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«Ulysse Nardin garde l’esprit d’une start-up»

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novembre 2025


«Ulysse Nardin garde l'esprit d'une start-up»

La marque se dédie aujourd’hui pleinement à l’exploration de nouveaux horizons: elle l’a montré cette année avec sa montre de plongée Diver [Air], la plus légère du monde, ou avec l’intégration de Crystalium dans son emblématique Freak, qui a lancé en 2001 l’horlogerie «de rupture», tant par son cœur en silicium que par son affichage disruptif. Et elle vient d’annoncer une première collaboration avec un autre acteur majeur de la réinvention de l’horlrogerie au 21ème siècle: Urwerk. Rencontre avec le directeur exécutif d’Ulysse Nardin, Matthieu Haverlan.

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n 2025, Ulysse Nardin a dévoilé plusieurs pièces comme autant de manifestes de son esprit d’innovation: la Freak [X Crystalium], qui pousse plus loin l’idée de «superwatch» en fusionnant carrousel volant et décoration high-tech à base de cristallisation de ruthénium; la Freak [S Enamel], sommet mécanique de la ligne Freak, désormais habillée pour la première fois de disques horaires en émail guilloché-flinqué rouge ou bleu; la Blast [Free Wheel Maillechort], véritable scène panoramique dédiée aux mécanismes volants; et la Diver [Air], montre de plongée mécanique la plus légère du monde, laboratoire de matériaux recyclés et upcyclés.

Matthieu Haverlan, directeur exécutif d'Ulysse Nardin
Matthieu Haverlan, directeur exécutif d’Ulysse Nardin

À travers ces créations, la maison du Locle affirme un positionnement singulier: une manufacture indépendante qui revendique autant la radicalité technique (silicium, DIAMonSIL, double oscillateurs, différentiels miniaturisés) que la pérennité des métiers d’art (émail, guilloché, maillechort, finitions manuelles), avec un ancrage fort dans les questions de durabilité. C’est cette articulation que Matthieu Haverlan détaille ici.

Europa Star: En 2024, vous avez pris la direction d’Ulysse Nardin après plusieurs années au sein de la marque. Vous avez mené depuis lors ce que vous qualifiez de «travail d’introspection». Que voulez-vous dire par là?

Matthieu Haverlan: Avant de parler d’innovation, il faut comprendre qui nous sommes. Ces derniers mois, nous avons mené un véritable travail de fond sur notre identité. Ulysse Nardin a toujours été un laboratoire d’idées, mais il fallait redonner du sens à cette créativité. Nous avons défini notre mission autour d’une idée simple: inspirer l’innovation et l’ambition humaine. Cela ne veut pas dire faire différemment pour le plaisir, mais penser comme un horloger du progrès. C’est dans notre ADN depuis plus de 150 ans. Ce travail nous a permis d’identifier clairement nos plateformes d’expression – Freak, Blast, Diver – et de les pousser chacune dans une direction forte, qu’il s’agisse de mécanique expérimentale, de haute complication ou de performance responsable.

Freak [X Crystalium]: Freak X avec carrousel volant UN-230 et disque horaire en ruthénium cristallisé, chaque structure de Crystalium étant unique.
Freak [X Crystalium]: Freak X avec carrousel volant UN-230 et disque horaire en ruthénium cristallisé, chaque structure de Crystalium étant unique.

Quand on pense innovation chez Ulysse Nardin, on pense spontanément en premier lieu à la ligne Freak…

La Freak reste en effet l’incarnation la plus pure de notre esprit. Depuis la Freak de 2001, première montre à intégrer du silicium, chaque génération a repoussé un peu plus les limites techniques et esthétiques. La Freak One, qui a remporté un prix au GPHG, est selon moi l’icône horlogère des 25 dernières années.

Cette année, nous avons présenté la Freak X en Crystalium: une pièce expérimentale, avec une boîte en titane et un cadran d’une brillance unique, obtenu par un procédé de cristallisation sur surface vitrée. Le résultat est presque surnaturel — mais surtout, c’est un défi technique colossal: un taux de déchet élevé, une production d’à peine cinquante pièces.

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Justement, que cherchez-vous à exprimer avec cette Freak [X Crystalium]?

Avec la Freak [X Crystalium], nous poussons l’idée de fusion entre mécanique de pointe et arts décoratifs high-tech. Le disque des heures en Crystalium, issu d’un lent processus de cristallisation du ruthénium, rend chaque pièce unique. En dessous, le calibre manufacture UN-230, avec carrousel volant et échappement en silicium développé chez Sigatec, rappelle que la Freak reste d’abord une montre de recherche horlogère, pas un simple exercice de style.

Freak [S Enamel]: Freak S à double oscillateur incliné, micro-différentiel vertical, remontage Grinder® et disque horaire en émail guilloché-flinqué.
Freak [S Enamel]: Freak S à double oscillateur incliné, micro-différentiel vertical, remontage Grinder® et disque horaire en émail guilloché-flinqué.

Vous venez de présenter également la Freak [S Enamel]. Où se situe-t-elle dans la galaxie Freak?

La Freak S est la montre «time-only» la plus complexe que nous ayons jamais créée, avec deux balanciers en silicium inclinés, le plus petit différentiel mécanique vertical au monde et notre système de remontage Grinder®. Avec la Freak [S Enamel], nous ajoutons une dimension de métiers d’art: deux éditions limitées à 50 pièces chacune, avec des disques horaires en émail rouge profond ou bleu turquoise, guillochés et flinqués chez Donzé Cadrans.

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Quel rôle jouent aujourd’hui les métiers d’art chez Ulysse Nardin?

Ils sont essentiels pour ancrer nos innovations dans la durée. À côté de nos laboratoires de silicium, nous avons Donzé Cadrans, l’un des grands noms suisses de l’émail. Sur la Freak [S Enamel], le disque horaire n’est pas un simple décor: c’est une pièce en or guilloché, émaillée à plusieurs cuissons, qui fait partie intégrante de la cinématique. C’est une contrainte supplémentaire pour les artisans, mais le résultat – cette profondeur et cette permanence de la couleur – justifie largement l’effort.

Vous aimez aussi évoquer la «simplification de la complication». Pouvez-vous nous en dire plus?

Prenez notre calendrier perpétuel Perpetual Ludwig lancé il y a près de trente ans: à l’époque, nous avons osé changer le sens d’ajustement du mécanisme, et surtout permis un réglage par la couronne dans les deux directions. Cela paraît anodin, mais c’était une révolution. Nous cherchons toujours à rendre le progrès utile, durable. L’innovation n’a de valeur que si elle améliore la vie et la pérennité du mouvement.

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Ulysse Nardin se distingue aussi par son indépendance retrouvée. Comment cela se traduit-il aujourd’hui?

C’est une étape essentielle. Après huit ans au sein du groupe Kering, nous avons repris notre destin en main à travers un management buyout – une situation plutôt rare dans l’horlogerie suisse. Cela nous rend à la fois libres et responsables, nous permettant de rester fidèles à notre esprit d’origine, soit celui d’une start-up depuis 1846. Nous ne voulons pas grandir à tout prix, mais faire les choses toujours mieux, avec authenticité.

Blast [Free Wheel Maillechort]: Haute complication UN-176 avec tourbillon volant à échappement constant, double barillet volant et cadran en maillechort sous dôme saphir.
Blast [Free Wheel Maillechort]: Haute complication UN-176 avec tourbillon volant à échappement constant, double barillet volant et cadran en maillechort sous dôme saphir.

Autre pièce dévoilée cette année, la Blast [Free Wheel Maillechort]. Pourriez-vous nous la présenter?

Elle matérialise notre goût pour la mise en scène mécanique. Le calibre UN-176, avec tourbillon volant à échappement constant Ulysse Anchor et double barillet volant offrant sept jours de réserve de marche, semble littéralement flotter sous une grande «ultra-glass box» en saphir. Le cadran en maillechort, alliage traditionnel qui se patine avec le temps, donne de la chaleur à cette architecture très technique.

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Vous insistez sur la cohérence entre produit, marketing et communication. À quoi ressemble cette cohérence aujourd’hui?

Elle repose sur un mot: sincérité. Nous ne cherchons pas à singer les codes de l’industrie. Notre ancrage marin est réel, mais notre esprit est celui de l’exploration au sens large. C’est pourquoi nous soutenons des initiatives comme le Gumball 3000 Rally, plutôt que la F1: un univers plus libre, moins balisé, où se retrouvent des passionnés de mécanique, d’audace et de créativité.

Nous observons également ce qui fonctionne dans la culture digitale: souvent, nos contenus les plus engageants sont aussi les plus humains. Une collaboration avec un chef pâtissier comme Amaury Guichon, qui a réalisé des sculptures géantes en chocolat inspirées de la Freak, a généré plus de 320 millions de vues! C’est la preuve qu’on peut faire aimer la haute horlogerie par d’autres chemins.

Dans ce contexte d’innovation, quelle place donnez-vous à l’intelligence artificielle?

Nous ne figurons pas parmi les «excités» de l’IA! Je crois qu’elle a sa place, mais pas dans la création horlogère. Chez Ulysse Nardin, le design reste humain. En revanche, l’IA peut être utile dans la sémantique, la structuration, ou le traitement administratif. Le plus important est de garder l’émotion au cœur de l’objet.

La Diver [Air] Seddiqi 75th Anniversary est une édition limitée à 30 pièces de la Diver [Air]: montre de plongée automatique squelettée en titane recyclé et composites upcyclés, calibre UN-374, 52 g pour 200 m d'étanchéité, avec une signature bleu vif Seddiqi et personnalisation «75th Anniversary» sur le fond.
La Diver [Air] Seddiqi 75th Anniversary est une édition limitée à 30 pièces de la Diver [Air]: montre de plongée automatique squelettée en titane recyclé et composites upcyclés, calibre UN-374, 52 g pour 200 m d’étanchéité, avec une signature bleu vif Seddiqi et personnalisation «75th Anniversary» sur le fond.

Ulysse Nardin a également pris position sur la durabilité. Comment conjuguez-vous performance et responsabilité?

Quand nous avons développé la Diver [Air], notre montre de plongée en titane recyclé, nous aurions pu la présenter comme «la montre la plus durable du marché». Mais nous avons refusé. Ce que nous voulions, c’était la montre la plus performante – pour 52 grammes au poignet – et elle s’est avérée être aussi la plus responsable. On peut aller très loin en termes de performance sans renoncer à une forme de responsabilité. La Diver [Air] résiste à 5000 G et certains de ses composants proviennent des foils des voiliers Imoca ou de plastiques recyclés issus de l’océan. Ce projet s’inscrit dans notre approche qui se distingue par «faire, avant de dire». Nous fêterons nos 180 ans l’année prochaine, avec toujours cette envie de provoquer, d’expérimenter et d’explorer. Si quelque chose n’est pas encore fait, Ulysse Nardin le fera.

Coup de tonnerre tout juste présenté: la UR-FREAK associe le mouvement le plus complexe développé par Ulysse Nardin pour la Freak à l'affichage «satellite» emblématique d'Urwerk. Si la montre est lancée en 2025, son histoire remonte à près de trois décennies, aux débuts de l'horlogerie moderne indépendante.
Coup de tonnerre tout juste présenté: la UR-FREAK associe le mouvement le plus complexe développé par Ulysse Nardin pour la Freak à l’affichage «satellite» emblématique d’Urwerk. Si la montre est lancée en 2025, son histoire remonte à près de trois décennies, aux débuts de l’horlogerie moderne indépendante.