L’horlogerie indépendante


Tirer les leçons d’une étude sur les horlogers indépendants

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juillet 2025


Tirer les leçons d'une étude sur les horlogers indépendants

Le journaliste britannique Chris Hall a interrogé plus de 80 marques horlogères indépendantes sur leur fonctionnement et leurs aspirations, dans une étude qu’il publie de manière annuelle. Nous l’avons interrogé sur les résultats de la toute première enquête.

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n suivant de près le secteur horloger, on connaît désormais tous les études qui concernent l’ensemble de l’industrie, générées notamment par des institutions financières et cabinet d’audit, de Morgan Stanley à Deloitte et Vontobel.

Chris Hall, qui travaille comme journaliste couvrant l’industrie horlogère depuis 16 ans, a voulu prendre une approche différente en se concentrant exclusivement sur les marques horlogères indépendantes, qui ont connu un essor extraordinaire au 21ème siècle.

Si cette étude n’a pas été diffusée de manière publique, ses résultats sont intéressants pour l’ensemble du secteur. C’est pourquoi nous avons joint Chris Hall pour un entretien.

Chris Hall
Chris Hall

Europa Star: A qui vous êtes-vous êtes adressé pour extraire les données pour cette étude?

Chris Hall: J’ai contacté plus de 223 entreprises horlogères indépendantes, dont les 81 marques qui ont accepté de répondre. J’ai senti que beaucoup comprenaient bien les raisons pour lesquelles j’avais pris contact avec elles. C’est la première étude de ce type et c’est très encourageant pour l’avenir, car nous pourrons inclure toujours plus de marques au fil du temps.

Comment avez-vous défini ce qu’est une «marque horlogère indépendante»?

Ce n’est pas le seul fait de ne pas appartenir à un groupe. Dans cette étude, j’ai exclu les grandes marques qui font la taille d’un groupe ou sont des acteurs majeurs, comme Rolex, Patek Philippe, Audemars Piguet ou Chopard, car on ne peut pas vraiment les mettre dans la même catégorie que Voutilainen, F.P. Journe ou Studio Underd0g. Les marques reconnues comme «indépendantes» par les collectionneurs, comprises dans le périmètre de cette étude, peuvent cependant afficher différents modèles de propriété, comme De Bethune qui a vendu une participation majoritaire à un tiers, ou H. Moser & Cie et Hautlence, qui sont détenues conjointement par une société holding. Enfin, il y a un critère de volume: je me suis concentré uniquement sur les entreprises produisant moins de 10’000 montres par an.

Tirer les leçons d'une étude sur les horlogers indépendants

Vous êtes un expert du monde horloger et suivez de longue date les indépendants. Quelle réponse vous a le plus surpris, parmi les constats établis dans l’étude?

Je dirais que la principale surprise a été le fort niveau d’optimisme parmi les marques indépendantes, car nous sommes dans une période de baisse des exportations. De plus, une marque indépendante est particulièrement vulnérable dans sa chaîne logistique et elle ne peut pas faire pression sur les fournisseurs comme de grands acteurs. Un seul pépin peut prendre de grandes proportions, car ils ont des coûts élevés et une production limitée. Mais le constat est général: ils sont très positifs, certains sont même confiants à 100% dans l’avenir.

«La principale surprise a été le fort niveau d’optimisme parmi les marques indépendantes, car nous sommes dans une période de baisse des exportations.»

Mais n’existe-t-il pas un biais à l’optimisme affiché dans cette industrie? En d’autres termes, comment vous assurez-vous que cela reflète bien une réalité et que ce n’est pas une simple posture?

Plusieurs motifs me le font croire. Premièrement, l’incitation à ne pas dire la vérité était minime: à ce moment-là; il était plus facile de ne pas participer, d’autant plus que cette participation, entièrement volontaire, était soumise à la condition de l’anonymat au moment de la publication. Deuxièmement, la forme très directe exprimée dans les réponses m’a amené à croire qu’ils ont choisi de répondre honnêtement. Troisièmement, je connais personnellement plusieurs de ces responsables, depuis des années, et nous avons établi une relation de confiance. Au contraire, je peux dire qu’une caractéristique distincte du secteur de l’horlogerie indépendante était sa volonté d’être examiné de près; ce n’est pas nécessairement la norme dans l’industrie!

Tirer les leçons d'une étude sur les horlogers indépendants

Alors, comment expliquez-vous cet optimisme au milieu d’une période plus compliquée pour le secteur, après plusieurs années de forte croissance?

Je pense que si vous dirigez une start-up, vous êtes naturellement enclin à une forme d’optimisme et de résilience. Mais surtout que l’époque a changé, et qu’elle n’a jamais été aussi favorable aux indépendants. Même par rapport à il y a une décennie seulement, il n’a jamais été aussi facile de lancer une marque horlogère, de construire une plateforme, de toucher le grand public, de trouver des fournisseurs… De plus, coïncidence ou non, les consommateurs se montrent toujours plus ouverts à des propositions alternatives, aux montres qui ne sont pas nécessairement fabriquées en Suisse, à des marques qui n’ont pas une longue tradition artisanale. Les maîtres-horlogers ne sont plus indispensables pour lancer une marque. La vente directe, en ligne, a changé la donne. Elle est le premier canal de vente pour les indépendants.

«Les consommateurs se montrent toujours plus ouverts à des propositions alternatives, aux montres qui ne sont pas nécessairement fabriquées en Suisse, à des marques qui n’ont pas une longue tradition artisanale. Les maîtres-horlogers ne sont plus indispensables pour lancer une marque.»

Tirer les leçons d'une étude sur les horlogers indépendants

Avez-vous fait face à d’autres surprises notables?

Le peu d’intérêt démontré dans l’étude par les indépendants pour les prix horlogers, tout comme les ventes aux enchères, était une surprise, alors qu’ils sont traditionnellement plutôt vus comme des tremplins possibles pour eux. Ils semblent considérer que c’est une bonne publicité et un bon moyen pour eux de montrer leur crédibilité et d’être reconnus par des experts, mais que leurs volumes sont trop faibles pour que cela prenne tant d’importance que cela. Par ailleurs, concernant les enchères ou le CPO, un certain nombre de marques sont trop jeunes pour que cela soit déjà une considération. Enfin, un stéréotype veut que les meilleurs horlogers ne puissent être nécessairement de bons hommes d’affaires. Mais ce poncif n’est pas démontré dans les faits et dans notre étude.

Que prévoyez-vous comme suite pour cette étude?

Je souhaite la réaliser sur une base annuelle. Parmi les ajouts possibles, il serait intéressant d’intégrer davantage d’éléments sur le marché secondaire, ainsi que sur la réalité financière des marques. Donc rendez-vous en 2026!

Pour toute question sur ce rapport, veuillez contacter Chris Hall à l’adresse [email protected]