Joaillerie et horlogerie


Le joaillier vénitien Nardi relance la tradition des bijoux masculins

RENCONTRE

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octobre 2022


Le joaillier vénitien Nardi relance la tradition des bijoux masculins

Avec ses bijoux qui chantent la beauté de Venise, le joaillier Nardi est l’un des ambassadeurs de sa cité. Cette année il a lancé des broches, des bagues et des boutons de manchettes pour hommes en forme de lion, symbole de la Sérénissime. Rencontre avec Alberto Nardi, l’actuel propriétaire de la maison centenaire afin de comprendre l’unicité de cette entreprise familiale.

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uand on prononce le nom de Nardi, c’est tout un univers qui s’incarne. L’âme d’une ville surtout: Venise. La maison joaillière existe depuis plus de cent ans et chaque génération s’emploie à faire perdurer cet esprit vénitien à travers les collections.

Tout a commencé dans les années 1920 lorsque Giulio Nardi, un orfèvre florentin passionné de pierres précieuses, décide d’ouvrir une petite boutique à Venise sur la Piazza San Marco. Son activité, qui se résume alors au travail de l’argent et du cristal, est modeste et une arcade lui suffit. Cette arcade des origines est toujours la porte d’entrée de la boutique actuelle.

Rapidement, l’argent ne suffit plus à cet esthète qui commence à travailler l’or, les pierres et crée des pièces joaillières dans son atelier. La renommée de Nardi atteint son apogée après la Seconde Guerre mondiale. Le monde est passé de l’ombre à la lumière et le film de Fellini, La Dolce Vita, sorti en 1960, donne son nom à un mode de vie hédoniste qu’embrassent les membres de la jet-set.

Venise est l’une des destinations de prédilection de cette tribu fortunée et la boutique Nardi se peuple de stars: Elizabeth Taylor est une cliente, tout comme Grace Kelly, Marilyn Monroe, Ernest Hemingway, ou Joe DiMaggio, pour ne citer qu’eux. L’aristocratie européenne n’est pas en reste: la princesse Paola de Liège, la royauté d’Espagne et celle de Grèce fréquentent aussi les lieux.

Finestre Veneziane, boucles d'oreilles en or blanc et diamants
Finestre Veneziane, boucles d’oreilles en or blanc et diamants

Dans les années 1920, Giulio Nardi, un orfèvre florentin passionné de pierres précieuses, décide d’ouvrir une petite boutique à Venise sur la Piazza San Marco. Cette arcade des origines demeure la porte d’entrée de la boutique actuelle.

Ce qui fait le succès du joaillier, ce sont ses bijoux qui incarnent Venise. En les portant, on emporte avec soi un peu de l’esprit de la Sérénissime. Ses joyaux colorés rappellent les mosaïques de Saint-Marc ou l’art de la verrerie des ateliers de Murano. Ils évoquent l’architecture des lieux, mais aussi cet esprit à mi-chemin entre l’Orient et l’Occident. Chaque bijou Nardi raconte à sa façon cette ville à la dangereuse beauté.

Antonio Nardi, qui représente la troisième génération et dirige la maison, a décidé de remettre au goût du jour la tradition du bijou pour hommes. Il a lancé cette année une ligne qui leur est dédiée formée de broches, de bagues, et de boutons de manchettes arborant un lion rugissant, en honneur au fameux lion ailé de Saint-Marc, symbole de la ville.

Boutons de manchette Leone
Boutons de manchette Leone

Pour mettre en valeur ces créations, il s’est assuré le talent du fameux tailleur Cifonelli, qui crée des costumes sur mesure au 31 rue Marbeuf à Paris. Ce dernier a conçu une veste du soir en velours aubergine à double boutonnage, sur laquelle la broche Nardi peut venir se poser. Nous avons rencontré Alberto Nardi, l’actuel propriétaire de la marque - l’occasion de comprendre ce qui fait l’unicité de cette maison.

Chaque bijou Nardi raconte à sa façon Venise, cette ville à la dangereuse beauté.

Europa Star: Comment définissez-vous l’esprit Nardi?

Alberto Nardi: Si je devais répondre par une seule phrase, je dirais que notre philosophie est d’être unique.

Vous êtes diplômé du Gemological Institute of America. Avez-vous repris l’entreprise créée par Giulio Nardi, votre grand-père, par passion ou par loyauté?

Je vais être très clair: depuis ma plus tendre enfance je rêve de prendre la direction de la compagnie. Et ce n’était pas parce qu’il s’agit d’une affaire familiale. Je suis un passionné, j’aime réaliser les choses en suivant mon idéal. Quand j’étais enfant, il arrivait que mon grand-père, un homme très charismatique, demande à l’un des employés de venir me chercher à l’école et de me ramener à la boutique. J’adorais ces moments passés avec lui. Il était à son bureau, il me montrait des pierres précieuses, des dessins de bijoux… J’ai toujours rêvé d’être comme lui.

Basilica della Salute, boucles d'oreilles en or et saphirs roses
Basilica della Salute, boucles d’oreilles en or et saphirs roses

Nardi est un joaillier dont l’identité même est vénitienne.

Il existe un lien très fort entre notre maison et Venise et étant un amoureux de ma cité - même si je suis pris parfois dans une relation d’amour-haine - j’aime l’idée d’en traduire l’esprit à travers une pièce de joaillerie. Nos bijoux sont en quelque sorte les ambassadeurs de sa beauté.

Pendant la pandémie, on a pu voir la ville de Venise vidée de ses touristes et baignant dans une eau très claire. Est-ce que la ville ainsi retrouvée vous a inspiré des bijoux?

Absolument! Nous avons créé de nouvelles boucles d’oreilles que nous avons appelées Basilica Della Salute et qui sont inspirées de ces moments. La basilique Santa Maria della Salute a été construite au XVIIe siècle en guise d’ex voto durant l’épidémie de peste qui a dévasté la ville et a tué environ un tiers de la population. Ces boucles d’oreille sont comme une cage à oiseau en fil d’or et sont notre ex voto.

Vos bijoux sont reconnaissables entre tous. A une période où la mondialisation a touché jusqu’à la joaillerie, que faut-il faire pour maintenir une certaine ligne de conduite?

C’est une décision que j’ai prise avec mon père il y a des années quand j’ai commencé à travailler dans la compagnie. Je lui avais dit que je ne voulais pas vendre d’autres marques que la nôtre, ni fabriquer des montres. J’entendais rester un joaillier à 100%, dans la tradition du début du siècle dernier mais avec les techniques d’aujourd’hui. Nous sommes l’une des dernières maisons joaillières indépendantes en Europe. Ce n’est pas facile car nous ne sommes pas soutenus par un groupe, mais c’est ce que nous sommes.

Vous évoquez les groupes: est-ce que certains ont essayé de vous racheter?

J’ai reçu dans le passé l’offre d’un groupe autrichien qui voulait racheter une partie de l’entreprise, mais avec mon père, nous l’avons refusée. Pas plus tard que l’année dernière, deux investisseurs - l’un est basé en Suisse et l’autre est Américain - ont voulu entrer dans la compagnie. Sans doute un jour viendra où nous vendrons des parts mais ce jour n’est pas encore arrivé. Je ne rêve pas que Nardi devienne une grande enseigne mondiale: nous sommes une marque de niche, petite, élégante. Je peux contrôler toutes les opérations. Je suis convaincu que notre clientèle apprécie cette attitude.

Bague Leone
Bague Leone

«Je ne rêve pas que Nardi devienne une grande enseigne mondiale: nous sommes une marque de niche, petite, élégante. Je peux contrôler toutes les opérations.»

Un bijou peut-être considéré comme un ornement, un talisman, un investissement… Que mettez-vous dans vos bijoux?

On met tellement d’ingrédients dans un bijou quand on le crée! Mais la dimension talismanique est l’une des plus importantes à mes yeux. Pourquoi les hommes et les femmes veulent-ils porter des bijoux? On n’en a pas besoin pour vivre, ce n’est pas comme l’eau ou la nourriture, en revanche, une pièce de joaillerie peut nous donner force, foi, amour. C’est important qu’un joaillier puisse expliquer cette dimension à son client et pas seulement évoquer avec lui le caratage d’une pierre. Un bijou porte en soi une dimension symbolique aussi. Regardez cette bague: elle a été créée par mon grand-père dans les années 1960 et est entièrement fabriquée à la main. Elle s’appelle Desdemona, comme la femme d’Othello, dans la tragédie de William Shakespeare Othello ou le Maure de Venise. Il s’agit d’un bijou dans la tradition des bagues poison. C’est une pièce cérébrale et symbolique qui mérite d’être expliquée aux clients.

La bague Desdemona, inspirée de la pièce Othello
La bague Desdemona, inspirée de la pièce Othello

Historiquement, les hommes de pouvoir portaient des bijoux. Puis ceux-ci sont devenus des ornements pour les femmes. Pourquoi, à l’instar d’autres marques, relancez-vous la tradition des bijoux pour hommes?

Je crois que le temps est venu pour cela. Ce n’est pas un travail facile car un bijou pour homme peut être perçu de manière négative, trop vulgaire ou trop féminin. Nous avons choisi de créer des pièces pour des dandys, une broche généreuse, en forme de lion, avec des boutons de manchette et une bague. C’est un nouveau chapitre qui s’ouvre pour nous.

Bague Mosaico avec des diamants fancy
Bague Mosaico avec des diamants fancy

Et vous, quel genre de bijoux portez-vous?

Je porte des boutons de manchette, des broches parfois. J’ai envie de créer des pièces que j’aime et que je puisse porter moi aussi. Si j’étais une femme, je serais l’ambassadrice principale de notre maison.

«Le temps est venu de relancer la tradition des bijoux pour hommes. Nous avons choisi de créer des pièces pour des dandys. C’est un nouveau chapitre qui s’ouvre pour nous.»