux «prix de la participation» que l’on crée pour récompenser les enfants même les moins méritants. Et comme dans le monde financier, l’utilisation d’un jargon technique sert souvent à masquer une réalité moins reluisante.

Gardons espoir, car le changement s’immisce partout: il est possible d’agir dans chaque segment de prix et quelle que soit la taille de l’entreprise.

La transition numérique est sans doute le plus flagrant exemple de greenwashing: puisque cela ne se voit pas, cela ne pollue donc pas? La consommation d’énergie annuelle des data centers dans le monde dépasse déjà celle d’un grand pays comme la France et devrait quadrupler d’ici 2030. Les turbines tournent à plein régime pour refroidir les serveurs d’un monde numérique surchauffé, qui se gargarise de sa propre communication.

Gardons espoir, tout cela est sans doute la rançon du changement dans une industrie qui base désormais son succès sur son image. Car le changement s’immisce partout: comme notre dossier spécial, réalisé par Benjamin Teisseire, le démontre bien à travers plusieurs cas d’étude, il est possible d’agir dans chaque segment de prix et quelle que soit la taille de l’entreprise. Certaines des marques pionnières sont d’ailleurs – comme on l’observe souvent dans nos archives – actives dans l’entrée de gamme.

La thématique dépassant les cas individuels des marques, une coordination des efforts autour de standards environnementaux minimaux – comme c’est le cas pour le Swiss made et malgré tous les travers que cela implique – serait bénéfique pour l’industrie dans son ensemble, Or, ces tentatives restent laborieuses. C’est sans doute là que l’«ego trip» doit laisser la place à l’«éco trip» collectif.