Joaillerie et horlogerie


Quand la magie s’empare des jeunes joailliers

PORTRAITS

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janvier 2023


Quand la magie s'empare des jeunes joailliers

Lors du dernier salon GemGenève dédié aux bijoux et pierres précieuses, de jeunes joailliers ont présenté des collections qui semblaient provenir d’un monde féérique et être dotées de pouvoirs magiques. Ils renouaient ainsi avec la fonction de talisman qu’a toujours eu le bijou. Face aux créations de Wallis Hong, d’Alix Dumas, d’Elena Okutova ou de Vincent Michel, on avait l’impression de découvrir des joyaux sortis tout droit du monde des songes. Et pourtant, les créateurs étaient bien réels. Rencontres.

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n se promenant devant les vitrines où les jeunes joailliers présentaient leurs collections lors du salon GemGenève qui s’est tenu en novembre dernier, il était difficile de résister au pouvoir d’attraction de quelques créations qui étaient bien plus qu’un ornement.

Face aux bijoux de Wallis Hong, d’Alix Dumas, d’Elena Okutova ou de Vincent Michel, on avait l’impression de découvrir des joyaux sortis tout droit du monde des songes. Et pourtant, les créateurs étaient bien réels.

Wallis Hong par exemple. Avec sa longue silhouette, sa délicatesse et ses papillons précieux ornant son vêtement blanc, il ressemble au personnage d’une série de Fantasy. Ce créateur de bijoux chinois, installé à Madrid, n’a que 27 ans mais de son esprit naissent des mondes merveilleux qu’il transcrit en sculptures de titane ou sur des cadrans de montres qui cherchent encore le mouvement qui les animera.

Wallis Hong
Wallis Hong

Dans une vitrine trône la broche Ethereal Butterfly, réalisée grâce à la technique ancestrale de la sculpture de jade mais appliquée à du titane. Les pièces sont sculptées en creux par un grand maître qui a 40 ans d’expérience et qui réalise chaque pièce à la main. Selon la lumière qui le frôle, le délicat animal se pare de teintes iridescentes qui passent du violet au rouge.

Ethereal Butterfly
Ethereal Butterfly

«J’imagine que je vis dans un monde au-delà du réel, confie le joaillier. Quand j’étais enfant, mon père nous avait emmenés vivre, ma mère et moi, dans un lieu qui semblait être au milieu de nulle part. Chaque matin, j’avais l’impression de me réveiller dans un monde magique avec un étang, des plantes, des papillons, des insectes de toutes sortes dont je ne connaissais pas le nom. Et tout ce que je crée est issu de mes souvenirs d’enfant.»

L’une de ses broches papillon est justement l’interprétation d’une rencontre: «Je chassais les papillons près d’une grotte cachée par une cascade quand, soudain, un énorme papillon est sorti de l’eau. Je n’en avais jamais vu d’aussi grand et d’aussi coloré. Entre le jeu du soleil et de l’eau, ses ailes semblaient êtres formées de pierres précieuses.» A l’époque, il avait six ans. Depuis lors Wallis Hong a eu l’opportunité de réaliser ce papillon et l’a métamorphosé en broche précieuse.

Quand la magie s'empare des jeunes joailliers

Le fait qu’il utilise du titane coloré avec des reflets donne à ses bijoux un aspect magique. «J’ai envie que les personnes qui portent mes créations se sentent comme des fées tombées du ciel ou des personnages d’un conte. La nature est ma muse. Tous mes bijoux ont une touche, un pouvoir magique.»

Quelques mètres plus loin, les vitrines de Maison Alix Dumas sont emplies de bijoux qui semblent avoir été créés dans les ombres de la forêt de Brocéliande. Et lorsque l’on apprend que la créatrice vit en Bretagne, il y a un sens à cela.

Alix Dumas est venue au bijou par une voie de traverse: sa formation universitaire en histoire et en gestion de projets culturels aurait dû la destiner à oeuvrer dans les musées, mais son goût pour les métiers d’art l’a conduite vers le bijou. Elle a travaillé dans un atelier parisien qui créait pour de grandes maisons avant de lancer sa propre marque: Maison Alix Dumas.

Alix Dumas
Alix Dumas

La créatrice utilise la technique de la cire perdue pour obtenir les formes et les volumes qu’elle désire et une fois que le bijou de métal a pris forme, elle vient l’affiner, lui donner une profondeur en effectuant des découpes extrêmement fines dans le métal, comme s’il s’agissait d’une dentelle dans laquelle le regard aime plonger.

Quand la magie s'empare des jeunes joailliers

La technique qu’elle utilise, le «repercé», permet de réaliser un motif ajouré sur du métal. Il s’agit d’un travail méticuleux: la bijoutière vient finement percer la matière afin de pouvoir passer une lame scie dans l’orifice, avec laquelle elle peut dessiner ensuite des motifs qui forment un dessin. Alix Dumas réalise ses bijoux entièrement dans son atelier de Bretagne, hormis le sertissage, et utilise beaucoup l’argent, qui a la propriété naturelle de noircir.

Bague inspirée de la Grande Vague de Hokusai
Bague inspirée de la Grande Vague de Hokusai

L’une de ses bagues s’inspire de la Grande Vague de Hokusai tandis qu’une autre, la «Burmese Leave», est comme une fleur imaginaire qui se métamorphose en feuille ou en papillon et qui attend le doigt d’une fée pour venir s’y enrouler. «L’aspect poétique et sculptural du bijou est très important à mes yeux, explique la créatrice. Un bijou a le pouvoir de soutenir une personne, de la mettre en valeur. C’est elle qui interprète mes bijoux, avec son intuition et sa sensibilité. Mes créations ont le pouvoir d’ouvrir les portes d’un univers.»

Elena Okutova, qui tient le stand voisin, semble quant à elle sortie d’un tableau préraphaélite. La jeune joaillière russe est vêtue comme ces personnages du début du XXe siècle et possède le visage d’un Ingres. Elle semble avoir été téléportée dans un siècle qui n’est pas le sien et s’emploie, avec ses bijoux, à créer autour d’elle une forme de magie que ses clientes ressentent et apprécient. «Je suis une artiste depuis toujours: je dessine depuis que j’ai quatre ans, j’ai continué à dessiner à l’école, puis à l’Université d’État d’art et d’industrie de Moscou (elle est diplômée du Département de métallurgie artistique, ndlr). Je n’ai jamais cessé de dessiner.»

Elena Okutova
Elena Okutova

Tout comme Alix Dumas, Elena Okutova utilise la technique de la sculpture sur cire perdue. Elle aime ajouter quelques passages d’émail grand feu sur ses bijoux sertis, ce qui leur confère une forme d’intemporalité. Ses pièces portent en elles des inspirations multiples, qu’elles soient ottomanes, médiévales, baroques…

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«Quand j’étais enfant, j’aimais lire et ma grand-mère possédait une grande collection de livres d’art: au fil des pages, j’y voyais des personnages féminins peints par des artistes russes et vêtus de tissus merveilleux, dit-elle. Je voulais faire partie de ce monde qui me semblait féérique. Quand j’ai grandi, j’ai décidé de créer des pièces issues de mes rêves. C’est pour cela que j’utilise toutes ces couleurs riches. J’ai appris à travailler la matière et l’émail à l’université mais ce que j’aime avant tout, c’est créer. J’ai choisi les meilleurs artisans pour m’entourer et réaliser mes idées. Tout ce que vous voyez, mes bijoux, les boîtes, les écrins, tout est sorti de mon imagination.»

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Une imagination très fertile: ses bijoux ne ressemblent à aucun autre. C’est sans doute ce qui a plu à l’actrice Eva Green, qui fut l’une des premières personnalités à succomber au charme de ces joyaux qu’elle appelle des «talismans».

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De fait, Elena Okutova crée des pièces uniques qui attendent la femme qui les portera. Son processus créatif laisse la part belle à son inconscient. «J’ai des visions, avoue-t-elle. J’ai l’idée d’un objet, sans savoir pourquoi, mais je sais que je dois le créer ainsi. J’attends ensuite que la bonne personne vienne jusqu’au bijou et cela arrive toujours. Lorsque je vends l’une de mes pièces, je demande à la femme de faire un vœu. C’est une forme de célébration. Chaque fois qu’elle regardera son bijou, cela la renverra à son vœu. Et tellement de choses magiques se sont produites suite à cela! C’est comme dans un conte.»

La magie dans la vie de Vincent Michel se niche dans la manière dont il est venu au bijou. «Je n’ai pas de famille qui travaille dans ce domaine, mais depuis tout petit j’adore les cailloux, les cristaux, forger, explique-t-il. J’ai la chance d’avoir grandi dans une maison familiale à côté d’Estavayer-le-Lac, dans un charmant petit village qui s’appelle Font. A la maison, il y avait beaucoup de place et je pouvais y faire des feux, je forgeais les pointes de flèches, je sculptais, j’ai toujours aimé travailler avec mes mains. Un jour, alors que j’avais douze ans, ma maman m’a emmené chez un petit artisan pour y faire réparer un bijou et quand j’ai vu le chalumeau, les outils, j’ai été émerveillé. Il m’a proposé de faire un stage de trois jours chez lui. J’ai créé un petit pendentif et j’y suis retourné pendant les vacances scolaires. Je faisais des bijoux pour ma maman, ma voisine, et petit à petit je me suis inscrit à l’Ecole Technique de la Vallée de Joux. J’ai installé un petit atelier dans la maison, j’achetais mes outils et c’est comme cela que tout a commencé. J’ai passé mon CFC, j’ai été élu meilleur apprenti bijoutier et, lors des SwissSkills à Lucerne, j’ai gagné le championnat suisse de bijoutier.» Quand on est prédestiné…

Vincent Michel
Vincent Michel

La nature est l’une des principales sources d’inspiration de Vincent Michel. Dans l’une de ses vitrines, il expose une bague qui porte en elle toute la puissance du lac Léman lorsqu’il se met dans tous ses états.

«J’habite au bout du lac, à Villeneuve, et je prends le train tous les matins pour aller travailler à Lausanne, dit-il. Je ne me lasse pas de sa beauté: parfois il est bleu-vert, parfois il y a des tempêtes, et c’est tout cela que j’ai essayé de restituer.»

Collier Vol d'Abeilles
Collier Vol d’Abeilles

Dans une autre vitrine, un collier est formé d’une suite d’arabesques ponctuées de tourmalines Paraiba: il s’agit de la retranscription d’un vol d’abeilles, d’une délicatesse folle - comme si les précieux insectes avaient laissé derrière eux un sillage d’or, de 660 diamants, et un chemin de pierres fines.

Quand la magie s'empare des jeunes joailliers
©Johann Sauty

«Mes parents avaient de grands buissons de lavande emplis d’abeilles et quand j’étais petit, je les chicanais: elles s’envolaient toutes en même temps et cela fait un carrousel très harmonieux. C’est ce mouvement-là que ce collier symbolise.» Ses bijoux sont des sculptures joaillières issues d’un geste, de petits trésors à porter qui nous rappellent la beauté et la magie de sa muse: la nature.

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