Horlogerie et environnement


Breitling: «Le but est d’être totalement traçable et certifié»

ENTRETIEN

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octobre 2022


Breitling: «Le but est d'être totalement traçable et certifié»

D’ici 2025, Breitling aura uniquement recours à de l’or artisanal et des diamants synthétiques pour ses montres les plus précieuses. Ces dernières années, la marque a cherché à transformer son image pour s’affirmer en marque plus inclusive, prônant à la fois le «luxe décontracté» et l’«exemplarité» - tout en montant en gamme paradoxalement. La notion de durabilité prend une place centrale dans cette stratégie. Rencontre avec Aurelia Figueroa, Global Head of Sustainability.

B

reitling se donne pour objectif de rendre le luxe «plus durable»en lançant sa première «montre traçable», la Super Chronomat Automatic 38 Origins, et en informant le client sur les origines de l’or et des diamants utilisés pour sa fabrication. Le modèle s’accompagne d’une fiche de provenance sécurisée par la blockchain, qui détaille la chaîne d’approvisionnement pour l’or artisanal et les diamants synthétiques de la montre.

Cette évolution est la dernière d’une série de mesures prises par Georges Kern depuis son arrivée à la tête de la marque en 2017 pour en faire le porte-étendard du «nouveau luxe» version horlogère, soit une approche à la fois plus décontractée et plus responsable socialement - tout en montant en gamme. La marque fait surtout une annonce forte: d’ici 2025, l’ensemble de sa production ayant recours à des matières précieuses sera fabriquée à partir d’or artisanal et de diamants synthétiques, issus de fournisseurs accrédités et responsables.

Le modèle Super Chronomat Automatic 38 Origins de Breitling est équipé d'un boîtier en or rouge 18 carats fabriqué à partir d'or traçable extrait d'une mine artisanale colombienne accréditée par la Swiss Better Gold Association. Sa lunette est ornée de diamants synthétiques.
Le modèle Super Chronomat Automatic 38 Origins de Breitling est équipé d’un boîtier en or rouge 18 carats fabriqué à partir d’or traçable extrait d’une mine artisanale colombienne accréditée par la Swiss Better Gold Association. Sa lunette est ornée de diamants synthétiques.

La marque annonce également introduire une «traçabilité intégrale». Comme on le sait, il existe par définition des limites concernant la traçabilité des matières précieuses extraites; même en suivant les meilleures pratiques en vigueur dans le secteur, il était presque impossible de retracer l’origine de l’or et des petits diamants «mêlés» utilisés en horlogerie. Par défaut, ces matières premières provenant de nombreuses sources différentes sont généralement amalgamées, ce qui signifie que leur provenance se perd littéralement dans le mélange. Ce qui a conduit Breitling à renoncer entièrement à terme aux diamants provenant de mines, optant pour les diamants synthétiques pour sa Super Chronomat Origins, il s’agit de diamants synthétiques monocristallins de type IIa produits à Gujarat en Inde. Le sertissage est effectué par le spécialiste suisse Salanitro.

En ce qui concerne l’or, la marque a recours pour le modèle à une seule mine artisanale, la Mine Touchstone en Colombie, qui répond aux critères de la Swiss Better Gold Association. Pour chaque gramme d’or acheté, elle s’engage aussi à verser une contribution en faveur des projets de développement des communautés locales. En Suisse, les partenaires de production de Breitling sont les raffineries MKS PAMP et Argor Heraeus.

Aurelia Figueroa, Global Head of Sustainability de Breitling
Aurelia Figueroa, Global Head of Sustainability de Breitling

Nous avons rencontré Aurelia Figueroa, Global Head of Sustainability de Breitling depuis 2020, pour comprendre les enjeux de ce tournant important dans l’approvisionnement de la marque. Sous sa supervision, la société vient de publier son deuxième rapport de durabilité (à retrouver ici). «A mon arrivée, j’ai commencé par mener une évaluation des points d’impact de notre société en terme de durabilité, nous dit-elle. A l’origine, la liste comprenait 138 points que notre politique ESG pouvait prendre en compte… ce qui était évidemment trop. Nous l’avons donc passée au crible avec des experts à l’interne et à l’externe - comme le WWF, le SECO, la SBGA. Il en a résulté les 10 points que vous pouvez retrouver dans notre rapport de durabilité. Ils concernent l’impact social, environnemental, humain, pour la planète, ainsi que les notions de prospérité et de progrès.» Entretien.

Europa Star: Vous venez d’annoncer que vous passerez à l’utilisation exclusive d’or artisanal (ASM) d’ici 2025. Qu’est-ce qui a entraîné cette décision?

Aurelia Figueroa: Notre approche se fait en réalité en deux temps: d’abord 100% d’or ASM à la fin de notre année fiscale, ensuite 100% de traçabilité sur toute la chaîne d’approvisionnement d’ici 2025. Au vu des volumes que nous utilisons (600 kilos en 2021), nous nous sommes rendus compte qu’il était possible d’agir dans ce domaine, qui est celui qui représente notre impact net social et environnemental le plus significatif. Quelque 20 millions de personnes travaillent dans ces ASM, l’impact social est donc potentiellement très important. D’un autre côté, nous savons que l’impact environnemental de ces mines peut être désastreux, donc s’engager à leur côté pour soutenir le système peut aussi générer un impact positif net, bien plus que l’or recyclé, qui ne constitue en fait que le status quo, sans pouvoir déterminer l’origine de l’or utilisé.

Pour la Super Chronomat Automatic 38 Origins, l'or utilisé par Breitling provient d'une seule mine artisanale en Colombie qui répond aux critères de la Swiss Better Gold Association. Cette association améliore les conditions de travail, de vie et d'environnement dans les communautés d'exploitation minière artisanale et à petite échelle (ASM).
Pour la Super Chronomat Automatic 38 Origins, l’or utilisé par Breitling provient d’une seule mine artisanale en Colombie qui répond aux critères de la Swiss Better Gold Association. Cette association améliore les conditions de travail, de vie et d’environnement dans les communautés d’exploitation minière artisanale et à petite échelle (ASM).

Autre annonce forte: Breitling s’est engagée à n’utiliser que des diamants de laboratoire d’ici 2024. Pouvez-vous nous en dire plus?

C’est un processus long et ardu. Le but est d’être totalement traçable et certifié pour tous nos diamants d’ici 2024. Nos fournisseurs directs n’ont jamais utilisé de diamant de laboratoire, ils doivent aussi mettre en place une ségrégation de leur côté. SCS Global, un organisme de certification basé sur des évaluations scientifiques quantifiées, a certifié Breitling, car nous traitons nous-mêmes avec les diamants. Le processus a été finalisé pour les plus grosses tailles et il est en cours pour les plus petites.

Les diamants synthétiques utilisés dans la Super Chronomat Automatic 38 Origins sont obtenus en appliquant du gaz et de la chaleur sur une lamelle de diamant dans un espace sous vide. Sous l'effet de la chaleur, le gaz se transforme en un nuage de plasma, créant ainsi les conditions permettant au diamant de cristalliser et de croître. Les diamants synthétiques sont identiques aux diamants naturels et sont soumis aux mêmes contrôles de qualité. D'ici 2024, Breitling aura achevé la transition vers les diamants synthétiques pour l'ensemble de sa gamme de produits.
Les diamants synthétiques utilisés dans la Super Chronomat Automatic 38 Origins sont obtenus en appliquant du gaz et de la chaleur sur une lamelle de diamant dans un espace sous vide. Sous l’effet de la chaleur, le gaz se transforme en un nuage de plasma, créant ainsi les conditions permettant au diamant de cristalliser et de croître. Les diamants synthétiques sont identiques aux diamants naturels et sont soumis aux mêmes contrôles de qualité. D’ici 2024, Breitling aura achevé la transition vers les diamants synthétiques pour l’ensemble de sa gamme de produits.

Les diamants de laboratoire sont très énergivores. Est-ce que le jeu en vaut vraiment la chandelle?

Il y a beaucoup de facteurs à prendre en compte lorsqu’on compare diamants de laboratoire et minier. Mais nous pouvons affirmer avec confiance que nos diamants de laboratoire, sourcés et traçables, sont plus éco-responsables que leurs équivalents extraits, dont l’impact sur le climat, la biodiversité et la pollution de l’air et de l’eau est bien documenté. Ainsi, pour notre nouveau modèle Super Chronomat Automatic 38 Origins, les émissions sont estimées à 224,74 kilos d’équivalents CO2 par carat et toutes ces émissions ont été compensées. Notre fournisseur Fenix est en train de changer sa source d’électricité pour recourir à 100% de solaire, ce qui réduira drastiquement son empreinte carbone dans un futur proche.

Malgré ces annonces, on s’étonne de voir vos émissions carbones totales fortement augmenter en 2022, comme en atteste votre rapport.

Nous publions nos résultats et objectifs en toute transparence dans notre Sustainability Report 2022. Nos émissions ont augmenté par rapport à 2021 (de 9’089 tonnes équivalents CO2 à 17’728 tonnes) pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le rapport précédent couvrait la période allant d’avril 2020 à mars 2021, en plein Covid. Le référentiel est donc très bas par rapport à un niveau d’activité normal. Ensuite, nous avons élargi le nombre de mesures que nous évaluons pour y inclure notre logistique en Amérique de Nord (+370 tonnes équivalents CO2) et le transport de nos employés (+2’277 tonnes équivalents CO2). Mais surtout, notre activité s’est fortement développée et nos achats d’énergie et de services (Scope 3), ainsi que nos voyages ont suivi (respectivement +5’201 tonnes et +454 tonnes équivalents CO2).

Le passage de l’or recyclé à l’or des mines ASM entraîne également un impact important sur nos émissions carbone, mais c’est un choix d’avoir un impact positif plus fort au niveau social et pour l’environnement. La démarche ESG est un travail de fond qui commence par une évaluation sans concession et en toute transparence des émissions et de la mise en place de mesures pour les réduire. Nous avons posé les bases et nous sommes confiants quant à notre capacité de tenir nos engagements.

La mine artisanale Touchstone en Colombie fournit l'or utilisé pour le modèle Super Chronomat Automatic 38 Origins.
La mine artisanale Touchstone en Colombie fournit l’or utilisé pour le modèle Super Chronomat Automatic 38 Origins.

Breitling met aussi en avant un packaging 100% recyclé...

Oui, ce changement est désormais acté: les clients apprécient ce nouveau packaging, on ressent que la durabilité compte toujours plus pour eux. Grâce à cette décision, nous avons réduit l’empreinte carbone de notre logistique de moitié.

Est-ce que vous comptez fournir une étiquette de l’empreinte carbone de tous vos modèles, comme celle dévoilée pour la Navitimer B01 Chronograph 46?

Oui, c’est le but (voir le rapport de développement durable 2021, ndlr)! Cette année nous avons mis de l’«ordre» dans notre comptabilité carbone. C’est un pas énorme car il faut compter plusieurs mois chaque année pour compiler les données nécessaires. Nous utiliserons des données secondaires si besoin, car c’est avant tout le processus qui est important. La comptabilité carbone évolue sans cesse. Pour nous, il était important d’y arriver avant tout sur l’or, car cela représente plus de 50% de nos émissions des Scope 1, 2 et 3. C’est là que notre engagement a le plus d’impact concret.

Les propriétaires de la Super Chronomat Automatic 38 Origins reçoivent une fiche de provenance de l'or et des diamants dans le cadre de leur NFT sécurisé par blockchain. Depuis 2020, chaque nouveau garde-temps Breitling est accompagné de cette preuve numérique unique de propriété. Pour la Super Chronomat Origins, la chaîne d'approvisionnement, de la matière première au produit fini, est documentée à la fois sur le NFT du propriétaire et publiquement sur une carte des sources en ligne. Toutes les informations sont vérifiées de manière indépendante.
Les propriétaires de la Super Chronomat Automatic 38 Origins reçoivent une fiche de provenance de l’or et des diamants dans le cadre de leur NFT sécurisé par blockchain. Depuis 2020, chaque nouveau garde-temps Breitling est accompagné de cette preuve numérique unique de propriété. Pour la Super Chronomat Origins, la chaîne d’approvisionnement, de la matière première au produit fini, est documentée à la fois sur le NFT du propriétaire et publiquement sur une carte des sources en ligne. Toutes les informations sont vérifiées de manière indépendante.

Où en êtes-vous dans votre démarche Science Based Targets pour vos émissions globales?

Notre engagement est de les réduire de 100% sur les Scope 1 et 2 d’ici 2023. Nous avons encore des projets à mette en place en terme de recours aux énergies renouvelables au niveau global.

De même, votre objectif «Zero Plastic Waste» prend-il forme?

Je tiens à préciser que c’est un objectif important car nous générons 7 tonnes de déchets plastiques par an - ce qui est effarant quand on y pense, car nous n’avons rien à faire avec le plastique. Cela démontre l’ampleur du problème aujourd’hui. Notre objectif est de parvenir à zero déchet plastique d’ici 2025, mais nous travaillons aussi sur un but zéro plastique global, ce qui est un énorme défi. Trouver des alternatives fiables est la clé, comme pour les petits plateaux plastiques des mouvements qui vont au COSC, par exemple. Mais le liège prend la poussière, donc nous explorons d’autres pistes. En attendant, nous essayons de penser de manière circulaire, ce qui constituera à terme le levier le plus puissant. Éveiller les consciences de toutes parts est fondamental: dans le cadre de l’établissement du dernier rapport, nous avons par exemple organisé un événement de sensibilisation à la question du plastique pour nos employés et fournisseurs.

Breitling a compensé 17’728 tonnes d’émissions carbones en 2022, soit l’intégraiité de vos émissions. Ces compensations sont pointées du doigt, car elles semblent déplacer le problème plutôt que s’attaquer à ses racines. Comment vous assurez-vous que ces mesures sont au moins efficaces?

Je suis d’accord que la compensation est le strict minimum. Ce n’est pas la partie la plus importante de notre programme, mais nous augmentons encore notre contribution à notre fonds carbone de CHF 30 à CHF 40 par tonne, afin d’arriver à un prix significatif et un budget conséquent. Une partie est utilisée pour des projets ayant fait leurs preuves, comme Concosta REDD+ en Colombie ou The International Small Group and Tree Planting Program en Ouganda lors des derniers cycles de compensation. Le reste sert à des projets fondamentaux comme le passage de l’or recyclé à l’or artisanal ou le remplacement de notre réseau électrique. Nous continuons de développer notre fonds pour de futurs projets.

Breitling agit aussi pour la préservation des océans. Concrètement, que faites-vous?

Nous nous sommes associés à a marque de vêtements Outerknown en 2018 pour créer nos bracelets ECONYL® en filets de pêche recyclés pour éveiller les consciences sur le problème de la pollution plastique des océans. Nous organisons aussi régulièrement des nettoyages de plages avec nos équipes à travers le monde. Les volumes ne sont évidemment par énormes en comparaison aux quantités déversées chaque année dans les mers (8 millions de tonnes, ndlr) mais cela donne de la visibilité sur le sujet global de l’éco-responsabilité et cela mobilise les gens. C’est cela le plus important pour moi!

Opération de nettoyage des plages des employés Breitling
Opération de nettoyage des plages des employés Breitling

Un de vos piliers de politique ESG est la prospérité. Comment concilier votre modèle d’affaires actuel basé sur la croissance et une approche plus éco-responsable? Cela ne demande-t-il pas un changement complet de paradigme?

C’est la question numéro un, celle qui me préoccupe chaque jour. Pour vous donner un peu de recul sur mon parcours, j’ai été formée comme économiste du développement et j’ai travaillé de nombreuses années pour le German Institute of Development and Sustainability avant de rejoindre l’industrie horlogère. Cette question me taraude depuis longtemps. Mon opinion personnelle sur le sujet est la suivante: le luxe est un symptôme des inégalités socio-économique mondiales. La quête de statut de l’homme - un jeu exclusif et à sommes nulles - est hors de notre capacité d’influence.

Cela dit, le changement nécessaire vers plus d’éco-responsabilité doit venir de la gouvernance. C’est là que je vois la valeur de ce que nous faisons. J’aimerais voir un changement dans la manière dont nous définissons le statut social. Certes, porter une montre à CHF 20.000 peut illustrer ce que j’ai accompli. Mais si le produit est fait de manière responsable, cela raconte une autre histoire. Il s’agit de passer de «posséder plus» à «créer plus de sens». Au final, c’est un tout petit pas, mais qui va au moins dans la bonne direction. De plus, en mobilisant nos fournisseurs contre le travail des enfants, vers plus de traçabilité et des pratiques plus responsables, nous contribuons aussi à assainir l’économie du marché du travail.

Les priorités relevées dans le rapport du développement durable établi par la marque
Les priorités relevées dans le rapport du développement durable établi par la marque

Quelles opportunités identifiez-vous pour développer encore votre démarche?

Nous venons de lancer un partenariat avec la compagnie aérienne Swiss sur les Sustainable Aviation Fuel (SAF). Leur utilisation réduit de 80% l’impact carbone des vols. Et nous compensons les 20% restants à un prix de CHF 600/tonne pour dégager un budget conséquent pour ces compensations. Mais je pense que beaucoup de choses peuvent encore être réalisées à travers des innovations supplémentaires en terme d’efficience de nos opérations et de nos consommations d’énergies. Nous étendons aussi le champ d’application de nos mesures pour que nos réductions touchent une base la plus large possible.

Comment ces initiatives sont-elles perçues par vos clients?

Il est intéressant de noter que lors de l’introduction de notre packaging recyclé, par exemple, nos détaillants étaient choqués. Leur première réaction était: «Nous ne pouvons pas vendre une montre de luxe dans un tel écrin.» Le consommateur, en revanche, l’a accepté sans souci. Les clients sont prêts à faire ces changements, aussi bien en Europe qu’en Asie ou aux Etats-Unis. Le public réalise que les choses doivent changer pour aller vers un monde plus responsable et durable.