Joaillerie et horlogerie


Salanitro lance sa propre marque de joaillerie

ENTRETIEN

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octobre 2022


Salanitro lance sa propre marque de joaillerie

Après avoir annoncé la prise de participation minoritaire de Patek Philippe dans son entreprise mi-septembre, Pierre Salanitro révèle qu’il a créé sa propre marque de bijoux et d’objets précieux baptisée «S by Salanitro».

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e 14 septembre dernier, Pierre Salanitro annonçait une prise de participation minoritaire de Patek Philippe dans son entreprise, Salanitro SA. Une manière de pérenniser la société qu’il a créée en 1990.

L’année 2022 est plus que faste pour le maître bijoutier et sertisseur, car il lance également sa propre marque de bijoux et d’objets d’art précieux sous le nom de «S by Salanitro».

Le concept? Tout ce qui ne relève pas de l’horlogerie. Ce seront des bijoux, des miroirs, des jeux, des objets de décoration. Et si l’on fait abstraction des époques et des styles, avec ses objets précieux, on peut l’imaginer s’inscrire dans la lignée d’un Fabergé. Rencontre.

Le concept? Tout ce qui ne relève pas de l’horlogerie. Ce seront des bijoux, des miroirs, des jeux, des objets de décoration.

Talisman, la première collection de S by Salanitro, en collaboration avec The Unnamed Society
Talisman, la première collection de S by Salanitro, en collaboration avec The Unnamed Society

Europa Star: Depuis combien de temps discutiez-vous avec Patek Philippe de la prise de participation annoncée mi-septembre?

Pierre Salanitro: La première fois que nous avons évoqué cette idée de manière très informelle, c’était il y a 18 mois.

Comment la conversation est-elle venue sur ce sujet?

Pour de multiples raisons: l’amitié qui me lie à Thierry Stern, la confiance professionnelle que nous partageons, nos enfants aussi. Mon fils travaille chez Patek Philippe et l’aîné de Thierry Stern, dans le cadre de ses études à l’école hôtelière, fait un stage de six mois chez nous. Il découvre une facette différente de l’horlogerie. Tous ces facteurs nous ont amenés à nous poser cette question d’un rapprochement. Cette idée a mûri et en février nous avons commencé à être plus concrets. Cela s’est fait tout naturellement, tout simplement: nous partageons une même philosophie et les mêmes valeurs. Pour moi, c’est une manière d’assurer la pérennité de l’entreprise et des emplois, sans que ce soit fait au détriment de mes autres clients.

Pierre Salanitro
Pierre Salanitro

A condition que Patek Philippe soit elle aussi pérenne et que les enfants de Thierry Stern reprennent un jour l’entreprise.

Ce n’est pas à moi de répondre à cette question. En revanche, en ce qui concerne la pérennité de mon entreprise, différentes pistes ont été évoquées, qui dépendent en effet de plusieurs facteurs: nos enfants, les clients et Patek Philippe. Mais rien n’est définitif.

Salanitro lance sa propre marque de joaillerie

Vous évoquez vos clients: vous travaillez avec une quarantaine de marques, dont dix parmi les sociétés horlogères les plus prestigieuses. Est-ce que Patek Philippe aura accès à ces productions? Quelle incidence aura cette prise de participation sur vos relations avec ces marques?

Rien ne change. Patek Philippe a pris une participation. Cela garantit le futur de l’entreprise mais je suis là encore dix ans en tout cas. Il n’y a aucune ingérence de Patek Philippe dans Salanitro SA. La société est indépendante, je reste le président et le CEO. Personne chez Patek Philippe n’a accès à Salanitro SA. J’ai préparé le terrain à l’avance et à partir du moment où Thierry Stern, son directoire et moi-même sommes tombé d’accord, je suis allé voir les clients qui me font confiance depuis très longtemps, ceux qui m’ont toujours soutenu - quand ça allait bien mais aussi quand ça allait moins bien. Il était exclu qu’ils l’apprennent par voix de presse. Je voulais les rassurer sur le fait qu’il n’y aurait pas de secrets trahis et que personne n’aurait accès aux plans et aux designs de leurs marques. D’ailleurs, concernant la discrétion, le fils de Thierry Stern a signé un contrat de confidentialité extrêmement contraignant.

«Patek Philippe a pris une participation. Cela garantit le futur de l’entreprise mais je suis là encore dix ans en tout cas. Il n’y a aucune ingérence de Patek Philippe dans Salanitro SA. La société est indépendante, je reste le président et le CEO.»

Quel pourcentage Patek Philippe a-t-il acquis?

C’est une prise de participation qui n’est pas majoritaire, mais nous ne communiquons pas sur ce point.

Allez-vous continuer à travailler comme vous le faites, en répondant à des mandats et en faisant des propositions à vos différents clients?

Oui, nous allons continuer à proposer des idées créatives à la marque qui semblera la plus susceptible d’être intéressée, comme nous l’avons toujours fait. Certaines maisons se tournent vers nous pour l’habillage: par exemple, l’une d’elles souhaite faire une déclinaison joaillière d’une collection préexistante. Elle nous sollicite et nous lui faisons des propositions de design. Des clients nous mandatent pour créer une montre de A à Z et nous nous occupons de tout. Ils nous communiquent simplement le type de mouvement qu’ils souhaitent utiliser, ce qui nous donne une idée de la dimension de la pièce. Nous avons aussi une force créative: nous dessinons nos idées, nous les imaginons pour une marque spécifique, et sans mandat, nous les proposons au client. S’il est intéressé, il l’achète. Nous lui cédons les droits de propriété intellectuelle. Nous sommes de plus en plus sollicités dans le domaine de la création et de la joaillerie.

Est-ce que la guerre entre la Russie - où se trouve le groupe de production de diamants Alrosa - et l’Ukraine a un impact sur votre activité?

Depuis le début du conflit jusqu’à ce jour, malgré le boycott d’Alrosa, je n’ai pas eu de problème d’approvisionnement. Les «sightholders» et les marchands avaient du stock et avant que la sanction tombe, ils ont anticipé et ont acheté beaucoup de pierres. C’est la raison pour laquelle cette année, on s’en sort. Mais je ne sais pas comment cela se passera l’année prochaine.

«Nous sommes de plus en plus sollicités dans le domaine de la création et de la joaillerie.»

Salanitro lance sa propre marque de joaillerie

La prise de participation de Patek Philippe va sans doute vous permettre d’être prioritaire sur certains projets de la manufacture...

Ils vont évidemment nous prioriser, pour autant que nous soyons toujours aussi créatifs, qualitatifs et que nous réussissions à répondre aux attentes de la manufacture, qu’il s’agisse de typologie, de qualité ou de délai. Nous ne sommes pas en terrain conquis.

Quand on visite vos ateliers, on reconnaît de nombreuses montres emblématiques de certaines maisons très connues, mais peu sont celles qui vous donnent la paternité du modèle ou du travail de sertissage. C’est un peu dommage, ne trouvez-vous pas?

Je constate qu’aujourd’hui le monde évolue, comme les mentalités, et de plus en plus de marques n’ont plus honte de dire qu’elles sous-traitent certaines activités. Et dans notre cas, lorsque nous sommes cités, c’est un gage de qualité. Nous l’avons vu avec la montre Carrera Plasma de TAG Heuer sertie avec des diamants de laboratoire. La compagnie a dit clairement que le sertissage avait été réalisé en collaboration avec Salanitro SA. Avant la fin de l’année vont être lancés des projets importants réalisés avec de grandes marques dans lesquels nous sommes cités, que ce soit dans la publicité, le film ou le communiqué de presse. Dans le monde actuel, le client final veut savoir d’où viennent et comment sont faites leurs montres. Et mentionner une structure comme la mienne, qui est la plus importante, la plus intégrée de Suisse et qui travaille pour toutes les grandes manufactures horlogères, c’est un gage de qualité et de sécurité aussi pour le client final. De toutes les façons, tôt ou tard, cela se sait et se dit…

«Lorsque nous sommes cités, c’est un gage de qualité. Nous l’avons vu avec la montre Carrera Plasma de TAG Heuer sertie avec des diamants de laboratoire. La compagnie a dit clairement que le sertissage avait été réalisé en collaboration avec Salanitro SA.»

Vous avez passé une maturité commerciale et bancaire et avez travaillé au sein de l’ex-Société de Banque Suisse (SBS). Vous n’étiez pas destiné à faire ce métier. Comment l’amour du sertissage vous est-il tombé dessus?

A l’époque, j’avais choisi de travailler pour la SBS, car c’était la banque qui offrait le meilleur centre de formation. Mais ce métier ne me plaisait pas et je savais que je n’y resterais pas. Un jour, un ami d’enfance m’a proposé d’aller voir son père, Enrique Lorenzo, dont l’atelier de sertissage, qui comprenait quatre sertisseurs, était situé rue d’Italie. J’ai vu les gens travailler et j’ai eu le coup de foudre pour ce métier. Après le déjeuner, je lui ai demandé s’il pouvait m’engager. Il a calmé mes ardeurs: il voulait s’assurer que cela me plaise vraiment et que j’en aie les capacités, notamment la dextérité manuelle. C’était il y a 30 ans, il n’y avait pas de grands ateliers ni de machines CNC (à commande numérique, ndlr) et l’on ne sertissait pas encore l’acier: on travaillait uniquement l’or ou le platine. Il m’a formé pendant 10 mois. En parallèle, je continuais à travailler à la banque: de 5h à 8h du matin j’apprenais le métier de sertisseur, de 8h à 17h j’étais à la banque et de 17h à 21h je retournais à l’atelier pour apprendre. Au bout de dix mois, il m’a dit que j’étais prêt à démarrer et que je pouvais quitter la banque.

Dans son atelier, il n’utilisait que quelques techniques de sertissage. Je lui avais donc demandé son accord afin de travailler pour le compte de petits bijoutiers de la place de Genève et faire leurs réparations. Je le faisais gratuitement, car cela m’a permis d’apprendre toutes les techniques de sertissage, surtout celles qui n’étaient pas utilisées à l’atelier. Puis la crise est arrivée, j’ai été licencié, j’ai fait trois mois de chômage et comme j’avais toujours rêvé d’être indépendant et que la période était la pire qui soit, je me suis lancé (rires)! Et c’est ainsi que j’ai démarré, en investissant mes quelques économies pour acheter le matériel de base, tout en transformant un vieux bureau Ikea en bois en établi de sertisseur pour pouvoir travailler chez moi.

J’ai créé la société en février 1990. Pendant deux ans cela a été le cauchemar. C’était la crise, j’étais jeune et le dernier venu sur le marché. J’ai fait de la sous-traitance, du bricolage pour survivre en inondant toutes les marques horlogères de mes offres. Jusqu’au jour où, au bout de deux ans, le marché s’est repris et un vendredi, Piaget m’a appelé pour me demander si je pouvais sertir des pièces et les leur rendre le lundi matin. J’ai travaillé tout le week-end, j’ai relevé le défi et c’est ainsi que Piaget est devenu mon premier client. J’ai eu la chance très vite de décrocher Patek Philippe. Et dans la foulée, il y en a eu d’autres… Cela m’a donné une légitimité sur le marché.

«J’ai créé la société en février 1990. Pendant deux ans cela a été le cauchemar. C’était la crise, j’étais jeune et le dernier venu sur le marché...»

Salanitro lance sa propre marque de joaillerie

En 2019, vous aviez 190 collaborateurs - aujourd’hui vous en avez 230: est-ce la demande accrue pour les montres serties qui vous a fait augmenter vos effectifs?

Il y a différentes raisons à cela: la demande pour les montres joaillières a augmenté en effet mais nous nous sommes aussi diversifiés. Depuis un an et demi, nous avons développé une activité de sertissage dans les domaines de la bijouterie et la joaillerie, ce que nous ne faisions pas auparavant. A la demande de clients, nous avons d’ailleurs mis en place un nouvel atelier dédié à cette activité. Par ailleurs, nous créons un nouvel atelier de bijouterie-joaillerie où l’on fabrique des parures de haute joaillerie ou des bijoux de série pour les marques.

Allez-vous créer des bijoux sous votre nom?

Oui. Cela fait quelques années que je pensais créer une marque, dont le nom est déposé: S by Salanitro. Nous allons concevoir des objets précieux sous ce nom et aussi en collaboration avec des marques, des artistes ou des écoles. Ce sont des produits non horlogers, afin de ne pas entrer en concurrence avec mes clients - et exclusivement des pièces uniques: des bijoux, des objets, des jeux, de l’art…

Salanitro lance sa propre marque de joaillerie

Et quelles sont les premières créations lancées sous votre nom?

Des bijoux talismans qui sont le fruit d’une collaboration entre The Unnamed Society et S by Salanitro. Cette société est venue me voir avec un projet afin que nous le réalisions ensemble. Nous nous sommes occupés de toute la partie créative, du design et de la production et ils s’occupent de la commercialisation, du packaging et des réseaux sociaux. Nous venons aussi de terminer un miroir, une pièce unique, avec l’architecte d’intérieur Aline Erbeia. Il existe une véritable clientèle pour des pièces exceptionnelles et uniques et je reçois beaucoup de demandes. D’ailleurs, ce miroir, qui est accroché dans mon bureau, est déjà un objet de désir: plusieurs clients le veulent, or il n’en existe qu’un seul.

«The Unnamed Society est venu me voir avec un projet de collaboration. Nous nous sommes occupés de la partie créative, du design et de la production et ils s’occupent de la commercialisation, du packaging et des réseaux sociaux.»