vend Andersen, 83 ans, est l’un de ces «passeurs» en horlogerie, de ceux qui, même aux heures les plus critiques pour leur artisanat, sont restés fidèles à la belle tradition horlogère – et par là même ont contribué à poser les bases du succès que connaît aujourd’hui la scène horlogère indépendante dans le monde.
Après s’être formé dans son Danemark natal, la patrie de la grande dynastie horlogère des Jürgensen, il s’installe en Suisse dès l’âge de 21 ans où il travaille pour divers détaillants horlogers (relire notre histoire détaillée de Svend Andersen ici). Il se fait connaître dès 1969 avec son ingénieuse «Bottle Clock», une pendulette enfermée dans une bouteille défiant les lois de la physique, présentée au salon Montres et Bijoux à Genève. Il devient ainsi connu comme «l’horloger de l’impossible» et attire l’attention de Patek Philippe, qui l’engage dans son Atelier des Grandes Complications.
Il y restera neuf ans, à la meilleure école, avant de fonder son propre atelier, Andersen Genève, en 1980 – nous célébrons donc cette année les 45 ans de la société, désormais dirigée par Pierre-Alexandre Aeschlimann. Dans la tradition des grands maîtres et du luxe artisanal, Andersen Genève livre la plupart de ses pièces à complications complètement personnalisées à ses clients. Cette production sur mesure rend son œuvre moins visible d’un plus large public durant les années 1980, mais à partir des années 1990, l’horloger lance des séries qui deviendront ses modèles les plus connus.
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- La World Time de Svend Andersen, qui l’a propulsé sur la carte de l’horlogerie en ce début des années 1990, ici dans Europa Star en 1992 avec le modèle Christopher Columbus.
- ©Archives Europa Star 1992
Svend Andersen se place dans la poursuite de l’œuvre des pères de l’horlogerie, en les adaptant sur montre-bracelet, avec la montre à tact dans la lignée d’Abraham-Louis Breguet, les heures du monde selon le système de Louis Cottier ou son calendrier séculaire mécanique, qui corrige automatiquement les années bissextiles pendant 400 ans. Sobriété, efficacité et élégance (non sans une certaine dose d’humour) plutôt que dévoiler l’éclat de la complication esthétique ou de faire dans la démesure visible: il y a bien encore beaucoup de philosophie danoise dans les contes horlogers d’Andersen.
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- ©Archives Europa Star 1992
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- ©Archives Europa Star 1995
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- Archives sur Andersen Genève extraites des années 1990 dans Europa Star: de haut en bas, la Perpetual 2000 en platine, la World Time Mundus extra-plate et le calendrier perpétuel séculaire.
- ©Archives Europa Star 1996
Bien des membres des générations horlogères suivantes passent par son atelier, de Franck Muller (qui y resta sept ans à ses côtés) à Nicolas Commergnat en passant par Felix Baumgartner, Sébastien Billières, Roland Gloor ou Philippe Cantin. Il collabore avec Jean-Pierre Hagmann pour ses boîtiers; il est même son premier client. Il aide Osvaldo Patrizzi chez Antiquorum et fonde avec Vincent Calabrese l’Académie Horlogère des Créateurs Indépendants en 1985, qui célèbre donc son 40ème anniversaire en 2025. Affable et ouvert à la transmission, Svend Andersen se place en mentor de cette nouvelle scène horlogère indépendante émergeante.
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- ©Archives Europa Star 2021
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- ©Archives Europa Star 2021
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- Un portrait de Svend Andersen comme figure tutélaire de la scène horlogère indépendante contemporaine, paru en 2021 dans Europa Star sous la plume de Pierre Maillard.
- ©Archives Europa Star 2021
Une transmission en douceur
La transmission de son propre atelier, justement, plutôt que d’être familiale (ses enfants ne souhaitant pas le reprendre), s’organise par un certain concours de circonstances, qui amènera finalement Pierre-Alexandre Aeschlimann au rachat de la société. Ce dernier, ingénieur EPFL et amoureux d’horlogerie basé à Zurich, travaillait dans la fusion-acquisition dans le domaine horloger depuis plusieurs années. Il avait obtenu le mandat en 2015 pour épauler l’horloger à remettre sa société.
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- Pour son 40ème anniversaire, Andersen Genève présente une version spéciale de son Heure Sautante en 2020.
- ©Archives Europa Star 2020
«Beaucoup d’investisseurs avaient exprimé leur intérêt, une offre avait même été formulée par l’un d’eux mais il s’est finalement rétracté, se remémore Pierre-Alexandre Aeschlimann. Au fil de nos échanges avec Svend et étant moi-même passionné de montres, nous avons noué une belle relation. C’est alors que je lui ai fait une offre de mon côté pour une reprise somme toute très naturelle, dans la continuité et le respect de tout ce qu’il avait accompli.»
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- La Tempus Terrae 25ème anniversaire, présentée ici dans Europa Star en 2018.
- ©Archives Europa Star 2018
Svend Andersen reste présent et actif, à ce jour, il accueille les collectionneurs et journalistes du monde entier et est aussi impliqué dans certains rhabillages. «Le premier projet que nous avons mené, en 2015, a été la relance de la collection World Time pour les 25 ans de ce modèle emblématique, avec la Tempus Terrae 25th Anniversary», explique Pierre-Alexandre Aeschlimann.
Trois éditions, trois continents
Dix ans plus tard, pour les 45 ans de la marque et les 35 ans de la collection World Time, Andersen Genève dévoile la «Communication 45» avec trois nouvelles éditions anniversaires ultra-limitées: 15 exemplaires avec la carte de l’Europe, 15 avec la carte des Amériques et 15 avec la carte de l’Asie. Ce n’est pas un copier-coller de la version originale de 1990 (qui faisait 32 mm seulement!): la lunette épaisse a disparu pour faire place à un profil plus fin et élégant sur un diamètre paradoxalement plus important de 38 mm.

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- Pour marquer son 45ème anniversaire, Andersen Genève a créé la Communication 45, une montre à heure universelle en édition limitée qui célèbre le statut emblématique de cette complication dans l’histoire de la marque (image du haut, à côté de la montre Communication de 1990). La fonction heure universelle est assurée par un module d’une épaisseur de seulement 0,9 mm, constamment perfectionné depuis sa création en 1990. Comme du côté cadran, la masse oscillante est en or bleu 21ct couleur cognac. Les ponts et le coq ont une finition «frosted» qui fait ressortir le délicat anglage du mouvement.
«Nous nous sommes particulièrement appliqués à trouver la forme de corne «parfaite» pour ce modèle: «teardrop» de face mais corne de vache de profil, souligne Pierre-Alexandre Aeschlimann. Les cadrans sont fabriqués en or bleu 21 carats, le guillochage «tapisserie» est réalisé puis nous chauffons le cadran pour atteindre la teinte cognac souhaitée. Un grand défi a aussi été l’application de l’or liquide pour la formation des continents sur les cadrans – je vous laisse imaginer la difficulté pour le sous-traitant expérimenté pour réaliser la Sardaigne et la Corse.»
Un boîter entièrement réalisé à l’interne
Les modèles, qui seront livrés en 2026, comprennent surtout la première boîte réalisée intégralement dans les ateliers de La Chaux-de-Fonds de la marque. Depuis 2022 la marque a un second atelier à La Chaux-de-Fonds en plus de son adresse historique dans le quartier du Seujet à Genève. «C’est un maître boîtier, Marco Poluzzi, 83 ans comme Svend, qui nous a aidés pour internaliser notre production et qui forme nos horlogers. Nous employons deux horlogers et un ingénieur à La Chaux-de-Fonds et trois horlogers à Genève… et Svend bien sûr! Nous le consultons sur tous les projets, c’est d’ailleurs bien souvent lui qui trouve un nom adéquat pour certains modèles.»
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- La société compte aujourd’hui des ateliers à Genève et à La Chaux-de-Fonds. Elle vient notamment d’intégrer la fabrication de ses boîtes, sous l’égide d’un vétéran de la spécialité.
Côté mouvement, toutes les finitions et décorations sont réalisées avec le plus grand soin, de l’anglage des ponts jusqu’au polissage des dents de la roue de couronne et des vis poli-miroir. «Les horlogers aiment développer, fabriquer et emboîter leurs pièces. Et c’est ce qu’ils font chez nous. Au court de 45 ans, nous avons fabriqué moins de 1’500 montres, dont plus de 100 pièces uniques. Nous avons fait presque toutes les complications, de l’automate au réveil, du calendrier séculaire aux répétitions minutes en passant par le chronographe à rattrapante… sauf le tourbillon, suivant un précepte de Svend. Et jamais de montre avec boîtier en acier ni de simple heures-minutes non plus. Les modèles les plus «simples» dans notre collection sont le World Time et notre Heure Sautante, sinon nous entrons tout de suite dans le monde des grandes complications.»
La marque s’adresse directement aux collectionneurs, sans presque passer par des détaillants, à quelques exceptions près comme Asprey à Londres et au Japon, ou Ole Mathiesen à Copenhague avec lesquels des séries limitées ont été réalisées. «Je ne vends pas une marque qui fabrique une montre, mais une montre qui a une marque», résume le dynamique Pierre-Alexandre Aeschlimann qui sillonne le monde comme meilleur VRP d’Andersen Genève. Il ajoute: «Nous exposons nos créations sur des poignets, pas dans des vitrines.»
Il faut dire que la production reste très limitée: Andersen Genève sort une cinquantaine de montres de ses ateliers chaque année, avec des prix commençant autour des 50’000 CHF pour ses modèles World Time et Jumping Hour. «Produire environ 50 montres par an pose des défis: les listes d’attente sont longues et chaque commande sur mesure nécessite des mois de dialogue avec les clients», explique Pierre-Alexandre Aeschlimann.
Et d’ajouter: «Depuis 2018-2019, nous vivons une très belle croissance, sans interruption, au point que nous devons nous battre pour tenir les délais de livraison qui sont de 9-12 mois actuellement. Il était nécessaire de revenir dans le radar de la branche, en ne se limitant pas qu’à des pièces uniques. Cela a porté ses fruits – même si, au fond de moi, je rêverais de faire 100 montres par an dont 99 pièces uniques!»
