Joaillerie et horlogerie


Pierre Salanitro crée le cabinet de curiosités du XXIe siècle

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mars 2023


Pierre Salanitro crée le cabinet de curiosités du XXIe siècle

Après une première collection joaillière co-créée avec The Unnamed Society, le maître joaillier Pierre Salanitro vient de lancer à Genève ses premiers objets précieux sous sa marque S by Salanitro. Présentation.

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ors d’un entretien qu’il nous avait donné en octobre 2022, le maître joaillier Pierre Salanitro annonçait qu’il allait créer des objets précieux à la fois sous son nom et en collaboration avec des marques, des artistes, ou des écoles. «Des produits non horlogers, afin de ne pas entrer en concurrence avec mes clients et exclusivement des pièces uniques: des bijoux, des objets, des jeux, de l’art…» Il avait commencé par des bijoux talismans, fruits d’une collaboration entre The Unnamed Society et sa nouvelle marque «S by Salanitro». Quelques mois plus tard, les premiers objets d’art sont révélés.

En ce jeudi 23 mars 2023, toute l’aristocratie du monde horloger s’est réunie à la Bailly Gallery pour découvrir ses créations. On s’attendait à quelques bijoux, or ce sont des objets dignes de figurer dans le cabinet de curiosités d’un esthète du XXIe siècle qui sont présentés ce soir-là: des masques en vermeil et diamants inspirés de pièces d’art premier, des jeux de backgammon avec des pions de titane sertis de diamants, de saphirs, de diamants noirs ou de rubis, ou encore un miroir magistral orné d’un memento mori réalisé en pierres pierres fines par l’architecte d’intérieur genevoise Aline Erbeia.

Ce sont des objets dignes de figurer dans le cabinet de curiosités d’un esthète du XXIe siècle qui sont présentés ce soir-là.

Des carpes koï aux masques

Depuis qu’il a créé sa société Salanitro SA en 1990, Pierre Salanitro est passé maître dans l’art du sertissage des montres et travaille pour les plus belles marques horlogères. «Mais j’avais envie de pouvoir créer des objets qui me correspondent, qui me passionnent et sortent de mon imagination.» Et l’on sent qu’il s’est fait plaisir.

Cela fait trois ans qu’il mûrit ce projet. L’idée est née lors d’un voyage en Asie. A l’occasion d’un dîner, il a rencontré un propriétaire de carpes koï. La discussion a naturellement dévié sur l’élevage de ces poissons et l’existence de concours de beauté. Lorsqu’un propriétaire gagne ce genre de compétition, la tradition veut qu’il offre un cadeau à ses proches. Au fil de la discussion, l’éleveur a demandé à Pierre Salanitro de créer une reproduction de son koï champion en laque et pierres précieuses. Le joaillier s’est fait fort de relever le défi. Ce fut le premier objet d’une série que l’on espère longue.

Pierre Salanitro a fondé un atelier de sertissage parmi les plus reconnus dans l'industrie. Il vient à présent de lancer sa propre marque d'objets d'art et de bijoux.
Pierre Salanitro a fondé un atelier de sertissage parmi les plus reconnus dans l’industrie. Il vient à présent de lancer sa propre marque d’objets d’art et de bijoux.

Afin de développer d’autres objets précieux, Pierre Salanitro s’est rapproché de la fameuse Ecole cantonale d’art de Lausanne (ECAL), afin de lui proposer une collaboration artistique. Le mot d’ordre: créer un objet original, serti de pierres, qui soit tout sauf de l’horlogerie. Quatorze élèves designers se sont mobilisés. Certains projets ont attiré l’attention du joaillier, notamment un qu’il a réalisé: une série de masques.

Pierre Salanitro s’est rapproché de l’ECAL, afin de lui proposer une collaboration artistique. Quatorze élèves designers se sont mobilisés. Certains projets ont attiré l’attention du joaillier, notamment un qu’il a réalisé: une série de masques.

Pierre Salanitro crée le cabinet de curiosités du XXIe siècle

Un sertissage subtil, car «c’est d’abord l’œuvre qui compte»

Le masque n’est pas un objet comme un autre. Outre son rôle d’accessoire ludique, derrière lequel on se camoufle lors de bals masqués, il possède de multiples dimensions. Considéré comme une œuvre d’art et exposé dans les musées des arts premiers du monde entier, c’est avant tout un objet porteur de magie. Il servait à celui qui le portait de personnifier un esprit ou une force, lors de rituels. Le masque est un objet sacré qui, selon les traditions, permet de faire le lien entre le monde visible et l’invisible. Si les artistes du début du XXe siècle - Picasso en tête avec ses Demoiselles d’Avignon, sa citation la plus littérale - se sont surtout attachés à la forme des masques et à leurs vertus esthétiques, on ne peut pas oublier leur caractère thaumaturgique.

«Nous nous sommes inspirés de masques originaux, connus, pour les réinterpréter de manière contemporaine, avec notre touche créatrive», explique Pierre Salanitro. Sa première figure, baptisée Le Guerrier, est inspirée d’une pièce aztèque - Le Guerrier de Malinaltepec, un masque en pierre dure découvert en 1921 dans le Sud-Ouest du Mexique.

Détail du masque créé par S by Salanitro
Détail du masque créé par S by Salanitro

Un peu comme les visages du peintre Alexej von Jawlensky, le masque créé dans les ateliers de Salanitro SA est une version stylisée du modèle original. Juste quelques traits suffisent pour l’identifier. «Nous avons réalisé nos masques en vermeil, soit de l’argent plaqué or, une matière qui fut utilisée pour les bijoux anciens, mais notre département sur mesure est à même de les réaliser dans un autre matériau, selon les désirs des clients.» L’objet a été serti de 214 diamants blancs et de 2 rubis selon la technique du serti descendu*, le tout couplé à un délicat travail de gravure. «Le sertissage est volontairement subtil pour ne pas attirer l’attention en premier. C’est d’abord l’œuvre qui compte.»

Le masque est un objet sacré qui, selon les traditions, permet de faire le lien entre le monde visible et l’invisible.

Collaboration autour des «calaveras»

La deuxième création présentée à la Bailly Gallery est un jeu de backgammon - trois en réalité, tous différents. La boîte, réalisée en essence de bois suisse, est habillée de cuir. Les trente pions de titane garnis de cuir sont sertis de diamants noirs, blancs, de saphirs ou de rubis. Les flèches du plateau sont également serties. «Les dés qu’on utilise pour jouer sont des dés officiels, numérotés, pesés, calibrés. Mais le videau (le dé qui permet de démultiplier le gain des points à l’issue de chaque partie, ndlr) est en titane serti de diamants. Un métal beaucoup plus dur, mais nous avons l’expertise de sertir cette matière-là.»

Le jeu de backgammon imaginé par Pierre Salanitro
Le jeu de backgammon imaginé par Pierre Salanitro

Enfin, le troisième objet est un miroir orné d’une tête de mort inspirée des «calaveras» mexicaines, réalisé avec 1’277 pierres fines «qui ont toutes une symbolique et une vertu», explique le joaillier. Il s’agit d’une collaboration avec l’architecte d’intérieur et créatrice genevoise Aline Erbeia, une amie de longue date de Pierre Salanitro. Chaque année, il compte présenter dix nouveaux miroirs inspirés de différentes cultures.

Le miroir extraordinaire conçu en collaboration avec l'architecte d'intérieur et créatrice genevoise Aline Erbeia
Le miroir extraordinaire conçu en collaboration avec l’architecte d’intérieur et créatrice genevoise Aline Erbeia

A travers ces objets, Pierre Salanitro, ne s’applique pas, comme à son habitude, à répondre à la demande de l’un de ses clients. Grâce à la marque qu’il a créée, S by Salanitro, il doit satisfaire les désirs d’un client autrement plus exigeant: son propre imaginaire.

Grâce à la marque qu’il a créée, S by Salanitro, le maître joaillier peut satisfaire les désirs nés de son propre imaginaire.

*La technique du serti descendu: les pierres sont tenues par des griffes taillées à l’échoppe. Les bords, recoupés pour libérer visuellement la pierre sont dressés vers le haut ou descendus vers la base

Pierre Salanitro crée le cabinet de curiosités du XXIe siècle