uand on aborde le sujet de l’éco-responsabilité, il faut savoir accepter la transparence qui l’accompagne. Une transparence en train d’être imposée à travers de nouveaux cadres législatifs (aux doux acronymes comme CSRD, ESRD ou CSDDD). Mais cela ne concerne, pour le moment, que les grandes entreprises ou les groupes.
Les «petites» marques qui décident d’opter pour cette approche ne font pas face à ces contraintes. Elles le font, pour la plupart, par choix, comme une partie intégrante de leurs valeurs. Un trait commun à ces nouvelles marques «éco-responsables» est aussi l’adoption des principes de l’économie circulaire pour minimiser leurs impacts. On trouve là le fondement même de l’éco-conception de leurs produits.
Le symbole de la canette en aluminium
La jeune marque Rvow (pour «Revitalize our world»), lancée l’année dernière, est ainsi née d’un constat brutal. Michel Teweles, son fondateur, était skipper tacticien. Il sillonnait les océans en bateau à voile, dans des compétitions prestigieuses comme l’America’s Cup. Un jour de février 1995, au large de Rottnest Island, en Australie, il traverse avec son équipage un océan de cannettes en aluminium, un paysage cauchemardesque qui s’étend à perte de vue.
Ce moment a été décisif dans sa démarche: «Cette vision d’horreur a marqué mon esprit d’une empreinte indélébile. Elle a été le catalyseur d’une révélation, d’un appel à l’action. Une mer, normalement symbole de liberté et de pureté, devenue le reflet de notre négligence, de notre gaspillage.»
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- Les modèles Phoenix, cadran plein, et Gyres, squelette, de Rvow.
Près de trente ans plus tard, il passe à l’action dans un domaine qui le passionne et lance sa marque de montres, dont les boîtiers sont conçus à partir de... cannettes en aluminium, récupérées en Méditerranée. Il faut sept cannettes pour créer un galet à partir duquel la boîte, le cadran, la couronne et les aiguilles seront produites. Les bracelets sont réalisés en plastique recyclé à partir de filets de pêche récupérés en Bretagne par Seaqual, une entreprise pionnière dans la transformation de ces filets.
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- Le nouveau modèle The Drake de Rvow sera lancé par crowdfunding le 6 mai.
Une manière pour le fondateur de «porter le message de la durabilité, du recyclage, du respect de l’environnement et ainsi de donner du sens à mon activité». Même les présentoirs de la marque sont en bois flotté. Ses 200 premières pièces ont toutes trouvé acquéreur. Une campagne de crowdfunding sur Kickstarter lancera le 6 mai sa nouvelle collection de 500 pièces à prix réduit, pour élargir sa communauté et assurer son développement futur. Son nom? The Drake, la montre moitié-moitié, pour les fondus d’horlogerie éco-responsable abordable.
«Rendre hommage aux éléments de la nature»
Les acteurs les plus visibles de cette nouvelle scène horlogère sont sans doute ID Genève. Après avoir accueilli Leonardo DiCaprio parmi leurs investisseurs en 2024, ils poursuivent leur chemin militant, en étendant leur distribution au Moyen-Orient chez Ahmed Seddiqi & Sons, après Watches of Switzerland au Royaume-Uni et aux Etats-Unis.
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- Le modèle Air de la nouvelle collection Elements d’ID Genève, inspirée de la beauté de la nature. Boîtier et bracelet en acier recyclé récupéré dans le Jura horloger, calibre ETA reconditionné et cadran en Morphotonix, nano-gravure n’utilisant pas d’encre aux teintures polluantes.
Ils commencent aussi à livrer leur très attendue nouvelle collection Elements, aux cadrans inspirés par les quatre éléments de la Nature, eau, air, terre et feu, ainsi qu’un cinquième, catalyseur du changement vers un monde plus éco-responsable ou synthèse de la beauté circulaire naturelle. Ces fervents défenseurs d’un nouveau luxe éco-responsable et circulaire sont aussi les premiers à publier leur rapport d’impact, écho de la transparence évoquée précédemment. Un document clé qui, selon les mots de Nicolas Freudiger, son CEO et co-fondateur, «met en lumière notre engagement, nos progrès et les défis que nous relevons pour une industrie plus responsable et innovante».
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- La cinquième élément, édition limitée à 50 pièces, rappelle que l’homme aussi à son rôle à jouer vers un modèle économique plus éco-responsable.
Les montres incarnent parfaitement les principes de l’économie circulaire. Le boîtier élégant, de 37 mm et 8,8 mm d’épaisseur, est réalisé en acier inoxydable 316L, grade 1.4441, 100% recyclé et issu du Jura horloger, fondu chez Panatere à La Chaux-de-Fonds. Les calibres sont des mouvements automatiques reconditionnés provenant de stocks invendus, fabriqués en Suisse, des ETA 2892 robustes et facilement réparables dans le monde entier.
Les bracelets se déclinent en acier inoxydable recyclé, en matières bio-sourcées fabriquées à partir de résidus de raisin recyclés après vinification, par Vegea (UK) ou Nisiar (France), ou en chanvre produit par Revoltech (Allemagne). Même le SuperLuminova utilisé pour les aiguilles et les indices des cadrans est 100% recyclé. Les cadrans sont basés sur la technologie de la nanogravure développée par Morphotonix, une start-up suisse spécialisée dans les procédés d’impression de billets de banque et de passeports.
Ce marquage irisé joue sans cesse avec la lumière pour, comme le dit Nicolas Freudiger, «rendre hommage aux éléments de la nature en les faisant briller aux poignets d’hommes et de femmes désireux de porter leurs convictions». Un message fort, un produit en accord, qui révèle une approche pleinement circulaire, en toute transparence. CQFD.
Chez Ulysse Nardin, une plongeuse ultra-légère et circulaire
Les initiatives précédentes pourraient laisser penser que seule une horlogerie nouvelle et dite «abordable» (entre 2’000 et 5’000 CHF) peut porter un tel message d’éco-responsabilité. Il n’en est rien. Une conviction est une conviction, peu importe le prix ou l’héritage. Ainsi, Ulysse Nardin, fondée en 1846, introduit un nouveau modèle innovant, technologique et circulaire. Leur Diver [AIR] est certes bluffante de technologie, faisant d’elle la montre de plongée la plus légère au monde à 52 grammes (bracelet inclus!), mais c’est loin d’être son seul attrait.
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- La nouvelle Diver AIR d’Ulysse Nardin est un concentré de technologie et de circularité. Montre de plongée la plus légère au monde à 52g, elle est composée de matériaux recyclés à 90%. Du titane recyclé du mouvement au composite des inserts de boîte en Nylo®-Foil, un mélange unique de 60% Nylo®et 40% fibre de carbone, également recyclé.
La performance de réduction du poids par un travail de squelettage et d’ingénierie est impressionnante pour arriver à une résistance aux chocs de 5’000G. Mais le choix le plus fort est de n’utiliser quasiment que des matériaux recyclés, base de la circularité… et de divulguer leur provenance en toute transparence. Le nouveau calibre UN-374 est réalisé à 90% en titane recyclé, collecté par TiFast, spécialiste du recyclage dans l’industrie bio médicale suisse, et travaillé ensuite par Thyssenkrupp, le géant de l’ingénierie matérielle. Les inserts de boîte sur les côtés sont faits de Nylo®-Foil, un mélange unique de 60% Nylo® et 40% fibre de carbone.
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- Le travail de squelettage du cadran/mouvement est exceptionnel d’ingénierie pour permettre un allègement maximal et une résistance aux chocs de 5’000G. Côté recyclage, même l’échappement est produit à partir de feuilles de silicium upcyclé fournies par Sigatec en Suisse.
Le Nylo vient de filets de pêche récupérés dans l’océan par la star-up française Fil & Fab. La fibre de carbone est récupérée par Extrachtive, une entreprise dédiée à l’économie circulaire, auprès de bateaux IMOCA fabriqués par CDK Technologies. Tant le titane que la fibre carbone sont ensuite traités par Lavoisier Composites, spécialiste français des matériaux circulaires techniques, pour créer le matériau high-tech Nylo®-Foil. La lunette luminescente est forgée en CarbonFoil, 100% upcyclé de bateaux IMOCA. Même l’échappement est produit à partir de feuilles de silicium upcyclé fournies par Sigatec en Suisse. Ulysse Nardin dévoile ainsi tout un écosystème circulaire, prouvant que l’on peut être high-tech, ultra-performant et éco-responsable.
Richesse de l’offre
Toujours dans le haut de gamme, la jeune entreprise Pragma est le résultat d’une vision commune entre ses deux co-fondateurs, l’horloger Christopher Wegener et le designer Kai Hsuan Liu. Celle d’une horlogerie dans laquelle excellence suisse rime avec éco-responsabilité, celle d’un luxe conscient de ses impacts qui cherche à les minimiser, celle d’un produit vecteur de valeurs sur lesquels construire une communauté convaincue.
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- La collection initiale P1, Persévérance, de Pragma est réalisée à partir de 82,7% de matériaux recyclés. Le boîtier est à 100% en acier solaire de Panatere, un acier recyclé du Jura fondu dans un four à concentrateur solaire, divisant son impact énergétique de production par 165.
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- Le calibre de la Pragma P1 est réalisé par Chronode en titane 100% recyclé (platine et ponts).
Leur collection initiale, P1, Persévérance, est issue de 82,7% de matériaux recyclés. Et, là encore, la marque prône une totale transparence. Ainsi, la boîte raffinée de 39 mm, développée en collaboration avec Voutilainen & Cattin'>Cattin SA, est réalisée à 100% en acier solaire de Panatere (un acier recyclé du Jura fondu dans un four à concentrateur solaire, divisant son impact énergétique de production par 165, ndlr).
Le mouvement, comprenant une date innovante ainsi qu’une petite seconde inédite, est réalisé par Chronode en titane 100% recyclé (platine et ponts). Les bracelets sont fabriqués par l’Atelier du Bracelet en Cordura re/corTM 100% issu de chutes. Dès que l’on s’y intéresse, tout un écosystème circulaire est ainsi disponible, à tous les niveaux de prix.
La beauté pour éveiller les consciences
Last but not least, la marque Awake, qui célèbre ses six ans d’existence. Fondée en 2019, elle a d’abord été remarquée pour ses éditions limitées Mission to Earth, en collaboration avec la NASA, révélant la beauté du monde vue de l’espace grâce à une puce NFC intégrée dans le verre saphir de la montre qui donnait accès aux images de la station spatiale en orbite.
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- Dans l’un des 100 écrins des montres Jurassic Watch d’Awake se trouve une vraie dent de T-Rex accompagnée de son certificat d’authenticité. Un symbole rare d’une ère qui nourrit tant la science que l’imaginaire collectif. Cette relique d’un très lointain passé surprendra et ravira l’heureuse ou l’heureux élu. Les modèles T-Rex (orange) et Raptors (vert) réalisés avec la technique ancestrale vietnamienne Son Mài de la feuille d’argent laquée offrent une texture inégalable dont la couleur change sans arrêt avec les reflets de la lumière.
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- Détails des cadrans T-Rex et Raptor avec les griffes doubles et triples en signature. Les index et aiguilles sont englobés dans une SuperLuminova aux teintes bleues pour un contraste saisissant.
Awake dévoile à présent sa première collection permanente, Son Mài, pour laquelle la marque a recours aux métiers d’art. Lilian Thibault, co-fondateur, l’exprime ainsi: «Notre but est de révéler la beauté d’un monde à préserver pour mieux le transmettre, à l’instar de ces savoir-faire ancestraux qui font la richesse culturelle de l’humanité.». L’approche est conceptuelle et philosophique pour éveiller les consciences… mais aussi très concrète. Les cadrans, entièrement faits main par des maîtres laqueurs vietnamiens (Son Mài veut dire «laque» en vietnamien), sont non seulement saisissants de beauté, mais aussi réalisés avec une laque naturelle extraite d’un arbre à laque vietnamien spécifique ne produisant que 200ml par an à maturité. Les pigments de couleur sont eux aussi totalement naturels. Les boîtiers sont réalisés en acier 316L recyclé.
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- Les bracelets en cuir marin, réalisés par Ictyos à partir de peaux de saumon recyclées, confèrent un côté reptilien supplémentaire aux deux modèles en édition limitée de 50 pièces chacun.
Nature et circularité se retrouvent encore en parfaite harmonie dans les bracelets des deux versions limitées Jurassic Watch, introduites tout récemment. Outre le clin d’oeil au septième art, les montres proposent deux déclinaisons de cadran vert pomme et orange vif, qui subliment la beauté de la technique Son Mài. Ces modèles se portent de surcroît avec des bracelets en cuir marin, issus de peaux de saumon upcyclées par Ictyos, spécialiste du cuir marin de luxe.
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- Le mouvement G101, délicatement décoré, de La Joux-Perret anime les modèles Son Mài d’Awake.
Le rendu est reptilien à souhait et illustre à quel point la circularité se révèle qualitative. L’ensemble est animé par un calibre Swiss made G101 de La Joux-Perret. Awake démontre que l’on peut créer des montres métiers d’art, Swiss made et éco-responsables tout en restant abordables. Une offre décidément différente et pleine de sens.
Ces quelques exemples montrent bien que les solutions existent pour tendre vers une horlogerie plus responsable, à tous les niveaux de prix, que la circularité se développe au travers d’un écosystème vertueux et que la beauté peut conjuguer éco-responsabilité, artisanat et innovation.